Zinal d‘alarme en Anniviers

Bienvenu en Anniviers. Vallée faite de virolets décapants, de mazots somptueux, de tunnels à klaxons mais surtout, la vallée qui possède l’unique station de ski valaisanne qui commence par Z où tu n’as pas l’impression d’être perdu au milieu de Shanghai. On veut bien entendu parler de Zinal, point de chute du trail majestueux en partance de Sierre. Longs de 31km, les sentiers escarpés de cette course mythique sont empruntés chaque mi-août par 5’200 coureurs dopés aux golées d’Isostar, aux PowerBars chocolatées et nouveauté pour l’édition 2022, à la norandrostérone et au triamcinolone acétonide. Si vous ne savez pas ce que c’est, on vous rassure, les deux tricheurs kenyans qui en ont abusé non plus. Ces deux déchus auraient bien fait de méditer sur ce vieux proverbe burundais qui dit : N’insultez pas le crocodile lorsque vos pieds sont encore dans l’eau.

Un Zinal fort

La course Sierre-Zinal a été créée en 1974 par un pur Anniviard, M. Jean-Claude Pont qui voulait offrir aux habitants du coin « l’opportunité de redécouvrir les vertus de l’effort physique, de réapprendre à se servir de la mobilité de leur corps, à l’occasion d’une randonnée rude et enthousiaste »… Quelqu’un aurait pu lui souffler à l’oreille qu’une escapade à la Foire du Valais aurait rempli la même fonction, mais bon, ne chipotons pas sur l’ambition de ce précurseur.

Cette course surnommée « La Course des Cinq 4000 » est celle de tous les superlatifs émotionnels et dimensionnels : une distance de 31 km, 2,200 mètres de montée, 1,100 mètres de descente, 6 contrôles de ravitaillement, 11 stands raclette, 80 préposés à l’organisation, 550 bénévoles, un record de la course à 2h35 par Kilian Jornet, sans oublier un total de cloques avoisinant les 288’350 depuis le lancement de la course. En se penchant sur ces chiffres, on peut sainement affirmer que si tu n’as pas mis les baskets de course de l’année et que tu sors d’une soirée shots au Bamee Bar, cette course te siérait aussi bien que le poste de directeur sportif du FC Sion à Barth Constantin.

Le Zinal de départ

Avant les kilomètres de bitume ou de sentiers caillouteux avalés, la course à pied c’est avant tout une aventure personnelle, une découverte de soi et de son corps (et de noms de muscles qui sortent tout droit des BD d’Astérix (le Sartorius) ou d’un mode d’emploi de tondeuse à gazon (le supérieur extenseur retinaculum). En préparant cet article, je suis tombé sur le blog de Sofia Torrent dont le récit hilarant de son aventure sur un Sierre-Zinal ressemblait étrangement au Journal de Bridget Jones. Voici quelques passages qui illustrent son vécu lors de la course :

  • Je n’ai jamais eu autant envie de faire 20 kg de moins
  • Mais pourquoi je ne me suis pas plus entrainée
  • Ces nazes de coureurs qui te balanceraient dans le décor pour gagner 10 secondes sur leur chrono (mais quels CON-NARDS)
  • Le gars qui m’a dit que je n’avais rien à faire sur ce parcours (quel gros CON-NARD)
  • Kilian Jornet que tu encourages quand il te dépasse et qui t’encourage en retour alors qu’il court comme un bolide dans la caillasse.
  • S’intéresser aux histoires de laçage de chaussures, ça va vite devenir moins anecdotique pour moi
  • J’aurais dû m’occuper de mes ongles de pieds avant le départ
  • Cette dernière descente est inhumaine, même une biquette se casserait la figure

Que la montagne est belle. Oui, mais non !

Les bonheurs pour la vie procurés par la Course Sierre-Zinal sont en danger. En tous les cas, ils ont été vachement amochés par une nouvelle vague de droguistes kenyans qui a fait vaciller la stature de ce monument qu’est Sierre-Zinal. Les deux vainqueurs dopés de l’édition 2022, Mark Kangogo et Esther Chesang ont réussi à déclencher la suspicion sur la pratique généralisée de la piquouze dans ce peloton de trail rempli de gazelles 2.0, qui pour certains, à l’évidence, sont encore plus shootés qu’un T-Bone texan.

Zinal de détresse

De manière très inattendue, Mark Kangogo a survolé l’édition 2022 de Sierre-Zinal. Magistral d’aisance dans les parties pentues, le trentenaire kenyan a même frisé le record de Kilian Jornet sur les 12 premiers kilomètres de cette satanée montée vers Chandolin. A ce stade, le doute était déjà permis sur la qualité de l’eau ingurgitée par le coureur kenyan. Par la suite, grâce à des foulées extensibles et des petites pilules magiques, le dopé de Nairobi accentua son avance dans la dernière descente pour laisser l’espagnol Andreu Blanes à près de deux minutes en-haut à Zinal. Oui, mais voilà, le petit pipi déposé par Kangogo dans l’éprouvette du préposé à l’anti-dopage allait révéler des traces importantes de stéroïdes anabolisants et de glucocorticoïde, des substances fort précieuses pour booster illégalement la perte de poids et l’endurance. Pris la main dans le sac, le Ben Johnson kenyan allait penaudement admettre son forfait pour s’économiser une année de suspension.

Kangogo est le 21ème athlète kenyan suspendu en 2022 pour dopage. Sur cette base, on peut se demander si le Dr Ferrari n’a pas ouvert une nouvelle officine à Nairobi. Julien Lyon, l’entraîneur genevois de Kangogo en rajouta une couche en analysant froidement la bêtise de son poulain : « Je ne sais même pas si les produits qu’il a pris l’ont vraiment aidé. C’est sûrement un charlatan qui l’a convaincu de dépenser 2’000 Schillings (20 balles suisses) pour augmenter ses chances de victoire. Il va devoir vendre sa maison familiale pour survivre. C’est triste mais il a déconné ».

L’histoire d’Esther Chesang, est bien plus déplorable, elle qui fut pourtant contrôlée négative directement après sa course victorieuse en 2022. Le Comité d’Organisation valaisan tomba des nues en apprenant début janvier 2023 que la sociétaire de l’équipe Sky Runners Kenya était suspendue depuis mai 2022. Un petit problème de communication (encore un fax défectueux…) de l’Agence Anti-Dopage kenyane semble être à l’origine de ce contre-temps ! Pour la petite histoire, Esther Chesang n’avait pu se payer le déplacement en Suisse qu’en vendant l’un de ses bracelets préférés. Une paire de menottes certainement.

Zinal de panne

Selon Sarah Shibutse, responsable de l’ADAK (l’agence anti-dopage kenyane… qui a le mérite d’exister !), l’augmentation des cas de coureurs indigènes dopés est liée à la pause forcée due au COVID-19 qui a fortement impacté le revenu d’athlètes issus de milieux défavorisés. « Quand les courses ont repris, la compétition a été féroce et pour finir sur le podium, certains coureurs se sont dit que se doper pouvaient les aider à gagner ». Oui, mais alors comment expliquer que les centaines d’autres athlètes des quatre coins du monde ont maintenu leur éthique de sportifs d’élite alors que ces chenapans de Kenyans ingurgitaient encore plus de pilules interdites qu’à une soirée de David Guetta à Ibiza. Madame Shibutse pointe plutôt du doigt les agents, entraîneurs et managers qui mettent les coureurs sous pression afin de combler leur manque à gagner personnel lors de la période COVID. Une sorte de « ce n’est pas moi chef ! » qui pourrait nous faire marrer dans l’un des triptyques de la 7ème Compagnie mais pas dans le contexte de la doyenne des courses de montagne en Europe.

Il faut dire que jusqu’en 2016, le programme kenyan contre le dopage s’était révélé aussi efficace que la tactique de Yakin face au Portugal. Entre corruption et trafic de produits stupéfiants, les dirigeants de ce programme avaient en fait démultiplié le problème de ce pays qui nous a livré pourtant tant de champions mémorables sur trail et longues distances. Le problème du dopage au Kenya est malheureusement difficile à endiguer car il est souvent pratiqué dans les villes de course en haute altitude, éloignées des autorités et des contrôles.

En sus, ne possédant qu’un laboratoire d’analyse sanguine certifié par l’AMA, le Kenya doit encore envoyer à ce jour 1’500 tests urinaires par année au Qatar ou en Afrique du Sud. On imagine bien tous les risques de triche possibles sur la base de cette logistique brinquebalante. Le nouveau ministre des Sports Ababu Namwamba s’est aussi invité dans le débat en promettant de doubler le budget anti-dopage et de faire le ménage… Des déclarations sans nul doute aussi crédibles que celles de David Degen depuis qu’il est arrivé à la tête du FC Bâle.

Zinal de fin ?

Avec 25 cas de dopage en 2022, le Kenya vient MALHEUREUSEMENT d’échapper à une sanction de World Athletics. Son président, Sebastian Coe, aussi habile tacticien que dans les derniers mètres de ses 800m dantesques contre Steve Ovett, s’est bien fait gruger par la promesse du gouvernement kenyan d’investir cinq millions de dollars par an pendant cinq ans pour financer l’antidopage. « L’Unité d’Intégrité pour l’Athlétisme (AIU) continue de travailler main dans la main avec la Fédération kenyane. Tous les acteurs locaux, internationaux sont alignés pour résoudre ce fléau. » Mouais, c’est un peu comme si tu avais signé un accord de paix avec Poutine d’une main et qu’il te cisaillait l’autre avec une hache.

Le lundi qui suivait ces belles annonces d’intentions ministérielles, un nouvel athlète kenyan était suspendu par l’AIU pour un taux de testostérone anormalement élevé. Les héritiers des Kangogo et Chesang semblent malheureusement encore avoir les coudées franches dans ce marathon qu’est la lutte contre le dopage. Qui s’essoufflera le dernier ?

A propos Paul Carruzzo 207 Articles
Elle est pas un peu belle notre Nati et tout le bonheur qu’elle nous amène ? Alors, Rickli et compagnie, si vous ne vibrez pas devant cette équipe, vous n’êtes pas non plus monstrement obligés de regarder. Profitez d’un bon match de hornus et foutez la paix à nos joueurs, qui comme vous, ont un joli passeport rouge à croix blanche.

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