Notre Sepp à nous ! (2/4)

On vous épargne les détails sur sa fulgurante trajectoire, jusque dans les hautes sphères du foot mondial, ceci n’étant pas non plus une nécrologie ! Bref. En 1975, il entre à la FIFA dans le secteur développement. Adidas lui met à disposition ses bureaux. On l’appelle «Mister Coca-Cola», la firme finançant bon nombre de ses projets.

Dans la foulée, histoire de mettre toutes les chances de son côté, il épouse Barbara, la fille du secrétaire général de la FIFA, Helmut Käser. Sans doute pour le «GOOD OF THE GAME», il se livre à quelques manigances avec son ami et mentor, Dässler, fondateur d’Adidas, pour prendre la place de son beau-père. C’est chose faite en 1981. En 1990, il est nommé directeur exécutif et s’occupe de plusieurs Coupes du Monde. C’est la période faste de Blatter, style amour, gloire et beauté. Tout lui sourit. Il surfe alors sur la vague de la réussite. Sur les hauts de la ville de Zurich, le monde s’étale à ses pieds. Après toutes ces années de bons et loyaux services, il se prend même à rêver de présidence.
En 1994, l’idée l’effleure mais il n’ose cependant pas faire acte de candidature contre João Havelange. L’homme est rusé, il sait qu’il se ferait balayer si d’aventure il se frottait au tout puissant Brésilien. Il attend donc patiemment son heure et manoeuvre en coulisses.
Si bien qu’en 1998, il est élu à Paris et écrase son rival, le Suédois Lennart Johansson, alors président de l’UEFA. Des bruits circulent déjà à l’époque. Des rumeurs font carrément état d’enveloppes (22 remplies de 50’000 dollars chacune) qui auraient passé d’une main à l’autre, la veille de l’élection, dans un hôtel huppé de Paris, pour acheter ses voix, selon le journaliste anglais David Yallop, auteur de «How they Stole the Game». Ouvrage que Blatter réussira par ailleurs à interdire de vente en Suisse. La planche est déjà bien savonnée pour le Haut-Valaisan.
Mais en dépit de ses révélations compromettantes, Blatter a le vent en poupe et accède au comité olympique en 1999. En 2002, après quatre ans de règne sans nuages, de poignées de main, de promesses à tenir et d’alliés à remercier, le temps se couvre sur la FIFA. Quelques semaines avant la Coupe du Monde en Corée du Sud et au Japon, alors que Blatter peaufine sa campagne pour sa réélection – c’est-à-dire se déplace en jet privé aux frais de la FIFA pour aller acheter ses voix – son plus fidèle lieutenant, Michel Zen Ruffinen, jeune et fringant secrétaire général, met le feu aux poudres. Il révèle des pertes inexpliquées à la FIFA, de l’ordre de 100 millions de francs. Il dénonce aussi publiquement les dysfonctionnements au sein de l’association de football et critique le «système Blatter», espèce de gouvernement parallèle, complètement opaque, avec son fonctionnement autonome et qui n’a de comptes à rendre à personne. Totalement incompatibles avec les règlements en vigueur.

Dans son cahier des charges, le secrétaire général est en effet le directeur exécutif du secrétariat central. Blatter n’en fait alors qu’à sa tête, il veut le beurre (la présidence) et l’argent du beurre (le poste hautement stratégique de secrétaire général). Mais Zen Ruffinen sait aussi qu’en cas de problème grave, de couac au niveau de la gestion du secrétariat général, il devra en répondre devant le Comité exécutif. Le Valaisan, voyant le vin tourner au vinaigre, prend les devants et déclenche alors un tsunami dont Blatter ne se remettra finalement jamais.
Abasourdi par tant d’audace de la part de son «fils spirituel», Blatter somme Zen Ruffinen d’apporter des preuves à ses allégations. Mais, lâché par ses appuis qui lui avaient pourtant promis un soutien sans faille, il se retrouve seul, David face à Goliath. En pleine Coupe du Monde 2002, lors du congrès de Séoul, Blatter est réélu dans une ambiance délétère. Le secrétaire général, le traitre, est poussé vers la sortie, au même titre que 24 de ses proches collaborateurs. A son sujet, Don Julio Grondona dira : «Michel est une très mauvaise personne !» Drôle de considération pour un type intègre qui a tout perdu en voulant dénoncer les magouilles de ses supérieurs.

Le système Blatter très mal en point

John Sugden et Alan Tomlinson signent en 1998 «FIFA and the contest for world football : who rules the people’s game ?» Ciblant plus particulièrement la période 1970-1998. David Yallop publie en 1999 «How they stole the game» (comment ils ont volé le jeu). Comme Sugden et Tomlinson, il dénonce notamment la gestion de João Havelange. Dans la même veine, Andrew Jennings publie en 2006 «Carton rouge !» où il dénonce la gestion de Sepp Blatter en reprenant nombre de données déjà publiées par Yallop (élections «truquées» en 1994 et 1998 entre autres).
La FIFA tenta, en vain dans les deux derniers cas, de faire interdire la publication des ouvrages. Le premier n’eut aucune conséquence majeure à la FIFA tandis que le second a servi au juge d’instruction du canton de Zoug, Thomas Hildbrand, spécialisé dans les crimes et délits économiques, pour son enquête sur la société en faillite ISL et sur la FIFA. Ses investigations l’avaient même amené à perquisitionner dans les bureaux de la FIFA à Zurich, en novembre 2005, en raison de forts soupçons de détournement de fonds et de corruption.
Le 11 juin 2006, alors que la grande messe de la Coupe du Monde bat son plein en Allemagne, la BBC diffuse un reportage où apparaissent d’anciens employés d’ISL confirmant le versement entre 1982 et 2001 de pots-de-vin aux dirigeants de la FIFA.
Sepp Blatter refuse de participer à ce reportage, mais nie les faits. Les équipes de l’émission d’informations BBC Panorama sont mises à l’index par la FIFA, mais les journalistes britanniques de la BBC répliquent le 10 décembre 2006 en diffusant un reportage suivant l’affaire ISL/FIFA et dénoncent également des irrégularités dans les ventes des billets de match pour la Coupe du Monde. BBC Panorama poursuit sa série sur la FIFA avec un nouveau reportage diffusé le 22 octobre 2007. L’enquête a été bouclée en 2010 et aucune charge n’a été retenue contre la FIFA ou son président.
A la suite de la désignation de la Russie et du Qatar comme pays organisateurs des Coupes du Monde 2018 et 2022, de forts soupçons de corruption pèsent sur certains membres du comité exécutif de la FIFA. Soupçons confirmés en 2011 par le bannissement à vie de toute activité liée au football du Qatarien Mohamed Bin Hammam, ce président de la Confédération asiatique étant accusé d’avoir acheté des voix dans le cadre de l’élection présidentielle de l’instance.
En juillet 2011, le New York Times déclenche une nouvelle polémique. Le quotidien met en évidence l’existence de matchs truqués (profitant aux bookmakers), de détournements de fonds et de corruption au sein de l’organisation (des cadres anglais et australiens se seraient plaints de demandes de pots-de-vin de la part des dirigeants de la FIFA).

Le FBI sur le coup

Le FBI témoigne aussi d’un intérêt pour l’étrange décision d’attribuer au Qatar l’édition 2022 de la Coupe du Monde. Les agents sont en possession d’informations spécifiques mais laissent l’affaire de côté pour le moment. Un autre groupe d’enquêteurs travaillent aux côtés du FBI sur une autre affaire sulfureuse de billets de la FIFA.
 
A la suite des révélations de 2010 faites par des journalistes de Sunday Times et de l’émission de la BBC Panorama traitant d’affaires de corruption au sommet de la FIFA, Blatter aurait dû être évincé et ses transactions financières personnelles passées au peigne fin. Au lieu de cela, on lui a permis de s’en tirer en annonçant des enquêtes «indépendantes» qu’en réalité il contrôle.

Il n’en rate pas une

Depuis une décennie les affaires s’accumulent, les procès pleuvent, les plaintes affluent mais Blatter tient toujours le cap. Un de ces récents dérapages «le football est plus fort que l’insatisfaction des gens», en réponse aux manifestations monstres des Brésiliens, est la preuve que le Haut-Valaisan est, à 77 ans, déconnecté des réalités. Le ridicule le dispute au pathétique dans le dernier scandale qui a soulevé la colère du monde sportif et de la classe politique tant madrilène que portugaise fin octobre.
«Leo Messi est un bon gars. Tous les parents aimeraient l’avoir à la maison. L’autre (Cristiano, qu’il ne nomme pas) est comme un commandant sur le terrain. […] L’un dépense plus chez le coiffeur que l’autre, mais je ne peux pas dire qui est le meilleur» avait-il lancé devant une salle comble de l’université d’Oxford, hilare. Des déclarations accompagnées d’un mime grossier. Indignée, la presse portugaise (A Bola) lui avait rétorqué en une : «Pourquoi tu ne la fermes pas ?».
L’homme n’a pas ou que très peu d’amis, une vie sentimentale quasi désertique (trois mariages, autant de divorces). Il dit lui même qu’il n’a pas le temps : il est marié avec la FIFA. Du haut de son trône, il se la joue «Dieu tout puissant». Mais si Blatter est à la FIFA, la FIFA n’est, en revanche, pas à Blatter ! On va bientôt servir la soupe à la grimace sur les hauteurs de Zurich. Les singes du zoo d’en face vont avoir de la concurrence !
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

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3 Commentaires

  1. Grand bravo pour cette série passionnante et bien écrite.
    Je commence à me demander si cet affreux personnage ne restera comme le Suisse le plus détesté de l’histoire. Ce ne serait que justice, puisqu’on peut douter qu’il ait un jour à répondre devant un juge de sa brillante carrière.

  2. oui c’est courageux de dire et écrire tou haut ce que tout la presse ne veut et n’ose pas étaler. C’est pourant très intéressant et cela fait peur de savoir que ce noble sport se trouve dans les mains de ces personnes sans scrupuls. Alors un carton rouge à Blatter.

  3. Bravo ! Magnifique série sur la FIFA de Blatter. Du VRAI journalisme. Cela met tout de même en relief le silence des autres médias romands / suisses…

    Ces articles, comme ceux sur le FC Sion vs. l’UEFA, mériteraient une plus large diffusion.

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