On passe de la pommade à Tiger Tim

Histoire de lui mettre du baume au cœur

« Come on Tim ! » Si vous avez déjà assisté à un match à Wimbledon ou au Queen’s Club ou si vous avez eu l’idée saugrenue de vous procurer un billet pour une rencontre de Coupe Davis de l’équipe défendant fièrement l’Union Jack, vous avez forcément déjà entendu ce cri du cœur. « Come on Tim », c’est le hurlement du beauf aviné dans un stade britannique post-2007, l’équivalent d’un « Allez Roger ! / Allez Stan ! » pendant un match féminin de troisième zone en terres helvétiques. Plus la beuglée est hors contexte, plus notre beauf est content. Le rire poli et un brin gêné (voire même un tantinet agacé au septième hurlement du genre en l’espace d’une demi-heure) n’en est que plus satisfaisant. « Come on Tim ! », c’était surtout la représentation de l’espoir de tout un peuple pendant la décennie qui a suivi l’an de grâce 1996, année du premier quart de finale de Tim Henman à Wimbledon. Retour sur la carrière du deuxième meilleur joueur British de l’ère Open – mais numéro 1 dans les cœurs de tous les bourges du sud-ouest londonien – à travers certains de ses exploits les plus improbables.

Sunday, bloody Sunday

A Wimbledon, le dimanche du milieu de la quinzaine est chômé. Jusqu’en 1982, la finale messieurs avait même lieu le samedi, histoire que le deuxième dimanche soit lui aussi un jour de repos. Tim Henman, dans le plus pur respect des traditions, a décidé un jour qu’il ne jouerait jamais le dimanche à l’extrémité sud de la District Line, même si son tournoi fétiche avait abandonné cette coutume depuis des lustres. L’histoire commence plutôt bien pourtant : le natif d’Oxford est le premier joueur masculin britannique à se qualifier pour les demi-finales depuis Roger Taylor (3 fois, en 1967, 1970 et 1973). Gentleman Tim se paiera même le luxe d’ajouter une unité à ce chiffre déjà fort respectable avec ses 4 apparitions dans l’antichambre de la finale de ses rêves (1998, 1999, 2001, 2002). Mais voilà, tous ces duels se sont soldés par des désillusions. Notre perdant magnifique poussera même son refus absolu de se lever un dimanche matin de finale majeure jusque dans des proportions hallucinantes en allant également perdre en demi à Paris et New York (2004). Si on ajoute à cela ses déconvenues dans le dernier carré du Masters (1998) et celui de la défunte Coupe du Grand Chelem (1996), on pourrait presque dire que ladite coupe est pleine. Enfin non, justement pas… Bref, il y a bien une autre hypothèse que l’on se risquera à vous glisser ici, chers lecteurs : notre ami Tim, grand modeste devant l’Eternel, se refuse tout simplement à monter sur un podium. Ce qui expliquerait par là même son meilleur classement : quatrième joueur mondial.

Tim Henman sur le Centre Court. Sûrement un des six jours ouvrables donc.

That Monday morning feeling

On vous disait qu’Henman n’avait jamais foulé le Centre Court un dernier dimanche. Ce n’est pas tout à fait vrai. En effet, c’est en 2001 qu’il obtient sa meilleure chance d’atteindre le Graal de toute une nation. Pete Sampras, quadruple champion en titre (dont deux fois en battant Tim en… demi-finale), a été sorti en huitièmes par un inconnu suisse de 19 ans portant bandeau et catogan dont le nom nous échappe au moment d’écrire ces lignes. Lleyton Hewitt, sa bête noire qui le battra en demi-finale (ben oui, encore) l’année suivante, a disparu au même stade de la compétition sous les coups de Nicolas Escudé. Ne reste que Goran Ivanisevic pour lui barrer la route, le seul homme encore plus maudit que lui (jusqu’alors) sur son gazon chéri. Le Croate dont les pétages de plombs feraient passer Nick Kyrgios pour une sainte-nitouche en était à deux demi-finales (1990, 1995) et trois finales (1992, 1994, 1998) – dont deux en 5 sets – perdues dans le Temple. Leur affrontement commence le vendredi, est interrompu à de multiples reprises par la pluie, et se termine le dimanche sur la victoire de celui qui gagnera enfin « son » tournoi le lendemain, alors qu’il était retombé à la 125ème place mondiale et – ironie ultime – avait dû obtenir une wild card des organisateurs pour s’aligner dans la compétition et donc briser 60 millions de pompes aortiques en battant non pas un, mais les deux plus grands espoirs locaux coup sur coup (sacré Greg Rusedski, on l’avait presque oublié celui-là !) Il est encore plus tordant de souligner qu’Ivanisevic reste à ce jour le seul titulaire d’une wild card à avoir soulevé un trophée du Grand Chelem. Hein ? Ah oui, on a failli oublier de vous dire où on voulait en venir avec tout ça : même quand Tim Henman daigne sortir du lit le jour du seigneur, c’est le tournoi qui s’y refuse et déplace sa finale au lundi. Ce qui, au passage, n’était plus arrivé depuis 1988 et ne s’est plus produit depuis. Coïncidence ?

Un des derniers enchaînements service-volée répertoriés à Wimbledon, en 2004.

A match made in hell

Si on vous dit « Tim Henman », quels sont les mots-clés qui vous viennent à l’esprit ? En ce qui nous concerne, c’est un peu une énumération de vieux machins qui n’existent plus : service-volée, revers slicé, chip and charge, gazon (le vrai, celui qui avance et qui nous aurait épargné du rab de Djoko et Rafa en deuxième semaine), Wimbledon (le vrai, … enfin bref, vous avez compris). Ce nuage de hashtags qui fait office de résumé de la carrière du Gendre Idéal d’Aorangi Terrace est aussi une liste plus ou moins exhaustive de tout ce qu’il aurait dû faire fructifier et qui lui a échappé pendant sa carrière. En plus de ses échecs multiples sur l’herbe de SW19, notre infortuné jardinier n’a tout simplement aucun titre à son nom sur cette surface, malgré 11 coupes, plateaux et autre argenterie (9 sur dur, 2 sur la regrettée moquette indoor) empilés dans son vaisselier. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. 43 victoires à Wimbledon, seulement 5 de moins que Rafael Nadal, double vainqueur et triple finaliste de la troisième levée du Grand Chelem. Battu trois fois sur la dernière marche au Queen’s (1999, 2001, 2002, par Sampras et Hewitt à deux reprises, encore eux). 71% de victoires (contre 64% toutes surfaces confondues). Rien n’y a fait. Vous pensez qu’il aurait eu une meilleure chance d’en gratter un si la saison des vertes pâtures durait plus que 45 minutes (n.d.l.r. 5 semaines sur 52 à l’époque) ? Ouais, nous aussi.

Tim Henman, le mec qui ne peut même pas se googliser lui-même 18 ans après sa dernière demi-finale sans tomber sur ce genre de rappel de merde.

On se dit aussi que peut-être, à tout hasard, si la presse de caniveau locale lui avait un peu lâché la grappe, son bras aurait été légèrement plus détendu sur les points importants. L’intéressé lui-même rappelait encore il y a quelques jours à l’antenne de Tennis United qu’en 2002, après les sorties de route prématurées de Sampras (face à George Bastl, inoubliable) et Agassi sur feu le Court n°2, dit « le cimetière des champions », le Mirror titrait: « No pressure Timbo, but choke now and we’ll never forgive you. » (« Pas de pression Timbo, mais craque maintenant et on ne te pardonnera jamais. ») Et dire que Richard Gasquet se plaint encore de la une (élogieuse) que Tennis Magazine lui avait consacrée il y a maintenant un quart de siècle. Bref, voilà en tout cas de quoi expliquer les 5 sets et plus de 4 heures de jeu qu’il a fallu à la victime principale de son propre succès pour se débarrasser du fleuron de la nation helvétique Michel Kratochvil en huitièmes cette année-là. Tout ça pour encore s’effacer avant la première finale (et a priori toujours la seule à ce jour, on a la flemme de vérifier) sans un seul enchaînement service-volée entre Lleyton Hewitt et David Nalbandian.

Henman Hill, son Pimm’s, ses fraises à la crème et ses cancers de la peau.

Henman Hill or Murray Mound ?

La question, elle est vite… enfin voilà quoi. 13 ans ont passé depuis la dernière volée amortie déposée par Tiger Tim dans son pré favori. 2 titres et une médaille d’or ont été glanés depuis par le plus grand tennisman britannique de l’histoire (n’ayons pas peur des mots) sur les lieux, brisant ainsi une malédiction vieille de 77 ans (tiens, voilà deux attributs qui nous rappellent Joe Biden). Mais voilà, au Royaume-Uni, on aime trop les fameux also-rans pour les déshériter sous prétexte qu’ils ont été remplacés par un jeune premier qui bosse même le dimanche et soulève le trophée à la fin. Du coup, on objecte mollement qu’il est mal élevé ou trop défensif – et en plus il est écossais, le bougre – et on continue de se rassembler sur l’un des plus célèbres talus du monde, un monument dédié à la Henmania, officiellement Aorangi Terrace, officieusement Henman Hill, et quasiment jamais Murray Mound.

Facebook, Twitter et Instagram sont (presque) unanimes. Dans notre mauvaise foi légendaire, on ignorera le fait que le sondage Facebook a réuni 8 fois plus de votants que son collègue de Twitter.

P.S. Malgré notre intense déception de ne pas avoir été les seuls à penser à rendre hommage (à notre façon) à Tiger Tim cet été, on vous recommande la lecture de ce brillant papier de Laurent Vergne sur le sujet (de sa Gracieuse Majesté).

 

Crédits photographiques:

Photo de tête: Fvlamoen/CC0/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Lymantria

Tim Henman sur le Centre Court. Sûrement un des six jours ouvrables donc: Fvlamoen/CC0/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Lymantria

Un des derniers enchaînements service-volée répertoriés à Wimbledon, en 2004: Pfctdayelise/CC0/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Pfctdayelise

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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