Ligue des Champions ? Sans moi !

Un camarade avec lequel il m’arrive de boire de temps en temps un sympathique café avant de nous rendre au bureau lorsque les masses laborieuses sont déjà en train de disserter des défaites respectives du Benfica, du Sporting et de la sélection nationale (qui sont de la faute de l’arbitre, des médias – tous anti-lusitaniens -, des autres joueurs truqueurs et sur-dopés, du jardinier, de l’éclairage et de Sepp Blatter, je résume, mais vous aurez compris), un camarade donc, disais-je avant d’être interrompu par nos amis lusitaniens, un camarade donc, me disait : «cette Champions League, ça vaut des ronds».

D’autres que moi lui auraient jeté leur café à la gueule, mais fort heureusement, je sais me tenir (j’ai arrêté d’uriner dans les lieux publics) et surtout, j’adore le café. Interloqué, je poussais mon ami (c’est une image, bande de pitres) à me communiquer donc combien il serait prêt à mettre pour, disons, simplement pénétrer dans une enceinte abritant un match de cette Ligue des Champions, disons, allez, combien tu mettrais pour voir la finale.Légèrement interloqué (je rappelle que nous sommes à l’aube de la journée, peu avant 9 h, c’est-à-dire que notre premier café n’est pas terminé et la troisième Super-Bock de nos copains pas encore entamée), mon ami me regarde de ces yeux de bovin qui me rappellent tellement Pierre-Alain Dupuis au sommet de sa concentration (au fait, je suis prêt à payer très cher une photo de Pierre-Alain Dupuis dédicacée, avis aux amateurs. C’est pas pour moi, mais il y a un concours dans «Histoires Naturelles» et il y a un prix à gagner pour celui qui arrive à amener la preuve qu’il existe des blaireaux de plus d’1m20), bon, disais-je (je vais y arriver, aussi sûr que Stéphane Grichting est l’un des meilleurs défenseurs suisses du championnat de France, bon d’accord, il y a des meilleures comparaisons, mais bon, hein, on a les comparaisons qu’on peut), bon, DISAIS-JE, mon ami me regarde de ces yeux de bovin sous-développé et me dit : «Ah ben, pour un beau match, je dirais…euh…jusqu’à 300 balles».

Bon, aux armes

Je résume, pour ceux qui n’auraient pas suivi ou qui n’auraient pas compris : mon ami (qui ne garde ce titre qu’au prix de mon extrême indulgence) est prêt à sortir 300 balles de sa poche pour aller assister à ce spectacle édulcoré et mis en scène. Je veux dire, chacun fait ce qu’il veut de son argent, c’est pas le problème, mais ce qui me sidère, c’est qu’il estime (et vous êtes nombreux, bande de salopards) que la Ligue des Champions, c’est mieux maintenant. 
Mais la Ligue des Champions, mon pote, c’est la mort du football ! Certes, les affiches entre grands clubs se multiplient, certes, le produit est bon, mais franchement, à quel prix ? Où sont passées les magnifiques affiches d’antan, cette découverte des footballs européens (je dis bien : «des footballs européens», lorsqu’il y en avait encore plusieurs, pas le jeu stéréotypé que l’on nous sert actuellement. Sérieusement, tu vois la différence entre Chelsea, le Bayern, le Milan et le Real, toi ? Moi pas), où sont donc passées ces magnifiques affiches, lorsque, sémillants adolescents, nous apprenions notre géographie à coup de Trabzonspor, Brann Bergen, Racing Santander, nous apprenions qu’il existait une région, la Ruhr, où se trouve une vraie passion pour le football (faites un sondage autour de vous auprès des personnes qui n’aiment pas le foot, combien savent où se trouvent Mönchengladbach, Dortmund et Gelsenkirchen ?), nous nous initiions (oui, y a deux i) à la géo-politique (Papa, pourquoi les Hongrois ils n’aiment pas les Russes ? Tonton, c’est quoi la différence entre un Irlandais du Nord et un Irlandais pas du Nord ? Maman, pourquoi y a plein de Noirs dans l’équipe de France et pas dans l’équipe de Tchécoslovaquie ?) ?

Et maintenant, elles sont passées où ces questions ??? «Papa, c’est quoi un oligarque ? Tonton, c’est quoi une stock-option ? Maman, ça veut dire quoi une part de marché ?».
Alors c’est ça, votre idéal ? Des Chelsea – Real, des Bayern – Milan, des Barcelone – Inter en 2001, les mêmes en 2002 et jusqu’à la mort ? Bien sûr que ce sont de belles affiches et je conçois bien que l’on s’y intéresse, je ne fais pas le procès de ces clubs, je fais le procès des faiseurs de pognon qui ont réussi à magnifier un produit en tuant tout ce qu’il y a autour. Sérieux, je suis le seul à être nostalgique de ces magnifiques coupes européennes du 20ème siècle où il était impossible de voir deux fois la même rencontre. Maintenant, si on vous dit : «T’as vu Bayern – Real ?», la première chose à faire, c’est de demander l’année parce que ce match s’est déroulé à peu près huit fois depuis 1999 !
Bien sûr que ces clubs sont historiques, bien sûr que lorsqu’arrive le fameux maillot blanc dans la magnifique enceinte de Bernabeu, l’amateur de football ne peut s’empêcher de penser à Puskas, Di Stefano, Michel et de les confronter à la fabuleuse histoire du Bayern, ressuscitant Gerd Müller, Rummenigge et Paul Breitner, mais serait-ce trop demander de voir réapparaître de temps à autre le Honved Budapest, Aberdeen ou Karl-Marx-Stadt, amenant un football différent et un peu de folie au sein de ces Coupes d’Europe, confinés que sont ces clubs à l’anonyme Coupe de l’UEFA, proprement et simplement assassinée ? Et ne venez pas me parler de surprises en Ligue des Champions, Porto, Monaco, Villareal, tout ce que vous voulez.
D’accord, ces clubs sont arrivés en demi-finales, en finale, ont gagné la finale, mais il n’en reste pas moins la vérité, la compétition est cloisonnée au profit des seize mêmes clubs. Et lorsqu’une fois, il y a un club qui amène un souffle nouveau, je veux parler du formidable Bayer Leverkusen de 2002, ce football offensif, inattendu, jouissif, ce véritable vent de révolte venu de la BayArena, prêt à révolutionner l’Europe, voilà que nos chers clubs du G14 enrayent le phénomène en transférant chez eux Lucio, Ballack et Zé Roberto. C’est ça votre réussite ? Bien sûr que c’est agréable de voir ces matchs le mercredi soir, mais un peu de recul, c’est trop demander ? Un peu d’authenticité, un peu de saveur ? Ah, ils vont y arriver, leur G14 (G envie de vomir, personnellement) à leur idée de championnat fermé. Ce jour-là, faudra m’arrêter avec un char d’assaut parce que je vais leur faire sauter le caisson. Motif : avoir assassiné l’amateur de Coupe d’Europe qui dormait en moi et n’attendais que de se réveiller. Œil pour œil, tibia pour tibia (j’ai piqué cette devise à Yvan Quentin).
Alors bon, je finis mon café, je reste calme (pour cette fois) et oui, camarade, j’ai 300 balles. Et je les garde.