Un US Open fermé à tous (ou presque) ?

Alors ce « monde d’après », c’est fun ? On est déjà submergé par l’altruisme et la solidarité ambiants ? Un coup d’œil en direction de Tourbillon, un autre du côté de la Maladière… Ouf, rien n’a changé. Nulle part. Car vous imaginez bien que le football n’a pas le monopole du nombrilisme. Le fait que la société de management du nouveau proprio de Xamax – par ailleurs directeur du tournoi masculin de Gstaad et du Ladies Open de Gst… enfin de Lug… euh de Bie… non, pardon, de Vidy – s’appelle Grand Chelem est une transition toute trouvée vers un autre sport dans lequel l’égoïsme teinté d’élitisme est roi : le tennis.

Aucun acteur du microcosme de la petite balle jaune post-COVID n’a accepté de répondre à nos questions, faute de temps. En effet, chacun est fort occupé à essayer de tirer la proverbiale couverture à lui en ce moment, quitte à la déchirer. Du foyer balkanique de la deuxième vague (l’Adria Tour de celui que d’aucuns appellent déjà Novaxx Djocovid, aux allures de partouze géante pour votre serviteur socialement distant) à l’Ultimate Tennis Showdown (quand Benoît Paire est une de tes têtes d’affiche, normalement tu la ramènes pas autant) du plus grand mégalomane de l’Hexagone en passant par le déplacement sauvage – et impuni – de tournois du printemps à l’automne, on sent que la demande d’union sacrée de Roger Federer a été aussi bien comprise qu’une tentative de phrase P de Guy Parmelin. On vous l’accorde, la longueur de notre propre assemblage de sujet-verbe-complément aurait certainement renvoyé notre ministre sur son oreiller de paresse avant la première virgule. La reprise au pas de charge des circuits ATP et WTA avec en point d’orgue la tenue de l’US Open – véritable Majeur dressé face au bon sens – en septembre prochain a même tendance à cristalliser à peu près tout ce qui ne va pas avec un sport dont les instances semblent marcher sur la tête depuis de nombreuses années déjà. On vous explique tout ça dans un style qui fait Füh… euh pardon fureur à la Maison-Blanche depuis bientôt quatre ans: en quelques tweets.

2 continents, 5 pays, 2 surfaces, 7 tournois (dont 2 Grands Chelems et 3 Masters 1000). Le tout en 7 semaines. Don d’ubiquité non inclus dans le package. Le 17 juin, jour de la publication de ce calendrier new look, on dénombre un total de plus de 2 millions de tests positifs au COVID-19 pour 119’000 morts sur sol américain dont 211’000 cas et 17’389 décès à New York (qui sera le théâtre de deux tournois en trois semaines). Le 16 juin, 23’047 nouveaux cas étaient recensés au niveau national dont 631 dans l’Etat de New York.

Bon, mais on joue à huis clos avec des joueurs qui n’ont pris aucun risque depuis le mois de mars, donc c’est bon, non ?

Oups… Bon timing pour une remise en question de toute la pyramide du tennis mondial en commençant par son sommet, non ?

« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Bon, mais le circuit féminin au moins est plus raisonnable et attend d’en savoir un peu plus avant de plonger ses ouailles dans l’inconnu, non ?

Au temps pour nous, le programme est aussi copieux que le casse-croûte de Daniel Brélaz après son ascension annuelle des Escaliers du Marché. OK, mais en tout cas du côté de l’ATP Tour, on reste encore prudent sur d’éventuelles compétitions après la mi-octobre, non ?

On imagine qu’ils ont demandé l’aval des différentes fédérations internationales, comme à leur habitude. Et sinon, aucun souci majeur de calendrier, chevauchement ou autre favoritisme pour les gros tournois, hein ? Finalement, de quoi se plaint-on ?

Voilà voilà… Sans compter le fait que les Challengers, tournois ITF et autres qualifications (celles de l’US Open notamment) accessibles aux moins bien classés sont évidemment autant une priorité pour Andrea Gaudenzi que la lutte contre le racisme pour Marine Le Pen à l’heure actuelle. Mais heureusement, les déshérités de la planète tennis devraient aisément se contenter des miettes qui leur seront laissées par leurs collègues nantis sous la forme de compensations et subventions. 6,6 millions de dollars à partager entre tous les joueurs et tournois lésés, en sachant qu’en temps normal une défaite au premier tour des qualifs à Flushing Meadows vaut déjà 11’000 dollars par tête de pipe et que l’USTA va de son côté pouvoir encaisser les 62 millions (!) versés par ESPN pour la diffusion du tournoi. La théorie du ruissellement, c’est bien connu, ça marche du tonnerre. D’ailleurs ces pauvres bougres sans le sou n’ont sûrement rien remarqué.

Aïe, grillés ! Dieu merci, la popularité du grand patron de l’ATP est toujours intacte parmi les privilégiés de la raquette, c’est tout ce qui compte après tout !

Non plus ? On aura essayé… Il ne nous reste plus qu’à retenir les sages paroles de Greg Rusedski qui, sans condescendance aucune (qu’allez-vous encore imaginer ?), nous affirme en bon élitiste, le postérieur baignant dans la crème (probablement celle qui ne sera pas utilisée pour les fraises à Wimbledon cette année), que tout cela n’est qu’une question de choix, de prise de risque et de travail. Le rêve américain en somme.

Effectivement, si vous faites partie du top 128 et êtes donc automatiquement qualifié pour l’US Open, ce tweet est vraiment top. Ah et il faut aussi habiter dans un pays qui a réouvert ses frontières. Et dont les ressortissants ont le droit d’entrer aux Etats-Unis actuellement. Facile. Bon, ce qui est sûr, c’est que tout le monde est à court d’entraînement depuis le début du confinement, hein ? Pas d’excuse, on est tous à la même enseigne !

Comment ? Vous seriez en train de nous dire que les inégalités existantes ont encore été creusées par la crise ? En plus du fait que les 100 premiers mondiaux (voire plutôt les 60 premiers dans le cas d’un Masters 1000) vont pouvoir accroître leur avance sur le reste de la meute en toute quiétude au cours des mois à venir ? On n’y croit pas une seule seconde ! D’ailleurs on est certain que Stefanie Vögele a également obtenu l’autorisation des organisateurs de planter une réplique du Arthur Ashe Stadium dans son dortoir sans fenêtres de Macolin.

D’accord, mais là c’est tout, on en est sûr ! Et puis on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, comme on dit !

Ah ouais, quand même… Bon, après moins de 24 heures d’une authentique shitstorm sur Twitter, la fédération américaine a battu le record de l’heure de rétropédalage sur piste à ce sujet. Discriminer les handicapés à la veille de Juneteenth, pendant Pride Month et en pleine lutte pour les droits des minorités sur tout le territoire US, c’était quand même un peu fort de café.

Le mépris de classe, ça par contre il n’y a aucun problème. Et tout cela n’a rien à voir avec le fait que les stars ont tout à coup le droit d’emmener jusqu’à trois membres de leur staff au lieu d’un comme initialement prévu, n’est-ce pas ? Il serait impossible de justifier l’absence du prolétariat du tennis dans son ensemble par la présence du coiffeur personnel de celui qui passe de plus en plus pour un Djokonnard et de l’esthéticienne attitrée de l’Incroyable Hulk des Baléares quand même (OK, là on invente, mais on ne doit pas être si loin du compte), ça irait trop loin. Tiens, on est même sûr que le Big Three est monté au créneau pour défendre la veuve et l’orphelin et a carrément menacé de boycotter les festivités.

On arrête ici cette démonstration du fait que le sport fonctionne exactement comme notre société dans laquelle on ne prête qu’aux riches, aux puissants et aux bien-portants ou bien on fouille encore pour savoir ce qui est arrivé aux autres tournois de catégorie 250 qui n’ont pas survécu au cut final ? On est certain que la sélection de Kitzbühel comme seul représentant de ce niveau au détriment (pour l’instant en tout cas) d’Atlanta, Winston-Salem ou Metz n’a absolument rien à voir avec le fait que la station de ski autrichienne n’accueille aucun client dont le compte en banque est inférieur au PIB de Monaco. On pourrait aussi se demander pourquoi on peut jouer au sud du fleuve Saint-Laurent (Washington, Cincinnati délocalisé dans la Grande Pomme, US Open) alors que la situation sanitaire au nord de celui-ci (Toronto) apparaît nettement meilleure que dans la République bananière voisine. Mais ce serait chercher la petite bête, et dieu sait si on répugne à le faire sur Carton-Rouge. Vous nous connaissez, les tacles à pieds joints en pleine carotide, c’est pas notre truc.

On laisse le mot de la fin à un membre honoraire de notre rédaction, le génialissime Nick Kyrgios. On en connaît un qui doit être Djokolivide.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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