L’Allemagne est l’avenir du foot : la reconstruction

Après avoir touché le fond en 2004, le football allemand s’est reconstruit en un temps record. Les clés du succès : ancrage local, finances saines, prix populaires, formation, nouvelle génération d’entraîneur, nouveaux stades, spectacle. Et bières bien sûr.

Alors même qu’il touchait le fond sportivement et économiquement lors de l’Annus horribilis 2004, le foot allemand avait pourtant déjà semé les ferments de son renouveau. Les échecs des Coupes du Monde 1994 et 1998 et la débâcle de l’Euro 2000 ont marqué les esprits et les dirigeants, tant à la fédération que dans les clubs, ont compris qu’ils allaient droit dans le mur.

2001, la réforme

Ainsi, en 2001, une importante réforme est menée en Bundesliga, avec notamment l’obligation pour les clubs de première et deuxième division de disposer d’un centre de formation pour obtenir la licence. Dès lors, les clubs vont investir massivement dans leurs secteurs juniors, un peu par choix, beaucoup par nécessité puisqu’il était évident que l’Allemagne avait pris un immense retard en la matière. On n’hésitera pas à sonner le rappel des glorieux anciens pour chaperonner le jeune garde. Ainsi, plusieurs des protagonistes de la finale du 25 mai à Wembley seront passés entre les mains expertes de Lars Ricken (champion d’Europe en 1997 avec Dortmund et coordinateur de la relève au BVB), Mehmet Scholl (champion d’Europe en 1996 avec l’Allemagne et 2001 avec le Bayern et ex-entraîneur des M-13 et de la réserve du Bayern) ou Mathias Sammer (champion d’Europe en 1996 avec l’Allemagne et 1997 avec Dortmund et ancien directeur technique à la fédération). Sans le sou, les clubs vont enfin donner leur chance à des jeunes joueurs. Et cette fois-ci en n’insistant pas uniquement sur l’aspect physique mais bien en développant la qualité technique et le sens tactique.

Une révolution interne

Dans une ridicule tentative de récupération politique simpliste, certains mettent le redressement du foot allemand sur le compte de l’apparition sur le devant de la scène de jeunes joueurs d’origine étrangère. C’est faux et archifaux : pays d’immigration, l’Allemagne va forcément compter dans ses rangs quelques patronymes pas franchement germaniques mais tous ces jeunes sont de purs produits de la formation allemande. A l’instar de la Suisse, la Mannschaft a plutôt le problème inverse, soit la fuite de joueurs formés en Allemagne vers leur pays d’origine, comme les frères Altintop, Nuri Sahin ou Kevin-Prince Boateng. Il suffit de se souvenir des Hässler, Möller et compagnie pour constater que l’Allemagne n’a pas attendu les segundos pour avoir des joueurs techniques. D’ailleurs, dans la nouvelle génération, on trouve aussi bien des Allemands pure souche dans les joueurs les plus techniques (Götze, Draxler, Reus, Kroos) que des segundos (Özil, Gündogan), alors qu’inversement les éléments plus physiques sont indifféremment d’origine allemande (Bender, Grosskreutz, Reinartz) ou immigrée (Khedira, J. Boateng). La révolution du foot germanique n’est donc pas le fait de quelques fils d’immigrés d’une dizaine d’années comme on peut le lire trop souvent mais bien le fruit d’une réflexion menée au sein des clubs et de la fédération au tournant du siècle dernier pour changer radicalement le système de formation.

Simplement, il y a quinze ans en arrière, Mesut Özil pas plus que Mario Götze n’auraient été admis dans un centre de formation de Bundesliga ou ce qui en tenait lieu à l’époque. Et même si ça avait été le cas, ils n’y auraient pas trouvé les compétences pour former les joueurs qu’ils sont devenus ou en passe de devenir. Cette métamorphose va donner des résultats assez rapidement : alors que, dix ans auparavant, la Mannschaft était généralement absente des grands tournois juniors, elle devient en 2009 la première à détenir les trois titres européens majeurs chez les jeunes : M-21 (Neuer, Höwedes, J. Boateng, Khedira, Özil, Hummels, Schmelzer, Marin…), M-19 (Zieler, L. et S. Bender, Reinartz, Töprak…) et M-17 (ter-Stegen, Leno, Trinks, Thy, Götze, Scheidhauer…) Ainsi donc, samedi, quel que soit le vainqueur, une première vague de ces nouvelles générations allemandes va connaitre une première consécration internationale en actifs. Qui en appelle beaucoup d’autres car la reconstruction du foot allemand n’est pas seulement sportive.

Imitation et originalité

D’aucuns trouveront la comparaison scabreuse mais, en d’autres domaines, militaire, économique ou industriel, et en d’autres époques, après les deux guerres mondiales ou la réunification, l’Allemagne a démontré qu’elle avait des capacités à se reconstruire en un temps record. Toujours avec la même recette : en allant regarder ce qui marche bien ailleurs mais sans copier bêtement, en y ajoutant une touche de génie germanique et surtout une immense dose de travail. Ainsi, si l’Allemagne s’est inspirée de ce qui se faisait à l’étranger au niveau de la formation, notamment en France et en Espagne, elle a eu l’intelligence de développer son propre modèle économique, sans faire de suivisme par rapport aux modèles anglais ou espagnols qui dominaient alors l’Europe, ce qui eût été voué à l’échec.
A ce niveau-là, la comparaison entre Bundesliga et Ligue 1 est intéressante : à partir d’un problème initial comparable, des droits TV modestes et une fiscalité prohibitive, mais avec un énorme avantage en termes de formation côté tricolore, les deux pays ont choisi des voix diamétralement opposées. La France est restée tournée vers l’étranger, en particulier vers l’Angleterre, et a passé son temps à se lamenter sur sa misère, la disproportion des moyens et le pillage dont elle était victime. Pire, pour tenter de continuer à rivaliser avec des clubs aux moyens infiniment supérieurs, les clubs hexagonaux en sont venus à renier leurs principes de jeu et de formation pour développer une approche ultra-défensive et à former des joueurs en conséquence. Nonobstant le caractère politiquement incorrect du propos, François Blaquart n’avait pas tout tort lorsqu’il déclarait que le France ne formait plus que des milieux défensifs musculeux.

Des faiblesses qui deviennent des forces

A l’inverse, l’Allemagne ne s’est pas trop préoccupée de ce qui se passait à l’étranger et s’est recentrée sur elle-même, sur ses atouts et même sur ses défauts pour en faire des forces. Le footballeur allemand n’a plus la cote à l’étranger ? Cela permet au moins de garder au pays les stars de l’équipe nationale et de capitaliser sur leur popularité. Le niveau des défenses allemandes est pathétique ? C’est l’occasion de mettre en place un championnat éminemment spectaculaire avec plein de buts. La Bundesliga n’attire plus de stars mondiales ? Cela laisse la place à des jeunes joueurs locaux qui ont enfin leur chance. La Bundesliga n’attire pas les touristes étrangers ? Cela donne l’opportunité de garder des prix populaires et de soigner la relation avec les fans locaux.

Ainsi donc, pendant que Liga et Premier League ne juraient que par une internationalisation à outrance, avec mécènes étrangers, perte d’identité des clubs, désertion des classes populaires, hausse des prix pour attirer des «fans» du monde entier, horaires des matchs fixés par des TV asiatiques et vente massive des droits télés aux quatre coins du monde, la Bundesliga suivait le chemin inverse. Le concept de Traditionsverein était remis au goût du jour et de nombreux clubs ont rajouté leur année de fondation dans leur logo. Plutôt que de vendre un championnat Playstation à coup de stars mondiales, l’Allemagne a misé sur l’amour du maillot, l’attachement aux traditions et la fidélité indéfectible au club. Et ce quels que soient les résultats, la qualité du jeu présentés ou le renom des joueurs alignés, ce qui tombait assez bien puisque ceux-ci étaient généralement médiocres. 

50+1

Pour favoriser cet ancrage local, la ligue a adopté la règle, unique en Europe, du 50+1, imposant aux clubs d’être détenus par les sociétaires historiques du club. Ce qui préserve les clubs de toute ingérence étrangère ; le mécène jordanien Hasan Ismaik, qui voulait faire de Munich 1860 un grand d’Allemagne et d’Europe, l’a appris à ses dépens, lui qui vient de jeter l’éponge après deux ans de conflits larvés avec les dirigeants historiques du club qui ne partageaient pas ses visions mégalomaniaques.
La seule exception à la règle : un sponsor peut être propriétaire d’un club à condition qu’il y soit engagé depuis plus de vingt ans comme Volkswagen à Wolfsburg ou Bayer à Leverkusen. Sinon, le seul moyen pour un mécène de s’offrir un club comme jouet, ainsi que l’ont fait les Qataris à Paris, Barcelone ou Malaga, les Emiratis à Manchester City ou les Russes à Chelsea, c’est de monter une coquille vide depuis tout en bas de l’échelle comme l’a fait Dietmar Hopp à Hoffenheim ou tente de le faire Dietrich Mateschitz avec son RB Leipzig. Mais cela demande du temps et beaucoup d’argent, dix ans et 250 millions pour Hoffenheim, alors que Leipzig, trois ans après le début de l’aventure, végète toujours en quatrième division.
Cette règle fait toujours l’objet d’un vif débat outre-Rhin : les partisans des Traditionsverein, emmenés par le patron du Borussia Dortmund Hans-Joachim Watzke, estiment qu’elle doit être renforcée et appliquée strictement, alors que certains, conduit par le président d’Hanovre Martin Kind et le mécène d’Hoffenheim Dietmer Hopp, plaident pour un assouplissement, voire une suppression de la limitation, au motif que celle-ci servirait surtout à protéger les clubs historiques et à empêcher l’émergence de nouvelles forces. Pour l’instant les premiers nommés ont l’avantage et le paysage sinistré des foots anglais, espagnols ou français avec leurs mirages artificiels venus de Russie, d’Egypte ou du Golfe et leurs clubs désormais sans âme plaident clairement en faveur d’un maintien de cette règle 50+1.

Collégialité

En outre, loin du modèle du président latin omnipotent et omniprésent qui a un pouvoir de vie et de mort sur son jouet (pardon, club), le football allemand a mis en place des structures équilibrées. Généralement, avec certains nuances, les clubs s’articulent sur une double entité, une société commerciale pour gérer la partie financière et sportive de manière dépassionnée et rationnelle, une association qui permet aux fans de s’exprimer et de garder (du moins en apparence) le contrôle du club. La direction est en général multicéphale : un président plutôt chargé de représenter le club et arbitrer les conflits, un pouvoir exécutif en mains de deux salariés du club, un directeur commercial ou financier et un directeur sportif, le tout chapeauté par un conseil de surveillance composé en principe de personnalités du monde politique et économique aux côtés d’anciennes gloires du club. Cette structure équilibrée ne garantit pas de monumentales erreurs de gestion et certains managers se sont vus indiquer la porte de sortie dans l’opprobre générale comme Michael Meier (Dortmund et Köln), Rudi Assauer (Schalke), Dieter Hoeness (Hertha et Wolfsburg), Andreas Müller (Schalke et Hoffenheim) ou, tout récemment, Frank Arnesen (Hambourg). Néanmoins, le système garantit une certaine stabilité aux clubs et les prémunit des caprices d’un patron excentrique.

Equilibre

Le maintien des clubs en mains locales s’est accompagné d’un contrôle strict des finances ; un endettement trop massif peut occasionner amendes, retraits de points ou refus de licence. Alors que, partout ailleurs en Europe, les clubs s’enfonçaient dans les dettes, l’endettement de la Bundesliga est resté sous contrôle, parfois au prix de mesures d’austérité drastiques pour des déficits largement inférieurs à ceux creusés par les clubs qui ont dominé le football européen ces dernières années. Forcément, cette discipline financière a entamé, temporairement du moins, la compétitivité du football allemand : comment rivaliser avec des clubs espagnols largement financés par des mécènes qui creusent un trou de quatre milliards en achats de joueurs en quelques années, alors que, dans le même temps, sans mécène, la Buli ne s’est endettée qu’à hauteur de cent millions d’euros (l’endettement actuel global), essentiellement pour des dépenses d’infrastructures ? Mais c’était reculer pour mieux sauter. Cette orthodoxie va peu à peu porter ses fruits. Alors que la masse salariale de la première équipe explosait ailleurs en Europe, elle est restée sous contrôle en Allemagne, n’excédant généralement pas 40% des recettes du club, contre par exemple 120% à Manchester City.

Spectateur ou téléspectateur ?

L’autre élément du succès économique actuel de football allemand, c’est la diversification des recettes. A la fin des années 1990, alors que les droits TV explosaient un peu partout en Europe, certaines théories affirmaient que le téléspectateur était l’avenir du football et non le spectateur. En effet, le premier nommé ne coûte rien et on peut faire ingurgiter de la publicité à des millions de téléspectateurs avachis sur leur canapé en même temps (et engranger les droits télé en conséquence). Alors que le nombre de spectateurs est forcément limité et coûte des frais de sécurité, d’infrastructures et de transports. Dans une vision extrémiste, cette approche plaidait pour des matchs à huis-clos ou, du moins, dans des stades à capacité réduite (exemple, la Juventus qui diminue la capacité de son stade de 40%). Comme en Allemagne, les droits télé sont restés longtemps modestes, cette théorie n’a jamais eu cours et il a fallu chercher d’autres sources de revenus. Alors qu’à l’étranger, le budget de certains clubs dépend à huitante pour cent des droits télévision (et qu’une chute de ceux-ci entraîne forcément une catastrophe), les Allemands ont tenté d’équilibrer leurs sources de revenus, de telle sorte qu’aucun poste ne dépasse les 25 à 30% du budget : sponsoring, billetterie et catering, droits TV, merchandising. Même un club artificiel comme Hoffenheim s’est fixé comme objectif de s’autofinancer d’ici 2015, sans l’apport de son mécène Dietmar Hopp. Cette diversification impliquait bien entendu une refonte totale des infrastructures et c’est là que les Allemands ont pris une avance considérable sur le reste de l’Europe en profitant de la Coupe du Monde 2006 pour ériger une armada de nouveaux stades qui rapportent beaucoup d’argent et sont ou seront bientôt complètement amortis. 
A suivre : stades, bières et Vollgas-Fussball
Si tu as manqué le début :

  • L’Allemagne est l’avenir du foot : la chute
  • L’Allemagne est l’avenir du foot : la descente aux enfers

Écrit par Julien Mouquin

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