L’Allemagne est l’avenir du foot : stades, bières et Vollgas-Fussball

La Coupe du Monde 2006 constitue l’élément clé dans le retour au sommet du football allemand. Les stades flambant neufs, l’engouement populaire, l’esprit festif et le nouveau style de jeu qui en ont résulté ont permis à la Bundesliga de plus que doubler ses affluences, alors même que le foot allemand traversait près de deux décennies de disette à l’échelon international.

Même si le football allemand ne traversait pas ses heures les plus glorieuses au moment où se profilait la Coupe du Monde 2006, nos voisins d’outre-Rhin ont décidé de faire les choses en grand. Rien à voir avec la France en 1998 qui, en dehors de l’inutile Stade de France, s’est contentée de bricoler des installations vétustes déjà existantes. Partout en Allemagne, des nouveaux stades ont vu le jour, soit en rénovant l’ancienne structure (Dortmund, Berlin, Francfort…) soit en la rasant et en reconstruisant sur site (Hambourg, Cologne…) ou juste à côté (Gelsenkirchen, Aachen…), soit en érigeant un stade neuf dans un autre quartier (Munich, Mönchengladbach…). Jusque dans les années 2000, le stade allemand standard était le plus souvent pourvu d’une piste d’athlétisme, ne comportait qu’une seule tribune couverte et comprenait une majorité de places debout plutôt inconfortables. Aujourd’hui cette génération-là a quasiment disparu, il en reste quelques vestiges (Karlsruhe, Wattenscheid, Uerdingen, Herne, Saarbrücken…) mais comme par hasard concernant des clubs ayant sérieusement rétrogradé dans la hiérarchie. Car le stade est devenu un élément essentiel du financement du club de Bundesliga et ceux qui ont raté ce virage-là sont aujourd’hui lourdement pénalisés. D’ailleurs, même les villes qui n’ont pas accueilli le Coupe du Monde 2006 ont été obligées d’ériger de nouvelles arènes pour rester compétitives à l’instar de Mönchengladbach ou Düsseldorf (alors en troisième division…) qui ont bâti des enceintes de plus de 50’000 places quand bien même elles n’avaient pas été retenues pour le WM.

L’atout majeur

Le nouveau stade allemand est hyperfonctionnel avec boutiques, bars, buvettes, portes-monnaies électroniques, sanitaires, espaces VIP et compagnie à profusion. Il garantit un certain confort avec des places exclusivement couvertes, tout en conservant une grande convivialité et des tarifs accessibles avec des places debout en nombre (souvent moins de 15 euros par match et moins de 200 euros pour la saison). Ces nouvelles infrastructures ont été généralement construites sans l’aide des pouvoirs publics ou avec un soutien restreint et donc essentiellement financées par les clubs eux-mêmes. Forcément, cela a diminué leur compétitivité, parfois mis leur existence même en péril (Dortmund) ou continue de grever lourdement leur budget (Schalke 04). Néanmoins, ces infrastructures sont en passe (Bayern Munich) ou seront à terme amorties et les clubs se retrouveront propriétaire de véritables aspirateurs à fric complètement francs de dette. Un avantage concurrentiel majeur par rapport à des pays comme l’Italie ou l’Espagne, où la plupart des clubs vivotent dans des enceintes vétustes, sont trop endettés pour financer eux-mêmes un nouveau stade et n’ont guère d’aide à attendre de collectivités publiques elles-mêmes en faillite, sans perspective d’Euro ou de Coupe du Monde à court et moyen terme.

L’explosion

Cela dit, on le voit en France voisine avec les exemples de Lille, Sedan, Le Mans ou Genève, il ne suffit pas de construire un nouveau stade pour le remplir. Au début des années 2000, alors que la Bundesliga était en crise, le pari de remplir des enceintes aussi vastes dans un championnat médiocre et pauvre en stars internationales n’était pas gagné. Et pourtant le miracle s’est opéré : en 1990, alors que le foot allemand était au faîte de sa gloire, la moyenne en Bundesliga était de 21’235 spectateurs par match ; en 2000 alors que les premiers stades neufs sortaient de terre de 31’206 ; en 2004, lorsque le foot allemand touchait le fond de 37’395, en 2006 elle dépassait pour la première fois la barre des 40’000 (40’779) pour culminer au record historique de 2012, jamais atteint par un championnat national de foot, de 45’116 spectateurs par match !
Pour obtenir un tel engouement, les clubs germaniques ont mis l’accent sur l’attachement au club, l’identification aux joueurs locaux et le côté spectaculaire d’une ligue aux défenses en carton. Mais c’est surtout l’aspect festif et l’ambiance de kermesse populaire qui expliquent ce formidable succès populaire. Alors qu’en Angleterre, les stades s’aseptisaient de plus en plus, les Allemands ont fait du stade un lieu de fête et de rencontre. Un match de Bundesliga dure bien davantage que 90 minutes, il y a l’apéro en Biergarten, la Wurst, l’hymne du club, les drapeaux, la troisième mi-temps… Il faut l’avoir vécu pour le comprendre mais c’est un vrai rituel festif qui enflamme l’Allemagne tous les samedis après-midi, dans les gares, les trains, les métros, sur les aires d’autoroutes ou dans les centres-villes, c’est tout un peuple coloré, joyeux et chantant qui sillonne le pays et pas seulement pour la Buli mais aussi dans les divisions inférieures.

La fête

Je ne pense pas que le supporter allemand soit moins fervent que le fan transalpin, les affluences au stade tendraient même à prouver le contraire. Toutefois, après une défaite, tu ne ressens pas en Allemagne l’ambiance de fin du monde qui prévaut en pareille circonstance en Italie. S’il a vu un bon match et que son équipe a fait honneur au maillot, le supporter germanique aura passé un agréable après-midi (enfin, sauf en cas de défaite dans un gros derby) et reviendra la semaine suivante. La Coupe du Monde 2006 a servi de catalyseur à cet esprit festif. Le monde attendait une Allemagne organisée et efficace mais aussi froide et austère. Si l’organisation a effectivement été impeccable, les visiteurs ont découvert une Allemagne festive, joyeuse et décomplexée. Depuis, chaque Euro ou Coupe du Monde est l’occasion d’immenses rassemblements devant les écrans géants partout dans le pays ; samedi, malgré les restrictions imposées par l’UEFA, de nombreux Public Viewing seront organisés pour BVB – Bayern et pas seulement à Munich ou Dortmund. Les habitués de l’Oktoberfest, du Rock am Ring ou du carnaval de Cologne ne seront pas autrement surpris par cet amour germanique de la fête et des grands rassemblements de masse, le coup de génie cela aura été de le transposer dans les stades de Bundesliga, de façon à transformer chaque match en fête populaire, sans égard à l’enjeu, la qualité du jeu ou au renom des joueurs alignés.

Crescendo

Attention, il serait toutefois faux de croire que le fan allemand moyen se rend au stade uniquement pour se saouler à la bière et au Jägermeister et avaler ses rations de Currywürste trempant dans leur sauce tomate. L’augmentation des affluences va de pair avec une qualité de jeu en constante progression. Il y a encore cinq ans en arrière, j’allais en Bundesliga pour l’ambiance mais je gardais quelques week-ends pour l’une ou l’autre escapade en Premier League car la qualité du jeu y était infiniment supérieure. Mais là, nonobstant la finale germano-germanique de Wembley, je vais boucler ma première saison depuis des lustres sans match en Angleterre. Tout simplement parce que désormais un match en Allemagne y est globalement désormais plus attractif non seulement en terme d’ambiance mais aussi en terme de jeu. Si, il y a quelques années, le caractère spectaculaire de la Bundesliga devait beaucoup à la faiblesse des défenses, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. La preuve : si la Buli reste la plus prolifique des ligues majeures du continent, la moyenne de buts marqués est en légère baisse depuis quelques saisons. Et ce alors même que la qualité des joueurs offensifs a considérablement augmenté : aujourd’hui, Martin Max (2000 et 2002), Thomas Christiansen (2003), Marek Mintal (2005) ou Fanis Gekas (2007) n’auraient plus aucune chance d’être sacrés roi des buteurs de la Buli. La qualité et la discipline des défenses ont augmenté, toutefois il continue à se marquer beaucoup de buts. Bien sûr, il y a régulièrement des grossières bévues mais celles-ci découlent souvent d’une prise de risque importante. Et si le jeu demeure toujours aussi spectaculaire alors même que d’immenses progrès ont été accomplis sur le plan de la tactique et de l’organisation défensive, le mérite en revient à une jeune génération d’entraîneurs qui n’hésitent pas à prôner un football offensif et tourné vers l’avant.   

Mimétisme

Car le rajeunissement du foot allemand ne s’est pas opéré que sur le terrain mais aussi sur les bancs de touche, même si la présence sur le banc du Bayern Munich du dinosaure Jupp Heynckes tend à prouver le contraire. Mais Don Jupp est bien le dernier rescapé de sa génération, le pouvoir est désormais à la jeune garde. Ils s’appellent Tuchel, Streich, Weinzierl, Hecking, Kramer, Oenning, Dutt, Kurz, Gisdol, Schmidt, Büskens, Slomka, Lewandowski, Wiesinger ou évidemment Löw et Klopp, tous n’ont pas connu le même succès mais leur profil est relativement similaire : il s’agit d’entraîneurs qui n’ont pas fait une grande carrière de joueur, certains n’ont même jamais été professionnels. Tous se sont révélés soit en entraînant une équipe de jeunes ou de série inférieure, soit dans un rôle d’assistant et tous se sont vus offrir un premier poste dans l’élite à un âge précoce peu après ou parfois même avant la quarantaine. Cette génération a grandi en même temps que cette Bundesliga new-look et s’est complètement émancipée des concepts devenus désuets de leurs prédécesseurs. Ne serait-ce que dans la relation avec les joueurs, puisque la plupart des entraîneurs précités sont réputés très proches de leurs ouailles. La rumeur prétend qu’un Jürgen Klopp, avant de signer à Dortmund, aurait été recalé à Hambourg parce qu’il ne portait pas de cravate et était trop familier avec ses joueurs qui le surnommaient Kloppo. Cette nouvelle génération a apporté un vent de fraîcheur sur la Buli en prônant un jeu rapide, tourné vers l’avant et spectaculaire. On peut observer un phénomène de mimétisme intéressant entre le jeu offensif, dynamique et enthousiaste déployé sur les pelouses et l’ambiance jeune, festive et joyeuse régnant dans les tribunes.   

Le nouveau style allemand

Ce nouveau style allemand a été surnommé par le terme un peu inélégant de Vollgas-Fussball. Cela consiste à exercer un pressing intense haut dans le terrain et à propulser très rapidement un maximum de joueurs à l’offensive dès le ballon récupéré, de façon à aller le plus vite possible en direction du but adverse. Cela n’a rien à voir avec un jeu de contre-attaque puisque l’on va chercher l’adversaire très haut dans le terrain (le malheureux Pirlo l’a appris à ses dépens lors du récent Bayern – Juventus) et que toute l’équipe participe à l’offensive. Ce n’est pas non plus du kick’n’rush puisque les joueurs offensifs sont généralement de petite taille et le jeu reste plutôt à terre. Cette verticalité téméraire et impudente allemande est l’antithèse exacte de la possession de balle cérébrale, horizontale et ennuyeuse façon Barcelone et Espagne. Cette nouvelle audace a éclaté une première fois aux yeux ébahis du monde entier lors des démonstrations de la Mannschaft en 2010 contre l’Angleterre et l’Argentine, elle s’est une nouvelle fois révélée au grand public lors des récentes demi-finales hispano-germaniques de C1 où l’opposition de style a clairement tourné en faveur du Bayern et du BVB. Les observateurs attentifs de la Bundesliga n’ont eux pas été surpris car finalement ce que Bavarois et Dortmundois ont présenté contre le Real ou Barcelone, on le voit, avec peut-être un peu moins de talent individuel et de perfection collective, tous les week-ends en Buli avec Mainz, Freiburg ou Augsburg. 

Vollgas-Fussball, mode d’emploi

Ce Vollgas-Fussball s’articule en principe sur un 4-2-3-1. L’ancien Jupp Heynckes s’y est converti. Jürgen Klopp aussi, alors qu’il était un inconditionnel du 4-4-2 à son arrivée à Dortmund. Mais une cascade de blessure l’a contraint à essayer le 4-2-3-1 lors d’un match à Leverkusen à l’automne 2009 et depuis il ne l’a plus quitté (sinon pour un derby de sinistre mémoire contre Schalke). Le cœur du système, c’est le Doppelsechs, composé d’un demi récupérateur (Luiz Gustavo ou Martinez au Bayern, Khedira en équipe d’Allemagne, Kehl ou Bender à Dortmund) chargé de protéger une défense positionnée très haut, et d’un demi relayeur plus technique (Schweinsteiger ou Kroos au Bayern et en équipe d’Allemagne, Gündogan ou Sahin à Dortmund) pour assurer des transitions ultrarapides vers l’avant. Le Vollgas-Fussball suppose également la présence d’un arrière central assez technique (Hummels au BVB, Dante au Bayern) capable de prendre des risques, avec leur lot d’erreurs, pour monter à l’interception ou tenter des relances aventureuse de quarante mètres afin d’accélérer encore le jeu.
Un autre élément clé, c’est l’avant-centre qui doit être habile devant le but certes mais surtout fort dans les duels et implacable au pressing afin de gêner la relance adverse et favoriser la récupération du ballon. C’est ainsi que le belliqueux Mandzukic a pris la  place d’un Gomez plus prolifique mais moins mobile ou que Lewandowski, un peu lymphatique à son arrivée dans la Ruhr, a dû muscler son jeu défensif et patienter une saison pour détrôner le guerrier Barrios. Freiburg a réussi une saison magnifique en alignant un milieu de terrain, Kruse, à la pointe de son attaque.
L’animation du jeu est assurée par les trois milieux offensifs, un 9 et demi généralement plutôt de petite taille et très fort techniquement et deux ailiers chargés d’harceler la défense adverse. Tout le monde a été surpris par l’abnégation de Robben et Ribéry contre Barcelone mais le 4-2-3-1 allemand ne fonctionne pas sans une implication totale des demis offensifs ; Dortmund a d’ailleurs perdu de son efficacité défensive en remplaçant les combattants Grosskreutz et Kagawa par les plus offensifs Götze et Reus. Enfin, les latéraux doivent être tournés vers l’offensive, pas seulement pour déborder et centrer mais aussi pour soutenir l’attaque, de telle sorte qu’il n’est pas exceptionnel en Bundesliga de voir un latéral centrer pour trouver l’autre arrière de couloir à la réception.

A 110%

Evidemment, ce système suppose une condition physique hors-pair. En fin de saison dernière, le Bayern Munich, émoussé et avec un banc trop court, n’a pu tenir le rythme sur tous les tableaux et a fini par tout perdre. De même, depuis trois saison, Dortmund et son effectif là aussi retreint ne parvient pas à jouer simultanément la gagne au plan national et européen. On comprend mieux pourquoi l’Allemagne persiste à conserver un calendrier national allégé (34 matchs de championnat, six matchs de Coupe maximum et pas de Coupe de la Ligue). Car dès que le physique est émoussé, le Vollgas-Fussball devient vite inopérant et même carrément vulnérable lorsque l’adversaire parvient à vous enfermer dans un schéma de jeu de possession de balle stérile et sans vitesse. C’est l’une des raisons pour lesquelles les représentants du football allemand, en club et en équipe nationale, ont souvent brillé ces dernières années, se sont distingués par un footballeur généreux et spectaculaire mais, émoussés, ont toujours trébuché sur la dernière ou l’avant-dernière marche, sans pouvoir mettre fin à la longue disette du foot germanique. Jusqu’au 25 mai 2013 du moins.
A suivre : Le retour au sommet
Si tu as manqué le début :

  • L’Allemagne est l’avenir du foot : la chute
  • L’Allemagne est l’avenir du foot : la descente aux enfers
  • L’Allemagne est l’avenir du foot : la reconstruction

Écrit par Julien Mouquin

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5 Commentaires

  1. Tu as probablement raison Mouquin, mais pour rappel, le soi-disant jeu ennuyeux de l’Espagne a battu deux fois de suite le flamboyant jeu de l’Allemagne…et de manière amplement méritée !

  2. salut Julien,
    je viens de finir ce 4ème article, c’est tout simplement génial de justesse et de pertinence,
    vraiment incroyable après les errements du week-end dernier… dont je faisais heureusement partie 🙂

    et comme nos amis espagnols ne réussissent pas à trouver une ineptie quelconque à poster, je vais me lancer:
    la sauce avec les currywurst n’est pas à la tomate mais au curry, c’est pour cela que c’est une currywurst car la saucisse est assez quelconque sinon.

    encore bravo et merci pour tout ce que tu nous fais partager ici ou ailleurs, je penserai beaucoup à toi demain pendant que je serai ici et toi la-bas,

    gros bec à ta voisine et à tout bientôt

  3. Champion’s league:

    Dortmund vainqueur en 1997 (avec Chapuisat)
    Bayern finaliste en 1999
    Bayern vainqueur en 2001
    Leverkusen finaliste en 2002

    C’est quand même pas trop la cata pour deux décénnies de disette. 🙂

  4. « Cela dit, on le voit en France voisine avec les exemples de Lille, Sedan, Le Mans ou Genève, il ne suffit pas de construire un nouveau stade pour le remplir. »

    Lille avait 30 000 abonnés cette saison et a eu une affluence moyenne de plus de 40 000 spectateurs.
    Et Sedan est une petite ville de 50 000 habitants.
    Et depuis que Le Mans a son nouveau stade, ils jouent le bas de tableau de D2 et sont quasiment en faillite aujourd’hui.

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