Édito: les détracteurs de la Laver Cup exhibent leurs contradictions

Lundi, 6 heures du matin. Autant dire au milieu de la nuit. Nous émergeons à (grand) peine de notre torpeur après un week-end de votations. Vous savez, ce rituel qui devient parfois un moyen pour certains de signifier à une communauté qu’ils adoreraient continuer à ne lui accorder aucune légitimité sous prétexte qu’ils ne se reconnaissent pas personnellement dans son identité. Et ce même (surtout ?) si cette légitimité n’a aucun impact et exerce encore moins une menace sur leur sacro-saint mode de vie. Toutes proportions gardées, voilà qui pourrait parfaitement illustrer le conflit à peine voilé qui met aux prises la Laver Cup et les auto-proclamés gardiens du temple de la petite balle jaune depuis 2017.

Entendons-nous bien: nous ne militons pas ici pour défendre les droits d’une espèce menacée d’extinction ou d’une classe de la population honteusement opprimée depuis des générations, merci pour eux. Il s’agit bien ici de millionnaires hétéros, cisgenres et principalement blancs en culottes courtes après tout. Il reste cependant intéressant de se demander pourquoi les protagonistes de cet étalage de richesses presque aussi indécent que les deux premiers mois de la saison de Granit Xhaka dérangent tellement certains acteurs du circuit ATP. Surtout quand on sait que ce dernier se questionne trop rarement sur son propre fonctionnement fait, lui aussi, principalement de gros sous.

Daniil Medvedev, Stefanos Tsitsipas ou encore Alexander Zverev se seraient-ils inscrits à l’Open de Moselle lundi dernier si la pompe à fric de Roger Federer ne les avait pas débauchés ? Combien Julien Boutter aurait-il dû débourser pour s’assurer les services ne serait-ce que d’un de ces mercenaires ? (On vous le dit tout de suite, certainement plus que les 250’000 dollars de prize money promis à chaque membre de l’équipe qui soulève la Laver Cup et probablement pas si loin de leur prime d’engagement dans le Massachusetts) Auriez-vous, chers et assidus lecteurs, eu vent de l’existence de l’Astana Open de Nur-Sultan si l’attention médiatique qui est due à ce haut lieu du tennis mondial n’avait pas été happée par le TD Garden de Boston ? Les fins orfèvres de la raquette que sont Reilly Opelka et John Isner ont-ils manqué à quelque directeur de tournoi que ce soit la semaine dernière ? Feliciano Lopez pratique-t-il seulement encore le tennis ?

Si la réponse à la plupart de ces questions, sinon toutes, est non, il y a des chances que la version tennistique de la Ryder Cup ait au moins autant de légitimité dans le calendrier que les décisions aussi lunaires qu’unilatérales de Roland-Garros, la relégation du gazon au rang de sous-surface ou encore l’existence même de la Piqué Cup, dont on avait presque oublié de continuer à s’offusquer au cours des deux dernières années.

Au fait, qui sont ces gardiens du temple dont nous parlions plus haut ? A l’instar de Benoît Maylin (dont l’art de l’exagération rivalise au moins avec celui des bancs du Team Europe et du Team World après un joli point) dans son émission « Sans Filet » diffusée sur YouTube, ils semblent souvent appartenir au microcosme des médias. Tiens donc. En parler autant, même si c’est pour la dénigrer, ne contribue-t-il pas à accorder une place de choix à cette exhibition que d’aucuns voudraient tant voir disparaître ?

Vous avez remarqué ? Au mépris de toute bienséance, on a osé le terme « exhibition », ce gros mot qui est si souvent jeté à la figure de l’adversaire en guise d’argument unique contre la tenue de la Laver Cup. « Exhibition », ça veut dire quoi au fait ? Si en sport il s’agit effectivement d’une « démonstration spectaculaire dont le résultat n’a pas de valeur au classement » (difficile de trouver meilleure définition de l’événement qui nous occupe au passage), la définition plus générale proposée par le Larousse mérite également qu’on s’y attarde quelques instants: on y parle de « faire voir, de présenter ». Un maximum de visibilité portée par un format qui touche au génie (on vous l’expliquait ici il y a deux ans) et des images qui semblent faites pour cartonner sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas ce dont le tennis (bientôt) post-Big Three a terriblement besoin ? Quitte à souffrir des mêmes maux que le circuit traditionnel, n’y a-t-il pas énormément à gagner à promouvoir certains aspects ludiques sans avoir à craindre qu’ils n’effacent l’Histoire du jeu chère aux puristes ? Comme le public hockeyistique de nos contrées qui sait apprécier 5 minutes de prolongations jouées à 3 contre 3 tout en conservant l’esprit original de la discipline durant les 3600 secondes restantes, il y a de fortes chances que les mordus de la raquette soient également capables d’une telle sagesse.

P.S. Vous aurez noté que la définition du mot “exhibition” ne comporte aucune mention de la notion d’arrangement entre les parties. Le score final de 14-1 en faveur de l’Europe face au Reste du monde qui a entériné dimanche une quatrième victoire du Vieux Continent en autant d’affrontements semble d’ailleurs assez clair à ce sujet. Ouais, c’était assez nul cette année, mais ne le répétez pas, vous risqueriez de faire bien trop d’heureux parmi les adeptes de la Schadenfreude (et c’est bien connu, nous ne mangeons pas de ce pain-là à la rédac’ de Carton-Rouge).

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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