Le conte de Monte-Carlo (1)

On vous l’avait promis après l’annonce de l’affiche de la finale de National League, notre rédacteur préposé aux sports qui n’intéressent finalement pas grand monde (hockey vaudois, foot féminin et tennis) a pris ses cliques et ses claques et est parti s’établir sur le Rocher pour faire d’une pierre deux coups droits. Comme il paraît qu’un obscur club de tennis local organisait une petite sauterie printanière impliquant quelques seconds couteaux et autres tâcherons, c’était l’occasion d’y jeter un œil furtif. Et on n’en est pas resté de marbre, comme dirait Granit Xhaka, un autre aficionado du gros caillou monégasque (pas du tout, mais il était parfait pour cette vanne parrainée par Carambar). C’est parti pour l’épisode 1 !

Vendredi

On a senti que ça risquait de vite mal tourner quand on s’est fait breaker d’entrée après même pas 90 minutes de périple. Genève-Monaco, ça prend 6h18 selon Google Maps. Quand tu te trompes de trajet, te perds, fais demi-tour pour éviter les embouteillages, essaie d’utiliser deux GPS en parallèle, finis quand même par passer 1h dans les bouchons et pars à la recherche d’une pharmacie en pleine brousse provençale au milieu de tout ça, ça peut vite prendre… 12h.

Allégorie du voyage: quelques revers cuisants ont été essuyés en chemin.

Monte-Carlo 1 – Carton-Rouge 0. Deuxième set dès demain matin au Country Club après une nuit réparatrice.

Samedi

On ne vous donnera pas l’adresse de notre hôtel tant on veut garder sa découverte pour nous. Clean au possible, vue sur la mer depuis le petit déj’, calme absolu, stores hermétiques, isolation appropriée. Ou alors c’est la tonne de médocs antihistaminiques qu’on ingurgite qui nous fait planer jusqu’au matin, qui sait ? Même le trône de la salle de bain est confortable. Et pourtant on vous parle d’un trois étoiles hexagonal, pas du palace réservé aux participants au tournoi et autres nouveaux riches monégasques (on vous en reparle bientôt de celui-là).

La gare de Beaulieu-sur-mer, c’est un autre délire. Deux voies sans réelle indication qui pourrait nous aiguiller (un comble) au sujet du train qui s’apprête à entrer en gare ou encore nous confirmer que nous sommes bien sur la voie 1 (ou 2). Et ça c’est si on a eu le temps de prendre un billet au seul automate disponible et surtout bien caché dans un recoin de la gare et sur lequel il faut tourner une sorte de cadran téléphonique du XIXème siècle et « valider » au bas mot 45 fois pour obtenir notre sésame pour Monte-Carlo.

Voilà un endroit qui parlera aux fans de l’album de Spirou intitulé Qui arrêtera Cyanure ?

Le train lui-même est aussi bondé que le Voyeboeuf la Raiffeisen Arena un soir de sauvetage, tant et si bien que certains passagers n’ont d’autre choix que de prendre place debout dans les… toilettes. On a d’ailleurs apparemment confondu le système d’aération du compartiment avec celui des égouts de la ville vu l’odeur ambiante. On terminera ce paragraphe avec une pensée pour le gars qui avait décidé d’embarquer avec son vélo au milieu de ce qui s’apparentait désormais à un wagon à bestiaux. Il n’avait probablement pas encore appris à s’en servir puisqu’il poussait le vice jusqu’à l’introduire – à la verticale – dans un ascenseur à son arrivée dans la cité monégasque. Il venait probablement juste le rendre à un pote qui l’avait oublié. Finalement on vous passe l’épisode du mec qui avait décidé de siffler (juste, Dieu soit loué) pendant les 20 minutes de voyage, on en a encore des acouphènes.

Monaco, seul lieu au monde où on choisit sa place en fonction de l’inclinaison du soleil.

Bref, c’est quand même plus facile d’ensuite rejoindre le Country Club quand tu connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui conduit l’une des Maserati officielles du tournoi et qui peut t’épargner les 30 minutes de marche entre la gare et le club ou notre bétaillère en semi-grève favorite voire un bus-navette tout aussi bondé. Après l’acquisition d’un billet journalier pour le Court Rainier III, direction les annexes pour suivre quelques entraînements parmi une foule drôlement compacte pour un samedi de qualifications. Compacte et aux deux tiers italophone, Monaco se trouvant à 26 km de Ventimiglia (une ville chère) et la présence de Jannik Sinner, Lorenzo Musetti, Matteo Berrettini et Lorenzo Sonego dans le tableau aidant.

Le fameux Tétanos Tsitsipas – majeur, vacciné et double tenant du titre – et son papa travaillent les bases.

Pas encore dans le tableau samedi, mais rassemblant déjà une belle cohorte de fans transalpins bruyants, le fort prometteur Luca Nardi, 19 ans et 159ème mondial, se débarrasse d’Inconstant (ce jour-là) Lestienne dans une ambiance de corrida sur le central. Un bon rappel que Monaco n’est pas en France malgré tout ce que le foot veut nous faire croire. Quelques minutes plus tard, un Benoît Paire étrangement apaisé (vous allez voir, cela ne durera guère que 24 heures) se débarrasse aisément d’un Grégoire qui n’est pas vraiment une Barrère, ou en tout cas pas très haute.

Les carrosses sont avancés.

Le menu fretin tennistique ayant été englouti, il est maintenant temps de rendre visite au Monte-Carlo Bay (prononcez « Monte-Carl’ Oseille », à moins que ce ne soit « Monte Carlo Paie »), hôtel 12 étoiles (au moins) dédié aux joueurs en cette semaine de Masters 1000. Moyennant une pinte de Heineken à 17 euros (ou une blanche bio locale 33cl au prix modique de 12 euros, pour rester dans le snobisme absolu – même si une IPA aurait encore mieux fait l’affaire), il est donc possible d’assister à un défilé de stars et de leur entourage au restaurant des joueurs ou au bar lounge du lieu. On y croise notamment David Goffin et son coach qui se tapent un combo Coca-Corona-cancer des poumons. Hein ? Ah on ne vous l’avait pas dit ? Le bar est fumeur. Oui oui, un établissement qui accueille des sportifs d’élite au pic de leur effort, le tout à l’intérieur bien sûr. On en déduit donc que dans la cité princière, on est bloqué en 2009. Ou alors on manie l’ironie à merveille.

« Oui, allô Credit Suisse ? Ce serait pour débloquer des fonds pour un apéro… »

Monte-Carlo (et son sponsor Heineken) 2 – Carton-Rouge (et son porte-monnaie) 0. Allez, on y retourne demain !

Dimanche

Rune: « Pat, tu as beau t’agenouiller, je te rappelle qu’officiellement on ne collabore plus. » Medvedev: « Moi j’aime pas la terre battue d’abord. »

En ce deuxième jour, on décide de se procurer un laisser-passer pour le Court des Princes, théâtre de l’affrontement entre notre compatriote Marc-Andrea Hüsler et Jaume « Mobylette » Munar en fin de journée. Autant vous dire qu’avec le bal des vedettes au balcon adjacent pendant les matches, il est difficile de rester concentré sur le jeu. Goffin, encore lui, flanqué de son staff, est aux premières loges pendant une bonne partie de l’affrontement entre Benoît Paire et Alexei Popyrin. Son compatriote Kristof Vliegen, lui aussi présent par intermittences, a d’ailleurs cette sortie mythique en début de partie, largement dominée par le Français: « S’il joue bien c’est beau et s’il ne joue pas bien c’est magnifique ! »

Fin du suspense: figurez-vous que ça a commencé par être beau avant de progressivement devenir magnifique. De 6-2 5-1 pour un Paire aussi royal que le HCC pendant deux matches d’une série best of 7, on est passé à 6-2 6-7 4-6. Un Paire et manque (une expression en tout cas pas galvaudée dans le Las Vegas de la French Riviera). Et on n’en restera pas là en termes de défaites mortifiantes.

Surtout ne pas mettre les deux pieds dans le même soulier !

Hüsler-Munar, c’est le blockbuster hollywoodien de fin de journée dans la Principauté. Sauf que les trois quarts du stade sont vides, la faute à un public italien – toujours présent en force – rassasié par la victoire de son héros Jannik Sinner en double et surtout à une température passée de 15 à 13 degrés au coucher du soleil. Cette différence vous paraîtra sûrement minime, mais figurez-vous qu’entre un 15 degrés au soleil de la Côte d’Azur et un 13 degrés à l’ombre, on passe en quelques secondes du combo t-shirt-casquette-risque d’insolation élevé à la doudoune. A Monaco, en avril on peut se découvrir d’un fil, mais seulement entre 11h et 17h. Une journée de travail complète en France en somme.

Le deuxième coup de froid viendra de Jaume « je-crie-comme-Nadal-en-espérant-en-vain-que-mon-coup-droit-passera-la-ligne-du-carré-de-service » Munar. Sacré faussaire. A côté de son limage incessant, le jeu du Zurichois est aussi beau – mais surtout aussi fragile – qu’un vase en porcelaine antique. Comme le gratteur d’en face n’est pas exactement conservateur de musée, il y a comme un problème. Et pourtant, malgré moult mauvais choix et pléthore de fautes directes commises de guerre lasse après le 112ème renvoi adverse en cloche, on se retrouve à 4-1 double break dans la manche décisive, avec un Espagnol proche de la crise de nerfs.

Image that precedes an unfortunate event.

Sauf que, comme chacun sait, le ressortissant helvétique est poli de nature. Pour épargner une tâche inutile au jardinier des lieux, c’est donc à ce moment qu’Hüsler décide d’enclencher l’arrosage automatique. Toutes nos excuses, on en oubliait presque de finir de vous présenter le 48ème mondial: son tennis sort tout droit des années 30, s’il le pouvait il porterait encore pantalon blanc et chemise sur le court, tout ce qu’il produit est beau et pur, il a un coup droit qu’on a failli demander en mariage au changement de côté et un amour de volée de revers amortie, mais putain personne ne lui a jamais dit qu’il fallait tuer le point pour gagner. D’ailleurs cette lutte de 3 heures vous est parfaitement résumée par le cri du coeur d’une dame dans le public alors que l’horloge Rolex indique 20 heures passées: « Munar tu fais chier, on a froid ! » 6-7 6-4 5-7, on est même frigorifiés. Le jeu romantique est mort, le disciple de la Rafa Nadal Academy passe au deuxième tour.

Pour le score, on a arrêté de compter, Monte-Carlo est trop fort. Par contre on continue à conter. A demain !

A suivre dans deux jours… Ne manquez pas l’épisode 2 de nos aventures monégasques !

« Bon d’accord, on continue encore cette semaine, mais tu ramasses les balles. »

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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