On espère qu’ils ont eu un bon film dans l’avion

Dans un contexte où les amateurs de foot tendaient à s’intéresser davantage aux destins portugais ou suédois, l’équipe de Suisse (B) s’en allait exposer son nouveau statut de «top ten» mondial à l’autre bout de la planète. Elle en tirera l’une des défaites les plus pardonnables de son histoire.

On pouvait se demander qui était intéressé par ce match amical à Séoul. Les fans? Le prix du billet d’avion et l’enjeu du match ne valaient pas les thromboses de quinze heures d’avion. Les téléspectateurs? La plupart des honnêtes gens travaillent à ces heures-là en semaine et, oh Seigneur, on imagine quand même mal un employé de bureau suisse aller sur le site de la RTS, ou sur Facebook, ou même son mail privé pendant les sacro-saintes heures de travail (non mais!). Les joueurs? Pas vraiment. Ceux qui pouvaient se vanter d’une quelconque blessure se sont empressés de déclarer forfait et les autres faisaient davantage part à la presse de leur stratégie pour ne pas souffrir du voyage et du décalage horaire (il paraît qu’il faut continuer à manger comme à la maison; par exemple, prendre le petit-déjeuner à 23h. C’est dingue ça!) que de leur approche du match. Hitzfeld a bien essayé de prétendre que cela l’intéressait de tester ses joueurs en territoire inconnu et dans des conditions extrêmes, mais au vu de son attitude pendant le match, on peine à croire qu’il se sentait concerné.La vraie raison était d’ordre pécunier. Apparemment, l’ASF percevrait pas mal de pesetas  à faire venir la Nati en Corée du Sud (enfin non bien sûr, pas des pesetas,  c’est une expression… de vieux d’ailleurs… il faudrait que j’arrête ça…).  L’idée finalement n’est pas si idiote. Quitte à jouer un de ces amicaux de novembre dont tout le monde se fout, autant se faire quelques deutsche Marks (aïe, encore raté!). Et puis, des nations comme le Brésil ou l’Argentine ne se plaignent pas à chaque fois qu’ils doivent rapatrier leur joueurs «européens» pour les phases de qualification AMSUD.

Cependant, il y a toujours un certain risque à envoyer quasiment au casse-pipe une équipe qui tendait jusqu’alors à construire une confiance entourée d’une nouvelle reconnaissance et d’une qualification en Coupe du Monde. En d’autres termes, envoyer en Corée du Sud une équipe formée majoritairement de remplaçants qui n’ont, pour certains, jamais évolué ensemble, avec un timing de trois jours sur place pour un match sans enjeu si ce n’est de faire des tests utiles et d’engranger de la confiance. On n’est pas convaincu que ce soit l’idée du siècle.
Les Coréens, eux, jouaient un autre match. Les joueurs avaient déclaré qu’ils «vengeraient» leurs aînés de 2006 qui avaient été éliminés par un but de l’arcade de Senderos, essayant au passage de mettre la tête d’un défenseur coréen dans la cage, et par une renarderie de Frei. Enfin, pour les Coréens, il s’agissait plutôt d’un goal entaché d’une faute et d’un goal entaché d’un hors-jeu. C’est toujours marrant comme l’histoire est un truc qui dépend des points de vue.
De plus, telle une jolie paire de pantoufles en velours côtelé, l’équipe de Corée du Sud aime bien être à la maison (mais est moins à l’aise à l’extérieur), et peut s’appuyer sur ses supporters faisant résonner le stade en entonnant l’Hymne à la joie de Beethoven comme lors de la Coupe du Monde 2002. En bref, on avait là une opposition totale face à cette Suisse peu concernée et aussi à l’aise que Madame de Fontenay à la Route de Genève. Il y a même une sorte de désengagement symbolique dans l’idée du staff suisse de faire en sorte que les joueurs «restent à l’heure européenne», une manière de ne pas entrer pleinement dans l’atmosphère et le rythme local. Cela donna donc le match que l’on attendait clairement. Un match en trois étapes que nous définirons par trois termes signifiant le «travail» qu’était venu faire la Suisse mais n’ayant pas la même connotation (oh, merveille de la langue française).

Phase 1 – Le Boulot

D’abord, une première mi-temps où la Nati utilise sa supériorité technique et tactique pour, si ce n’est maîtriser le jeu, tout du moins éviter le danger. Les joueurs peuvent se tenir sur leur fraîcheur physique de début de match et Kasami marque un superbe but. Kasami, au passage, dont on a l’impression que cela fait dix ans qu’il évolue dans les équipes juniors alors qu’il n’a que 21 ans et qui avait hésité avant de porter le maillot rouge et blanc. On peut se réjouir tout de même de son choix. Les Coréens, eux, s’agitent et courent dans tous les sens en vain car Benaglio n’a même pas une intervention à faire.

Phase 2 – La Besogne

Déjà en fin de première mi-temps, les choses commencent à se gâter. Certains joueurs perdent en lucidité et en efficacité à l’image de Kasami qui enchaîne les fautes à valeur de carton dans un match officiel.  Sur les côtés, on est étonnement déçu des performances de Barnetta qui n’a pas digéré le décalage horaire (ou serait-ce son manque de temps de jeu en club?) et de Xhaka, pas du tout à l’aise dans cette fonction. Les absences de Shaqiri, Behrami et Lichtsteiner commencent vraiment à se faire sentir. Même si certains joueurs font plaisir encore en début de seconde mi-temps, comme Lang ou Ziegler, on sait déjà que l’équipe va finir par plier.

Phase 3 – La Corvée

Dès l’égalisation coréenne, les joueurs suisses perdent progressivement pied. Le naufrage sera collectif. Les joueurs donnent l’impression de sortir des caves du Comptoir suisse. Et malgré la résistance de Benaglio et surtout de l’incroyable engagement d’Inler, on ne peut éviter le 2 à 1 coréen à la 86e. Ensuite, le festival des remplaçants qui tentent de se faire de la publicité en marquant un but de loin n’est qu’anecdotique. Voilà, c’est fini, maintenant à la douche et c’est parti pour vingt heures de voyage.

L’aspect le plus absurde avec ce genre de match, c’est qu’il n’y a même pas lieu de tirer des enseignements vraiment crédibles. Barnetta a été médiocre? Une mauvaise performance d’un tel joueur, dans ce contexte-là, peut-il être une raison pour l’écarter du Brésil? Kasami a montré de belles choses et a marqué? N’aurait-il pas simplement mieux supporté le voyage que les autres? (Cette manie de répondre à des questions par des questions est généralement un truc qui me donne moi aussi envie de tarter mon interlocuteur). En bref, on ne pourra pas juger si Xhaka, Dzemaili ou Seferovic ont été indigents dans le jeu parce qu’ils n’ont pas le niveau ou simplement parce qu’ils n’ont pas dormi depuis deux jours. Sur un seul point, on aura un enseignement qui s’approche davantage d’une confirmation: aller au Brésil sans Inler serait une véritable catastrophe.
Avant la Coupe du Monde 2002, l’équipe de France s’était fourvoyée à faire une sorte de tournée de gloriole aux quatre coins du monde. Cela avait fini par le pathétique résultat que l’on sait. Nous n’en sommes certes pas au même niveau avec ce voyage en Corée du Sud mais il serait bon de réfléchir, à l’avenir, à l’utilité d’une telle épreuve lorsqu’elle présage d’une défaite annoncée, qu’elle tend à n’apporter aucune réponse aux éventuelles questions et, en plus, qu’elle met du plomb dans l’aile à notre 7e place FIFA crénom!
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Corée du Sud – Suisse 2-1 (0-1)

Séoul, World Cup Stadium, 30’000 spectateurs.
Arbitre : M. Abal (Arg).
Buts : 7e Kasami 0-1. 58e Hong Jeongho 1-1. 87e Lee Chungyong 2-1.
Corée du Sud: Kim Seunggyu; Lee Yong, Hong Jeongho, Kim Younggwon, Kim Jinsoo; Jan Hyunsoo, Ki Sungyueng; Lee Chungyong, Kim Boyyung (18e Lee Keunho), Son Heungmin (77e Nam Taehee); Kim Shinwook (83e Yun Illok).
Suisse: Benaglio; Lang (65e Fernandes), Schär (46e Senderos), Von Bergen (46e Lustenberger), Ziegler; Dzemaili, Inler; Xhaka, Kasami (71e Mehmedi), Barnetta (85e Drmic); Seferovic (73e Gavranovic).
Notes : la Suisse sans Lichtsteiner, Djourou, Rodriguez, Behrami ni Shaqiri (blessés). But de Kim Shinwook annulé pour hors-jeu (13e).
Cartons jaunes : 61e Dzemaili. 80e Kim Shinwook.

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1 Commentaire

  1. Match amical inutile, si ce n’est pour remplir le porte-monnaie de la Fédération. Mais bon on s’en fout, on est au Brésil pendant que d’autres pays se chient encore au froc !

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