Saga 1994 : Yvan Quentin, simple comme un bon Valaisan

La Coupe du monde chez les Quentin, c’est une tradition. Après l’oncle René-Pierre, d’Angleterre, voici le neveu d’Amérique. Yvan, tout juste 24 printemps, prend les choses comme elles viennent, la pression, celle qui paralyse parfois en début de match, sera là bien assez tôt.

«De nos adversaires du premier tour, je connais les Etats-Unis et la Roumanie, sans ses mercenaires. La Colombie, de réputation. C’est impressionnant, c’est l’inconnue.» Mais Yvan n’en a cure. «Des inconnues, comme le foot dans un stade couvert, nos capacités de récupération d’un match à l’autre, l’heure inhabituelle des rencontres, la réaction des organismes. Il y a un mélange d’appréhension et de beaucoup de joie.»
De cette euphorie qui transforme le rêve en réalité. L’équipe surprise, il y en a toujours eu: «Pourquoi pas nous?» se demande le Sédunois. «Nos adversaires ne nous attendent pas. Pour eux, nous restons les petits Suisses.»
Et de songer à ceux qui restent à la maison: «Cela fait drôle de penser que Cantona, Papin, les Anglais et d’autres stars resteront devant leur TV.» Et dans la foulée, de souhaiter l’élargissement à 32 finalistes: «Pour donner une chance aux petites nations.» Mais les «Petits» n’ont pas attendu les largesses de la FIFA pour aller faire la fête chez l’Oncle Sam. Et le Japon? «Pas pour y jouer en championnat mais peut être qu’en 2002, la Coupe du monde… j’aurai 32 ans et la Suisse sera qualifiée!»
En attendant, Yvan voyage de temps en temps: «J’ai beaucoup aimé la République dominicaine et l’Angleterre, pour son style de vie, sa mentalité.»

Le football, c’est fait pour rêver, surtout si la réalité est parfois cruelle. Le cadre doré du football n’est pas épargné. La corruption? «Ce doit être dur pour les joueurs honnêtes d’apprendre que l’on a triché à leur insu. Glassmann? Il a certainement agi selon sa conscience. Mais on ne peut pas se mettre à la place des gens et connaître leurs sentiments, leurs motivations.»
Quentin partage les préoccupations de  sa génération: «La drogue, c’est un problème grave. Je pense qu’il faut agir auprès des tout jeunes par la prévention. Nous sportifs sommes tout de même privilégiés», pas Maradona… «C’est un tout grand joueur, il a tout gagné. On a manqué de tolérance à l’égard de ses problèmes extra-sportifs.»
Menuisier de formation, Yvan n’a pas eu le temps d’exercer longtemps sa passion: «J’ai toujours voulu faire ce job. Déjà tout gosse, je me passionnais pour le travail du bois.»
Des rêves, il en a plein la tête. Son regard pétille, l’Amérique, c’est tout près: «Je rêve de conserver les choses qui font mon bonheur, ma famille, mes copains, la santé, c’est ce qui compte.» En bon Valaisan, Yvan mesure la valeur des choses importantes: «Ce que j’aime chez les autres, c’est l’honnêteté, la franchise, Chez une femme, sa simplicité.»
Le défenseur, de caractère réservé, se métamorphose sur le terrain: «C’est ma seconde nature. J’ai besoin de me défouler, sans être agressif.» Quentin n’a pas d’idole mais beaucoup d’admiration pour les personnes handicapées qui pratiquent une activité sportive: «Comme Jacques Blanc, par exemple. S’il m’arrivait quelque chose, je ne sais pas si je serais capable de faire comme eux. Je suis toujours prêt à soutenir leur cause.»
Côté hobby, le ski entre copains, c’est un chapitre entre parenthèses: «Je pratique le tennis avec plaisir. J’ai joué une fois en double avec Stefan Lehmann contre Herr et Geiger, mais Stefan m’insultait à chaque faute, ça me plait moins.» Quentin n’est pas un tricheur: «L’argent c’est important bien sûr. Je gagne ma vie avec le football. Mais le plus important, c’est le plaisir.» Pour l’hymne national, il faudra repasser: «A ce moment-là, je songe surtout aux consignes pour les corners et les balles arrêtées.»

Interview, 20 ans plus tard

1. Quel a été ton meilleur souvenir ?
Il m’est très difficile d’en sortir un seul… Tellement tout a été magique, dès le moment du départ pour le Canada en camp d’entraînement jusqu’à nos derniers moments sur place,  tout a été vécu comme dans un rêve. Ce qui m’a le plus marqué fut le degré d’organisation incroyable, tout était organisé pour nous (hôtel, trajets, entraînements). On se déplaçait tous les jours aux entraînements accompagnés de motards de la police et de voitures (comme dans les films, ils bloquaient toutes les routes devant nous et derrière nous) et les routes, ce n’était pas des routes cantonales !
Autre souvenir, le trajet que nous avons fait en jet privé depuis Detroit jusqu’à San Francisco était aussi impressionnant, on avait le sentiment d’être des rock stars en tournée.
Le Silverdome était aussi magique, avec ses odeurs, son ambiance. Depuis le couloir pour rentrer sur le terrain, il y avait un espèce de sas. Quand ils ouvraient la porte, tu devais te cramponner pour pas tomber à cause de la pression de l’air à l’intérieur.
Autre souvenir génial, c’était l’ambiance dans l’équipe, pas de stars, pas de gonflés, personne qui avait la grosse tête, ni dans l’équipe, ni dans le staff, ni dans l’encadrement. La qualification pour les huitièmes contre l’Espagne fut aussi un très bon souvenir.
2. Quel a été ton pire souvenir ?
Le pire fut certainement l’élimination en huitièmes, même si on était pas mal sur les rotules, je me dis encore maintenant, qu’on aurait pu faire mieux contre l’Espagne. Cela reste le moins bon souvenir de cette Coupe du Monde. C’est ma façon de le voir, peut-être que de l’extérieur l’élimination était «correcte», mais de mon coté je me dis que si on y avait cru un peu plus… qui sait.
3. Quelle est ton occupation actuelle ?
Je jongle entre deux jobs depuis début 2014. Je travaille à 80% comme spécialiste SAP RH à l’Etat du Valais et je travaille à 20% comme Assistant RH (responsable paie) chez Cimo à Monthey.
4. Quel est ton pronostic pour la Suisse au Brésil ?
Délicat de faire un pronostic pour notre Nati… Tout peut arriver là-bas, je dirai juste que la Nati a largement les moyens de passer au moins le premier tour. La qualité du contingent est énorme, son expérience également. Je ne pourrai pas être au Brésil mais sûrement devant le poste avec des amis et la famille.
Pour terminer en beauté, laissons Yvan Quentin livrer en vrac ses souvenirs: «Des anecdotes, j’en ai encore tout un tas, mais ca me prendrait trop de temps pour tout écrire et certaines sont sans grande importance et pourraient paraître futiles. Pour la personne qui n’était pas là-bas, il faut bien se dire qu’on vivait vraiment dans une bulle, qu’on faisait rarement quelque chose seul, chaque sortie était accompagnée par la police, sortir du périmètre de l’hôtel était exclu. Mais des anecdotes, il y en a tout plein encore, même des petites:
– la récupération à la piscine;
– le fait de ne jamais pouvoir se faire masser car Georges Bregy était sans arrêt sur la table de massage;
– la salle de repos avec les consoles de jeux, flippers, billards;
– les contrôles anti-dopage avec retour à l’hôtel deux heures après l’équipe en limousine accompagnée de la police américaine;
– les séances d’entraînement dans des chaleurs énormes;
– les vestiaires, destinés plus à des équipes de football américain qu’a des équipes de foot (on avait au moins de la place);
– les larmes de certains de nos dirigeants lors de la dernière séance (la veille du retour en Suisse).
Voilà un peu ce que je peux te raconter. Ça fait 20 ans de cela, mais j’ai toujours l’impression de sentir l’odeur du pop-corn du Silverdome. Il y a des choses qui se sont passées il y a 20 ans, mais on dirait presque que c’était hier.

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