Lausanne ne perd pas le nord

Le nord par contre, c’est drôlement perdu.

La qualification pour la rutilante Champions Hockey League et son trophée en papier d’alu acquise, on s’était dit avec les potes qu’on allait se faire un de ces fameux déplacements dont certains cadres de Carton-Rouge (ceux qui n’ont pas encore succombé aux suites de multiples comas éthyliques ou d’engelures dans la cramine de juillet à la Pontaise) parlent encore aux apéros de la rédac’ dix ans après, l’oeil vaguement humide. Mais voilà, le tirage au sort en a voulu autrement. Minsk, Lahti et Trinec, qui sont à la villégiature estivale ce que Vladimir Poutine est à la démocratie directe ou Jeffrey Epstein à l’association des parents d’élèves, paraissaient un peu trop mornes pour les voyageurs romantiques que nous sommes. Un dép’, un vrai, se devait de présenter un challenge d’un niveau plus élevé. Les contrées reculées (nettement plus proches du cercle polaire que les sympathiques bourgades méridionales susmentionnées) depuis lesquelles nous avons dû pondre ce papier affublés de moufles pour résister à la température de ce début septembre apparaissaient donc comme un choix on ne peut plus naturel. On veut évidemment parler du NORD VAUDOIS, ce lieu qui glace l’encre de votre plume à sa simple mention. Reportage à Yverdon, ses bains, son Stade Municipal, son DJ franco-ivoirien intérimaire (et parti depuis longtemps, mais on s’accroche à son patrimoine comme on peut) et son climat de pot de chambre.

La saison qui s’ouvre semble avoir été placée sous le signe du risque par le directoire de Malley. En premier lieu, et ce en dépit de sa prudence légendaire, Jan Alston avait fini par lâcher le morceau et nous apprendre que la ligue comportait 12 équipes qui allaient devoir s’étriper sur un format de 50 matches en guise de pronostic d’avant-saison au micro du lobby québécois de la chaîne payante MySports. On cache notre stupeur à grand peine en écrivant ces lignes. Un peu plus et il nous annonçait qu’il y a de fortes chances que ses poulains finissent dans les 12 premiers de National League et arrachent un strapontin dans le top 4 de leur groupe de CHL. Deuxièmement, malgré la promesse solennelle du lionceau citadin de ne pas quitter la lumière de son royaume pour visiter ses confins obscurs, il était clair dès le début du film que notre Simba local allait désobéir. Non contents d’avoir entériné un partenariat de proximité avec leurs voisins de palier de Biasca, les Ticino Rockets (c’était ça ou se retrouver en Suisse allemande, ou pire, en Valais), les Lausannois s’aventuraient une nouvelle fois loin de leurs terres en ce week-end de rentrée sportive pour nos chères têtes blondes rouges et blanches. Récemment victime de lanceurs d’alertes sur les réseaux sociaux, le LHC s’était même assuré de se rendre dans une cité aux accords d’extradition étroits avec la capitale olympique en cas de second Jerseygate. En effet, même si l’originalité absolue du design du nouveau maillot des ouailles de Ville Peltonen laissait peu de place pour un buzz supplémentaire, la cellule communication du club prouvait une fois encore qu’impossible n’est décidément pas vaudois. Une habile fuite interne exposait ainsi la tunique lausannoise 2019/20 sur les réseaux sociaux quatre jours avant sa présentation officielle en grande pompe. En cas de récidive, les Edward Snowden et autres Julian Assange locaux n’avaient qu’à bien se tenir : Yverdon n’est pas connu pour son quartier des ambassades.

Au LHC, on reste groupés pour se protéger de l’absolu déni de réchauffement climatique de l’extrême nord du canton.

La cité thermale n’est pas connue pour sa patinoire non plus. D’ailleurs, en entrant dans l’enceinte, on a très vite l’impression très bizarre d’être bloqué dans une sorte de sas marquant la limite entre deux saisons distinctes. La surface de glace et son atmosphère sont bien présentes à l’intérieur, mais un rapide coup d’œil à travers la baie vitrée qui donne sur le monde extérieur et on se retrouve en maillot de bain et en tongs en pleine glissade sur le toboggan de la piscine municipale. Bon d’accord, cette scène n’est qu’une vue de notre esprit tant la piscine est vide puisque les thermomètres locaux ont une peine toute servettienne à atteindre un niveau acceptable. Le symbole parfait des débuts estivaux (et fort timides par ailleurs) d’un sport qui se veut hivernal, mais qui ne prend que deux mois et demi de vacances par année (comme des profs zélés en somme). On imagine le bonheur non feint de Greta Thunberg et des chantres du mouvement Fridays for Future à l’idée de l’énergie déployée pour que nos amis édentés puissent pratiquer leur sport sur une surface solide en pleine canicule (oui, oui, à Yverdon on est en état d’alerte orange quand le mercure dépasse les 15 degrés).

Yverdon, son temps radieux et son architecture.

Pas une Minsk affaire

Vendredi soir, devant une assemblée qui rivalisait allégrement en nombre avec les 800 Léventins qui s’étaient déplacés avec les Biancoblu à Munich et Karlstad la semaine précédente, DJ et son boys band s’alignaient sans Teemu “Bazooka” Pulkkinen (on remercie chaleureusement notre camarade Greg Beaud pour son titre explosif dans les colonnes du 24 Heures durant l’interminable trêve estivale médiatique) pour la première fois cette saison sur sol helvétique. L’ex-futur sniper lausannois, qui avait tiré à blanc en préparation, a déjà fait ses valises direction la KHL, une ligue de francs tireurs, avant même d’avoir eu le temps de mettre le feu aux poudres. Il en est d’ailleurs déjà l’artificier le plus prolifique. On espère que le directoire vaudois n’en était pas à sa dernière cartouche dans sa recherche de 5ème étranger pour épauler Jeffrey, Emmerton, Junland et Lindbohm (on les énumère ici pour se rafraîchir la mémoire, un peu comme les élèves dont on a oublié le nom après deux mois de farniente). Histoire de ne pas débuter la campagne 2019/20 la fleur au fusil et se donner toutes les chances de faire feu de tout bois.

Antonov était en mode duty free en termes de distribution de taloches.

Quid de ceux qui étaient fidèles au poste alors ? Tobias Stephan tenait avec une bravoure certaine son rôle de portier (littéralement) à la bande. Tim Traber, droit comme un I (pas de bol, there’s no « I » in « team ») pendant soixante minutes, attendait avec une patience proverbiale l’ordre de Peltonen d’aller proposer ses services de chirurgien esthétique à un adversaire mal intentionné et ainsi tester le banc opposé, ordre qui n’est finalement jamais venu. Le préposé au rembobinage du lecteur VHS (technologie yverdonnoise oblige) de la patinoire qui a permis de valider la première réussite de Tyler Moy sur un service de Jonas Junland (16ème) était clairement bien plus rapide que le dernier nommé. Lukas Frick, transfiguré par l’absence de son chef de file Joël Genazzi, se permettait son premier et seul solo de la saison (on espère que vous n’avez pas cligné des yeux à ce moment-là) pour inscrire le 2-0 (23ème). Dustin Jeffrey, clairement en désaccord avec le design du maillot de top scorer en CHL et par conséquent aussi discret qu’un avant-centre de notre équipe nationale de football dès la 80ème minute, se fendait tout de même d’une passe géniale pour offrir le 3-1 à son compère Joël Vermin (34ème). Tous les ingrédients d’un match tranquille face à une équipe nettement inférieure en somme. Ah oui, pardon, on en oublierait presque de mentionner la présence du Yunost Minsk sur la glace en tant que faire-valoir. Le commandant de bord Antonov et son équipage (même Tsyganov qui était finalement du voyage), après avoir remporté le match aller sur un malentendu, semblaient se diriger vers une correction amplement méritée jusqu’à ce que les Lausannois activent la stratégie dite « Irlande-Suisse » et se recroquevillent devant Luca Boltshauser de manière inexplicable, histoire de concéder une réduction du score à 3-2 aussi inutile et évitable qu’un cours de répétition à la PC. Si Junland était une fois de plus en mode planeur côté helvétique, Andrei Antonov, encore lui, présent sur la piste presque un shift sur deux dans les derniers instants, déclenchait une bagarre générale après le coup de sifflet final pour avoir fait un coucou un peu trop appuyé à la mâchoire de Vermin. Quelque chose nous dit que ce n’est pas comme ça que sa carrière, jadis sur le plancher des vaches à l’Avtomobilist Yekaterinburg, va décoller.

– Soeur Anne, ne vois-tu rien venir? – Non, Tim, toujours pas de shift.

Tout fout l’(Péli)camp

Rebelote donc dimanche après-midi face aux Pélicans de Lahti, battus aux tirs au but au match aller en Finlande. Un vrai derby de gens perpétuellement hilares entre Ville Peltonen, Tommi Hämäläinen, Tommi Niemelä, Teemu Oksanen, Petteri Lindbohm, Robin Leone (double national) et leurs cousins restés au pays. Monter deux fois à Yverdon en un week-end, il fallait bien la plus clinquante des compétitions et des billets de train gratuits pour nous convaincre de mener à bien cette tâche aussi ardue que de discerner le visage de Junland sous son épaisse toison nordique. D’autant que l’atmosphère y était rendue irrespirable par la rolba des lieux, qui dégage tellement de fumée (et même une vague odeur d’ammoniaque) qu’on se croirait à Lucens. Son conducteur, peut-être finlandais lui aussi, semblait d’ailleurs tenter de se boucher le nez à l’aide de l’expression de son visage. On vous le répète, tout le monde est vraiment heureux de visiter ce coin de pays.

L’hymne de la Champions Hockey League, le moment le plus intense des 40 premières minutes.

On ne va pas se mentir, les deux premiers tiers de cette rencontre, comme toute rencontre entre deux systèmes aussi hermétiques que le service de presse du LHC (ah non…) qui se respectent, ont été absolument insipides. Du coup, un peu comme à la RTS quand ils se rendent compte qu’un vieux Sion-Xamax n’a pas assez de faits saillants pour en faire un résumé d’une minute trente, on a décidé de suivre les faits et gestes d’un joueur pendant 40 minutes. Notre choix s’est naturellement porté sur le baromètre des Lions, véritable fer de lance du vestiaire vaudois. On a bien sûr nommé Tim, à Traber lequel nous avons vécu deux tiers par procuration. Le numéro 12 local avait en effet cédé sa place de coupeur de citrons au bout du banc à Benjamin Antonietti pour enfiler l’habit de lumière d’ailier de la quatrième ligne (de parade bien sûr). Alors qu’il ne se passait absolument rien en dehors de quelques séances de patinage arrière, notre héros parvenait à enchaîner un premier shift à la 3ème minute, suivi immédiatement d’une embrouille avec un défenseur adverse et d’une occasion de but (oui, oui). Trois minutes plus tard, il provoquait une supériorité numérique en faveur de son équipe avant de cadrer un tir sur sa présence suivante. Rassurez-vous, notre ami Tim se rattrapait bien vite de ces quelques fulgurances qui auraient pu en déstabiliser plus d’un dans l’assistance en étant pénalisé à la 18ème minute, quelques secondes après l’ouverture du score adverse. C’est encore ses camarades de l’inévitable quatrième bloc supersonique Herren et Froidevaux qui concoctaient l’égalisation de la 25ème minute. Pendant ce temps-là, le power play des futurs sociétaires de la Vaudoise Aréna, clairement en rodage, manquait à peu près autant d’idées qu’Albert Uderzo en fin de carrière. Heureusement que le « spectacle » (sic) présenté était entrecoupé de pauses commerciales et du ridiculissime Fan Challenge demandant au public de « faire du bruit », un peu comme si on se trouvait à la Postfinance Arena, enceinte dans laquelle on ne commence pas à chanter à moins d’avoir 5 buts d’avance. Voilà qui tombe bien, tout ce beau monde rentrait au vestiaire sur un score de 2 à 1 en faveur des visiteurs.

Le responsable Instagram du LHC – un poste à hautes responsabilités – avait tout de suite compris qui serait l’homme du match.

Trève de plaisanteries. A l’appel de la troisième reprise, le futur multiple champion de Suisse et d’Europe revenait sur la glace avec des intentions offensives et des lignes remodelées, avec notamment le retour du classique Jeffrey-Vermin-Bertschy. Après une succession d’à peu près 24 grosses occasions dont deux ayant touché les montants, Cory Emmerton, servi par Lukas Frick et Christoph Bertschy, pouvait remettre les deux équipes à égalité en supériorité numérique (49ème). La domination lausannoise continuait jusqu’à ce que Josh Jooris puisse tirer les marrons du feu (enfin façon de parler, on commençait presque à se les geler aux environs de 18h) et inscrire le 3-2 à la 56ème minute. C’est le moment que toute l’escouade de Malley choisissait pour se souvenir que la Nati jouait au même moment un match couperet face à Gibraltar et que les dix dernières minutes devaient approcher à Tourbillon. A force de laisser jouer une équipe qui n’avait pas contrôlé le puck en zone offensive depuis à peu près deux semaines, les coéquipiers de Tobias Stephan concédaient une pénalité stupide (et passablement imaginaire a priori) qui débouchait immanquablement sur l’égalisation à 23 secondes de la fin du match. Les prolongations ayant été aussi fructueuses qu’un cours de féminisme dispensé par Yann Moix, c’est donc au terme de la fusillade chère aux habitants de la Belle Province que le Lausanne Hockey Club arrachait une victoire méritée. Et franchement, on est soulagé, car ça nous aurait quand même fait mal au fion de perdre contre Jonatan Tanus et ses potes après un scénario pareil.

Yannick Herren, l’ailier de quatrième ligne le plus cher de Suisse, célèbre son égalisation avec ses coéquipiers.

On sent que le LHC entrevu ce week-end, s’il joue pied au plancher plus longtemps que les 20 minutes de dimanche, est prêt à affronter les challenges qui l’attendent cette saison dont les trois coups seront donnés ce vendredi 13 septembre (déplacement à Lugano parce que commencer par une bonne vieille bête noire à l’extérieur un vendredi 13 ça fait toujours plaisir). Mais soyons honnête, tout cela n’est rien comparé au défi ultime qui attend Jan Alston et Cie dès demain en Coupe de Suisse dans le chaudron de Graben, cette arène dont le monde nous envie la modernité. En effet, pour damer le pion au HC Sierrvette de l’idole des ménagères de plus de 60 ans Goran Be(re)zina, il faudra faire « tout un match » selon une expression qui défie toute forme de grammaire et que vous entendrez 3674 fois par match sur MySports cette année. Bonne reprise à tous!

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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