Le revers des médailles

Bien boisé, le revers

Presque 41 printemps, 27 ans de carrière, 39 titres du Grand Chelem (23 en simple, 14 en double, 2 en double mixte), 5 WTA Tour Finals, 4 médailles d’or olympiques (dont une en simple), une Fed Cup, 96 titres (dont 73 en simple), 319 semaines au sommet du tennis mondial (dont 186 d’affilée entre 2013 et 2016), un film avec Will Smith. On vous rappelle ces statistiques en passant, mais surtout fort inutilement, puisque vous les avez lues partout depuis l’annonce de la retraite l’« évolution hors du tennis » de Serena Williams, en mode Pokémon dans les colonnes de Vogue. Si vous vous trouvez actuellement en expédition sur un des anneaux de Saturne et avez donc raté ça, on est sûr que la déferlante hallucinante et surtout univoque qui s’est abattue sur les réseaux sociaux samedi matin a fini par vous parvenir. On ajoute deux-trois trucs en passant quand même, en guise de pied de nez à l’obséquiosité ambiante ?

C’est bien connu, quand une célébrité meurt ou prend sa retraite (l’équivalent sportif d’un décès dans le civil), l’objectivité journalistique passe généralement la plume à gauche, dans un noble élan de solidarité. Trois semaines après le communiqué précité (mais seulement deux jours après l’officialisation, ouf !), c’est donc avec un temps de ré(d)action aussi rapide que le Patrick Müller de la grande époque que Carton-Rouge se propose d’ajouter quelques amendements à l’auto-éloge funèbre d’une championne dont l’ego est aussi enflé que sa mémoire est courte. Oh ne prenez pas ça pour une basse moquerie (vous vous croyez peut-être sur un site satirique). Dieu sait qu’on aurait aussi un sens du Moi de compétition si on avait un dixième du CV de la descendante du Roi Richard.

Revenons à ce fameux article de Vogue dont toute la sphère jaune et feutrée parle depuis des semaines. On vient d’y relire l’une des pires banalités de la création depuis le Big Bang tombée du stylo de la plus célèbre témoin de Jéhovah de la planète: « Je suis nulle pour dire au revoir, la pire du monde. » Oui, ce vieux truc rabâché un milliard de fois dans toute bonne scène d’aéroport de comédie romantique qui ne se respecte pas tant que ça – et même peut-être parfois dans la vraie vie, allez savoir. 

Au-delà de la platitude absolue de la chose (qui, bon dieu, mais QUI a déjà dit « oh moi j’adore les au-revoirs, j’hésite à passer pro dans le domaine », à part peut-être, effectivement, les membres d’une secte qui prend plaisir à annoncer la fin du monde tous les jeudis ?), on s’est quand même dit que la petite sœur de Venus n’avait finalement pas tout tort sur le fond. Et ce même si on occulte le fait que la Flavia Pennetta du pauvre en ce qui concerne les adieux mythiques n’a joué que 8 matches en 14 mois (5 défaites). 

Tirer sa révérence avec bienveillance, c’est aussi rappeler à ses fans certaines choses qu’ils ne regretteront pas une fois le rideau baissé. Voilà qui tombe à pic, la plupart de ces zones d’ombres sont à chercher du côté du Arthur Ashe Stadium, théâtre des derniers cris rageurs de SW face à Ajla Tomljanovic (plus connue pour ses idylles avec Nick Kyrgios et Matteo Berrettini que pour sa 46ème place mondiale) au troisième tour de l’édition 2022. C’est donc le moment où jamais de proposer à nos 12 fidèles lecteurs un petit florilège des trois oublis les plus flagrants de la quasi intégralité du monde du tennis au sujet de la sextuple lauréate de l’US Open. Un microcosme qui semble avoir troqué sa raquette contre une canne blanche au moment de nuancer un tableau dépourvu d’aspérités à l’aide du côté obscur bien réel de la native de Compton.

US Open 2009

Les mots de Serena: « Pour moi c’est un peu l’essence d’être Serena: exiger le meilleur de moi-même et prouver que les gens ont tort. J’ai gagné tellement de matches parce que quelque chose m’a mise en colère ou quelqu’un n’a pas cru en moi. Cela m’a poussée. J’ai construit une carrière en transformant la colère et la négativité en quelque chose de positif. » (Vogue, 9 août 2022)

La réalité: Euh ben apparemment ça marche pas à tous les coups. On imagine que Kim Clijsters n’a jamais reçu d’invitation à la petite sauterie célébrant la fin de carrière de son adversaire en demi-finale du même tournoi en 2009 (victoire de la Belge 6-4 7-5). Ce jour-là, la locale de l’étape avait d’abord écopé de 500$ d’amende pour avoir détruit son outil de travail après la perte de la première manche (jusque-là même pas de quoi fouetter un Benoît Paire) avant de se voir attribuer une faute de pied sur deuxième service donnant deux balles de match à « Aussie Kim » onze jeux et trois points plus tard. C’est le moment choisi par celle qui « aime à penser que grâce à [elle] les athlètes féminines peuvent être elles-mêmes, qu’elles peuvent jouer avec agressivité et serrer le poing » pour menacer Shino Tsurubuchi (dont on a retrouvé un compte Twitter qui nous semble vaguement fake vu sa bio à l’honnêteté pour le moins déconcertante), la juge de ligne incriminée, de lui fourrer une balle au fond de la gorge. Un serrage de poing qui semble tout de même un poil excessif. Une amende de 10’500$ (finalement commuée en un montant de 175’000$ et deux ans de mise à l’épreuve) et un refus de s’excuser (plus ou moins corrigé le lendemain, on vous laisse juger) plus tard, on a de la peine à discerner le role model au sujet duquel tous les médias de France et de Navarre nous abreuvent quotidiennement depuis le 9 août dernier. Même avec nos culs de bouteille à doubles foyers.

On est quand même obligé de reconnaître à notre fameuse porte-étendard autoproclamée des questions raciales et de genre dans le sport / maman courage du circuit WTA un vrai talent pour l’ironie: proférer des menaces de mort à l’encontre d’une juge de ligne japonaise face à une adversaire qui en était à son troisième tournoi suivant son retour de congé maternité, c’est ce qui s’appelle de la constance dans l’effort. 

US Open 2011

Les mots de Serena (fort contrite): « J’ai frappé un coup gagnant, mais apparemment il n’a pas compté. » (Discours d’après-match, 10 septembre 2011)

La réalité: Caramba, encore raté ! Toujours à New York, cette fois c’est en finale face à l’Australienne Sam Stosur (défaite 6-2 6-3 de notre Calimero californienne) que le chantre du fair-play devant l’Eternel hurle un « COME ON ! » du plus bel effet après un coup droit gagnant. Sauf que ledit coup droit était aussi gagnant qu’un locataire de la Tuilière lors de la saison 2021/2022 au moment de son éructation intempestive et l’échange donc encore en cours. Selon le règlement, ce genre de déconcentration résulte en un point de pénalité si elle est délibérée. Comme Serena est décidément la reine du timing, cet incident arrive tout naturellement à 30-40 sur son service et offre donc le jeu à son adversaire. S’ensuivent quelques politesses d’une magnanimité non feinte lancées dans la direction générale de la chaise d’arbitre (occupée ce jour-là par Eva « Trailblazer » Asderaki, première femme à arbitrer une finale masculine de l’US Open quatre ans plus tard), dont notamment quelques menaces dignes d’un préau scolaire du 1018.

Rassurez-vous, tout va bien: la mise à l’épreuve de la future épouse du multimillionaire Alexis Ohanian n’a pas été violée puisque l’invective de celle qui allait enlever les trois éditions suivantes du tournoi ne comportait pas d’injure. Allez, 2000$ d’amende pour la route. L’équivalent d’une retenue d’argent de poche hebdomadaire pour Olympia de nos jours.

La qualité de cette vidéo pourrait elle aussi facilement être qualifiée d’acte d’anti-jeu manifeste.

US Open 2018

Les mots de Serena: « J’ai commis beaucoup d’erreurs dans ma carrière. Les erreurs sont des expériences d’apprentissage, et j’accepte ces moments. Je suis loin d’être parfaite, mais j’ai aussi reçu beaucoup de critiques, et j’aime à penser que j’ai dû passer par quelques moments difficiles en tant que joueuse de tennis professionnelle pour que cela soit plus facile pour la prochaine génération. Avec les années, j’espère que les gens en viennent à me voir comme un symbole de quelque chose de plus grand que le tennis. » (Vogue, 9 août 2022)

La réalité: Alors pour ce qui est d’aider la jeune génération, on peut dire que c’est vraiment réussi ! Naomi Osaka, vous vous souvenez ? Nippo-Haïtienne ayant grandi aux Etats-Unis, pas encore 21 ans au moment des faits, entraînée par son père en compagnie de sa grande sœur Mari sur le modèle créé par Richard Williams pour ses deux filles, en lice pour sa première couronne majeure face à son idole. Le conte de fées qui inspirera toutes les petites filles de la galaxie quelle que soit leur couleur ou leur appartenance sociale est déjà écrit, ne reste plus qu’à lancer les rotatives (pour un épisode 2 moins violent, voir le très récent Williams-Raducanu de Cincinnati, qui vaut surtout pour la longue accolade au filet en forme de passage de témoin une poignée de main à vous climatiser un central). Sauf que le spectacle digne d’une représentation du Cirque Bodoni proposé par l’héroïne de cet article a vite pris les contours d’une série B déconseillée aux mineurs non accompagnés.

On vous parlait d’ego proche de la superficie d’une principauté plus haut, et pourtant on n’avait pas encore mentionné Patrick Mouratoglou. Le coach de l’Américaine met le feu aux poudres dans cette finale en se rendant coupable de coaching au cours du deuxième set (ce qu’il reconnaîtra plus tard, contrairement à certaines). Vous l’avez probablement compris à ce stade, notre protagoniste n’est pas connue pour son self-control à toute épreuve. Ce n’est donc pas une (coaching – 4’000$ d’amende), ni deux (jet de raquette – 3’000$), mais trois (violence verbale – 10’000$) code violations qui suivent, le tout résultant en un jeu de pénalité. En d’autres termes, le fameux Serena Slam – souvent défini de manière erronée comme un exploit sportif consistant à détenir les quatre titres du Grand Chelem simultanément – est accompli. Cette fois, on a affaire à Carlos Ramos, arbitre masculin de son état. Il est donc de bon ton pour notre féministe à temps (très) partiel d’accuser celui qu’elle avait déjà traité de menteur et de voleur sur le court de sexisme.

Le moment absolument légendaire où Serena sort un somptueux « you know my character » aux deux superviseurs qui l’avaient déjà disqualifiée 9 ans plus tôt.

Et Osaka dans tout ça ? Conspuée par 23’000 personnes en furie jusqu’au bout, elle l’emporte sans coup férir 6-2 6-4 et le premier de ses 4 titres majeurs sera pour toujours entaché d’une ambiance digne d’un repas de Noël dans la famille Pogba, ambiance créée de toutes pièces par – on le rappelle – le sujet principal des posters de sa chambre d’enfant. Fort heureusement, c’est en pompier-pyromane titulaire d’un doctorat ès tirage de couverture à soi que la grande Serena intimera l’ordre à ses sujets de se tenir cois pendant 10 minutes qui doivent figurer au panthéon des pires moments de l’existence de la première Japonaise à soulever un trophée du Grand Chelem.

585 secondes parmi les plus gênantes de l’histoire de la télévision.

Pour aller plus loin…

… en termes d’exemplarité, on ne saurait trop vous conseiller de revoir la demi-finale de Roland-Garros 2015 entre Serena Williams une nominée aux Oscars dans la catégorie tragi-comédie et Timea Bacsinszky. On vous raconterait bien tout ça en détails, mais vous savez bien qu’on déteste les polémiques gratuites.

Le mot de la fin revient à notre jeune retraitée qu’on voit bien se reconvertir en maîtresse de conférences sur le thème de l’argumentation fallacieuse.

The Last Petko-Dance

P.S. Tout le monde s’en fout en ce moment, mais Andrea Petkovic a elle aussi joué son dernier match en Grand Chelem à New York, mardi dernier face à Belinda Bencic. Sans tambour ni trompette. Petko (l’autre), vous connaissez ? L’ex-numéro 9 mondiale et inventrice de la « Petko-Dance » dont les auteurs favoris sont Goethe et Oscar Wilde parle 4 langues couramment, écrit dans deux journaux allemands et un magazine américain, gère une page YouTube complètement déjantée en allemand et en anglais, anime un podcast (Racquet Book Club – we read books and we talk about them because we are nerds), sa version Instagram, et a sorti un livre en 2020 dont elle travaille actuellement sur la traduction anglaise. Alors voilà, c’est à elle qu’on va laisser le mot de la fin tout compte fait. Et pas seulement parce qu’elle est drôlement plus sympa que Serena. Non, aussi parce qu’elle écrit cent fois mieux. Du coup cette fois on vous laisse la version originale dans le texte.

« But over the course of my 15-year-long career, three things crushed my soul as a tennis player (or are about to crush it). […] And No. 3 is simple: I will retire. Very soon. The thousand little deaths of every single loss will be nothing compared with the all-ending overbearing black hole of retirement. »

« Here is the truth, straight up, no chaser: I have never played on Wimbledon’s Centre Court. […] And if it doesn’t happen, I’ll be okay, too. I will always have that time Drake watched me play on Center Court in Toronto. I played Serena. »

Andrea Petkovic, « Finding the Centre » – Racquet No. 19, Printemps 2022

Image rare d’une fin de match sans menaces de mort ni disqualification pour Serena Williams.

 

Crédit photographique:

Image de tête: Yann Caradec/CC-BY-SA/Flickr http://flickr.com/photo/10288162@N07/8886717792

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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