Pas de pitié pour les croissants

A l’heure où notre équipe nationale de foot patauge dans la gadoue, CartonRouge.ch t’offre un petit retour en arrière, ami lecteur ! Nous sommes le mercredi 16 novembre 2005. Au stade Şükrü Saraçoğlu d’Istantbul, 52’000 supporters turcs en furie attendent les hommes de Köbi Kuhn. L’ambiance est électrique, folle, violente, malsaine… La Suisse va y jouer sa qualification pour la Coupe du Monde 2006 face à la Turquie, et doit absolument tenir le 2-0 du match aller. Yves Martin y était et nous replonge dans cette soirée inoubliable qui marquera à jamais l’histoire du football suisse. Reportage.

Après un mardi de visites dans la splendide ville d’Istanbul et le lendemain, matin du match, un passage à l’incroyable Palais Topkapi, il était temps de rejoindre les quatre potes supporters de Servette (Section Grenat et Vieille Garde) qui sirotaient tranquillement une bière de taille moyenne – donc un demi-litre, ce pays a aussi quelques avantages – dans un bistro vicieusement caché de manière à en faire trois fois le tour sans le voir. Nous pensions rejoindre quelques membres de la Section Zurich (fans du… LHC), mais comme Sylbière-the-boss semblait lui-même ne pas savoir exactement où il était, nous avons préféré nous donner rendez-vous au stade.Le temps d’apprendre que deux charters de supporters suisses avaient été annulés le matin-même, que nous ne serions que 500 et que le trajet en taxi jusqu’au stade durait une heure, nous nous sommes invités dans le transport en mini-bus organisé depuis l’hôtel des grenat. Pour apprendre également que la circulation était chaotique (3’000’000 de véhicules circulent dans Istanbul la journée, nous a soufflé un chauffeur de taxi local) et que du coup nous traverserions le Bosphore en ferry, ce qui ajoutait une touche d’exotisme au déplacement : pour le LS, je n’en ai pas effectués de nombreux en ferry, j’avoue (remarque pour le retour, changer de continent en mini-bus, c’était pas trop banal non plus).
Le quartier du stade n’étant plus qu’un immense bouchon de type Glion le week-end de Pâques quand il y a un semi-remorque coincé au milieu, nous finissons le trajet à pied, couleurs bien planquées, suivant une Turque qui est censée nous frayer un chemin dans la foule. Car foule il y a, et nous nous retrouvons bientôt noyés au milieu des supporters turcs qui font le pied de grue, évitant de parler, aussi perdus que notre guide improvisée.


Le stade Şükrü Saraçoğlu en feu…

Une baston éclate devant nous entre des Robocops et quelques excités, ce qui finit de nous rassurer complètement et n’arrange rien côté bousculade. Nous sommes soulagés lorsque nous sommes enfin pris en charge par les flics auprès desquels nous avons finalement réussi à nous glisser. Nous apprendrons par la suite que l’arrivée des autres supporters en car a été plus agitée, avec bombardements divers et charge des locaux sur les flics. Je n’y étais pas, je laisse les concernés vous peindre le tableau si le cœur leur en dit.
La fouille est… disons… serrée. Toute bâche à texte est confisquée, les briquets, quelques pièces de monnaie (= racket, donc) et les crayons à papier (ben oui, ma femme voulait faire un Sudoku en attendant le match…). Seule la gomme passe. Franchement, faire un Sudoku avec une gomme, c’est pas top me disais-je naïvement… mais comme finalement rien ne nous a été rendu à la fin, c’est toujours ça de sauvé (mais qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir foutre du drapeau suisse floqué BWFK ? Faudra que je refasse un tour au Grand Bazar pour voir si j’arrive à le marchander à bon prix). On se rendra compte par la suite que la fouille a été bien plus relax du côté turc, mais nous n’en doutions pas une seconde. Le racket continue au moment de s’acheter une boisson : 2 cocas et un petit paquet de chips : 17 francs. You’re welcome.
Le secteur réservé aux Suisses (pile poil la bonne taille pour 500) est bien protégé, avec grillage, double rangée de flics – de la marque «avec gros bouclier» – et no man’s land d’une vingtaine de mètres entre deux. J’ai le plaisir d’y retrouver par hasard dans la cohue mon pote Jean-Pascal, cofondateur des Ultras Sion, un des rares à avoir également assisté à Istanbul à la victoire de la Suisse en 1993, ainsi que quelques Old Town (BSC Young Boys), dont l’irremplaçable Marc. La Section Zurich est bien là elle aussi. L’ambiance est chaude en face (partout autour, je veux dire), les sifflets copieux pour saluer l’échauffement des nôtres. Il y a moyen de se faire entendre (constaté à la TV après coup), mais cela ne pourra être que sporadique. L’hymne est sifflé de façon inimaginable, si ça se trouve ils ont joué un boléro et personne ne s’est aperçu de la supercherie.


 Flics «avec bouclier»

Tous les Turcs sont équipés d’un drapeau et d’une casquette distribués gracieusement avant la rencontre. Bon, à Berne c’est plus pour le côté ambiance que l’on fait cela, et à Istanbul pour le côté projectile, mais le rendu est pas mal quand même.
Après 30 secondes, au moment de la faute de main, je me tourne vers Com’ pour lui dire que l’arbitre qui sifflera ici un penalty dans la première minute n’est pas encore né, avant de constater que si, finalement, c’est déjà un beau bébé avec une sacrée paire de couilles. Le but est marqué, et la première pluie s’abat sur nous : mâts de drapeaux, donc, mais ce n’est jamais que du plastique, pièces de monnaie et une torche allumée. Les flics nous protègent tant bien que mal avec leurs boucliers et ces derniers resteront levés à hauteur maximale durant toute la mi-temps. Aucun incident durant la pause, mais on se rend bien compte que les Turcs ont appris bien des gros mots en allant vendre des kebabs en Allemagne.
En seconde mi-temps, le speaker demande systématiquement au public de siffler lorsque les Suisses ont la balle, ce qui finit de poser un climat sain et fraternel. Sur et après le 3-1, l’ambiance est franchement impressionnante, chants surpuissants et sifflets nourris.
J’ai un petit faible pour un chant lancé à une seule reprise à 20 minutes de la fin : les quatre tribunes scandant l’une après l’autre (je me suis fait traduire, il faut toujours garder quelques amis turcs, même dans l’adversité) : «ROUGE» – «BLANC» – «TURQUIE» – «CHAMPIONNE», avec une gestuelle coordonnée et parfaite au moment de pousser la gueulée, à savoir un geste du bras en direction de la tribune qui continue le chant. Impressionnant. Côté suisse, on profite au maximum des baisses de régime des stentors d’en face, sans jamais atteindre des sommets.
Sur le 3-2, et après s’être rongés les dents sur les occasions «maousses» vendangées de part et d’autre, une petite bruine de pièces de monnaie s’abat sur nous, suivie d’une autre torche, puis d’une troisième, déjà éteinte. Que du bonheur, jusqu’à ce que la Turquie ne marque le 4-2 dans un stade qui ne recommencera à y croire vraiment que sur l’ultime coup franc de la 94e. Au coup de sifflet final, les joueurs décampent sans demander leur reste et sans saluer les supporters.


Sauve qui peut !

Les flics – qui ont par ailleurs bien fait leur job, en tout cas ceux dont la tâche était d’assurer la sécurité des supporters suisses – nous laissent poireauter dans notre bloc, avant de nous autoriser à rentrer à l’abri. Il faut dire qu’un cinglé a réussi à atteindre l’étage dans le coin supérieur, en réfection, et y a balancé sur nous ce qu’il avait sous la main : un gros bidon de peinture blanche, genre 10 litres, qui a fini sur la
tête de ce que je pense être un policier turc en civil (arf…), et un tuyau en plastique. Avant qu’il ne revienne avec un échafaudage ou un tas de sable, nous nous retrouvons donc consignés entre les chiottes et la buvette vide pour une bonne heure, le temps de
nettoyer le quartier (au Karcher ?).
Lors de la sortie, le système de sécurité déployé est proprement hallucinant. Pas âme qui vive, en dehors des quelques commerçants. Pas même un Turc au balcon… Comment font-ils ça ? Sans exagérer, je crois bien que 5 kilomètres après notre départ il y avait encore des flics de part et d’autre de chaque pont en-dessous duquel nous devions passer.
Le bilan de tout cela, en dehors des incidents entre joueurs qui sont nouveaux pour moi, c’est que rien n’a changé depuis 1993, à part la taille du périmètre de sécurité autour du stade. Ah si : dans la panoplie des projectiles, ils ont troqué les gobelets de pisse contre les torches, à vous de voir si on y gagne. C’est également la première fois que je vois que les objets anodins confisqués ne sont pas rendus. Sinon, tout le reste sent le remake. Les Turcs qui prennent comme prétexte que leur hymne a été sifflé à Berne sont d’une hypocrisie confondante : en 93, Turquie-Suisse était le match aller dans notre poule, et pourtant les cars avaient été caillassés, des Suisses rackettés en ville et agressés jusque dans l’aéroport. Je me demande s’ils ne sont pas un peu mauvais perdants, tout compte fait, non ?
N’empêche que pour l’ambiance pure, ça frise la perfection.

A propos Yves Martin 247 Articles
Cette Nati a deux vertus : celle de faire rêver quasi tout son peuple, et celle d'emmerder les connards de la fachosphère. Longue vie à elle.

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3 Commentaires

  1. allez va t en c est vraiment une honte c est les turcs qui prenne tout et les suisses eux rien comment ca se fait? blatter y est pour kelkechose ou c est encore une histoire de c est les musulmans qui prennent comme d hab

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