Entretien choc avec Guillaume Prébois

Guillaume Prébois a tenté de faire évoluer les mentalités à sa façon. En juillet dernier, le journaliste-cycliste s’est élancé sur la route du Tour de France à l’eau claire et a raconté son épopée quotidiennement à travers divers médias. Aujourd’hui, il en a fait un livre.

A l’inverse d’Henri Broncand, parti sur les routes de l’Hexagone chargé en tout ce qui se fait de dopant, Guillaume Prébois (35 ans) a prouvé qu’un diplôme de pharmacien n’était pas nécessaire pour terminer la Grand Boucle. L’expérience l’a transformé, a permis de poser les bonnes questions et surtout de rejeter certaines idées reçues.
 
Entretien exclusif avec cet homme de convictions, qui ne s’est pas fait que des amis dans le microcosme du cyclisme où les mentalités peinent à évoluer. Avec son franc-parler, il revient sur son expérience et ce qu’il en a retiré. Un pur moment de bonheur. Une magnifique Place des Grands Hommes.Carton Rouge : Salut Guillaume, pourquoi avoir lancé ce défi ?
 
Guillaume Prébois : Pour lancer un message d’espoir et démontrer, avec des données médicales concrètes, que ce n’est pas le cyclisme qui abîme la santé, mais le dopage. J’ai terminé en pleine forme, qui aurait parié un cent que je ne perdrai pas un kilo en trois semaines ? Que mon hématocrite serait le même à l’arrivée ? Je tenais également à démontrer que les journalistes sont aussi capables de mouiller le maillot et qu’ils ne sont pas tous forcément au buffet de la salle de presse en train de disserter sur leur prose avec la bouche en cul de poule et un verre de muscadet à la main.
Quelles ont été les principales retombées (médiatiques et financières) ?
 
En ce qui concerne la médiatisation, il suffit de dire que NTV Russie est venue de Moscou spécialement pour nous filmer sur la dernière étape ! Le Monde, Le Temps, L’Express, Le Point, La Vie, tous les journaux belges (y compris les flamands), la presse régionale française et des télés à gogo : TSR, TSI, France 2, France 3, France 5, trois fois le JT de 19h30 de la RTBF en Belgique… Toutes les plus grandes radios… Il serait plus simple de recenser ceux qui n’ont pas parlé de nous. Ah, si ! Le seul journal sportif français : L’Equipe ! Etrange non ? Question porte-monnaie, disons que pour un journaliste qui met son métier entre parenthèse pendant neuf mois, je suis rentré dans mes frais, ni plus, ni moins. Mais je savais qu’un projet hétérodoxe et dérangeant ne pouvait pas faire bingo. Je me suis toutefois ouvert à de nouvelles perspectives. J’ai monté mon propre site internet ( www.guillaumeprebois.com) qui servira d’interface avec les nombreux supporters du sport propre qui m’ont soutenu et j’ai ajouté une particule à mon métier : journaliste-cycliste. Je crois qu’il a toujours manqué aux athlètes de haut niveau la capacité de raconter leurs émotions, je suis donc particulièrement intéressé par l’amalgame entre la performance et son récit.


Guillaume Prébois en plein effort


Comment a réagi le monde du cyclisme à ton projet ? Sais-tu ce qu’en disaient les pros ?

 
Nous vivions avec un jour de décalage et, à part dans un hôtel dans la région d’Albi, après le contre-la-montre, je n’ai jamais croisé les pros. Je sais que l’excellent Simon Meier du Temps était monté au front pour recueillir les bruits de couloir et, à part des insultes et des quolibets de seconde classe, je n’ai pas récolté grand chose. Il est certain qu’un journaliste qui couvre le Tour à 29 km/h de moyenne sans peloton, dans la circulation et à l’eau claire, ça ne suscite guère de sympathie dans le milieu. Disons que j’ai un peu ébréché le mythe du Super Homme qui fait le Tour: un gratte-papier débarque et finit le Tour en bonne santé sans se doper, et en travaillant tous les soirs jusqu’à 23 heures, c’est gênant pour la légende de l’épreuve… 
L’équipe Quick Step, contactée par un quotidien flamand, a refusé que je serre la main à Tom Boonen, l’inspirateur de mon projet, qui avait déclaré après une étape de montagne en 2006 : «Aujourd’hui une personne normale aurait terminé à l’hôpital». Une réaction de fermeture symptomatique de ce milieu qui refuse de changer. 
 
Comment étais-tu accueilli sur place par les spectateurs et les suiveurs ?
 
Au fil des jours, avec la médiatisation croissante, certains ont commencé à nous reconnaître : ils nous encourageait chaleureusement, mais ce n’était quand même pas le délire. Ce qui m’a frappé, c’est que les gens ne peignent plus la route comme avant. Ils ne supportent plus un coureur, ils viennent voir la caravane publicitaire et le peloton bigarré qui file en trente secondes. Mais la passion n’y est plus.
Tu accuses le dopage généralisé dans le cyclisme, mais comment combattre ce fléau ?
 
Tout le monde paiera-t-il ses impôts un jour sur cette terre ? Viendra-t-il un jour où les voleurs auront disparu ?  Réponse : non. Donc il y aura toujours des dopés. Le dopé est le voleur du sport. Ce qui m’a effaré, c’est le manque de conscience collective des cyclistes : quand leur sport est menacé comme il l’est, on revoit son code de conduite, on se calme… Eh bien non, eux ils continuent comme avant. La raison en est simple : la plupart des cyclistes ne savent pas pédaler sans aide pharmacologique, la notion de souffrance leur est totalement étrangère. Les différents cas de dopage ont démontré que chacun a une bonne raison de se charger : Vinokourov pour gagner le Tour, Kashechkin pour l’aider, Mayo pour gagner des étapes, Sinkevitz pour se placer au général et Moreni pour… terminer la course. Pour arrêter le dopage il n’y a qu’une seule solution : multiplier les contrôles hors course, quand les coureurs «préparent» un objectif. Ensuite, sur le Tour, il faudrait les rassembler dans un hôtel gardé par la police avec contrôle et fouille à l’entrée et à la sortie. ll s’agirait d’une militarisation du sport, elle est donc impensable. Mais prenez le cas du Keirin au Japon. Les concurrents sont enfermés dans un monastère pendant les 15 jours qui précèdent la course puis emmenés au vélodrome. Il devient difficile de tricher.


Un livre à ne pas manquer !


La meilleure médecine n’est-elle pas de choper tous les «gros» comme lors du dernier Tour de France ?
 
Le plus gros n’a pas été pris ! L’idée selon laquelle seuls les gagnants sont dopés est erronée. Du premier au dernier ils doivent «s’aider», le premier pour développer des puissances d’extra-terrestre dans les cols, le dernier pour réussir à rentrer dans les délais de l’extra-terrestre. Vous ne vous êtes jamais demandés comment font les sprinters de 90 kilos pour rallier l’arrivée à moins de 40 minutes de Contador après six cols ? Moi si ! Et je n’ai pas trouvé de réponse.
Le cyclisme a-t-il encore un avenir ?
 
Aucun. Depuis l’affaire Festina on nous répète que «tout a changé» mais on assiste encore à des festivals de puissance, les coureurs continuent de ne pas transpirer, de ne pas s’essouffler… Ah, le bon vieux temps où Bernard Hinault appuyait la tête sur son guidon une fois la ligne franchie !… On parie que le Tour 2008 sera pire que celui de 2007 ?
Comment un jeune peut-il encore «tomber» dans le cyclisme avec toutes ces affaires ? A l’insu de son plein gré ?
 
On commence souvent à pédaler pour le plaisir de voyager, de voler sur deux roues. Ce plaisir reste intact dès que l’on pédale, même aujourd’hui. Un jeune peut donc aimer le vélo comme instrument d’évasion. L’attrait de la compétition est différent : un jeune comprend très rapidement quels compromis il doit accepter pour aller plus loin. Ce sont souvent les directeurs sportifs des clubs qui indiquent la voie royale : la pharmacie !
Quels sont tes projets pour le futur ? As-tu un autre défi en tête ?
En 2030 il faudra bien que je raconte des histoires à mes petits enfants, je vais donc tenter une nouvelle aventure en 2008, toujours sur le thème du sport propre et de la performance, avec un nouveau volet médical. Je participerai à la Race Across America, la célèbre RAAM, dans la catégorie duo. Il s’agit de traverser les Etats-Unis d’ouest en est, 5’000 kilomètres, en moins de sept jours. La course est non-stop, on se relaye toutes les deux heures, de jour comme de nuit. Bref, une folie ! Le CHU de Toulouse m’accompagnera encore, cette fois pour analyser le sommet polyphasique en situation de stress ! Attention au nom de mon équipier, c’est une pointure et c’est… mon voisin, ou presque, puisqu’il vit à 30 km de chez moi : Miguel Martinez, cinq fois champion du monde de VTT, champion olympique à Sydney, qui a participé au Tour de France 2002 chez Mapei. Nous nous sommes parlés franchement : Miguel n’a jamais eu un seul problème avec l’antidopage, il a des valeurs. 


Un autre défi attend Guillaume Prébois en 2008


Tu parles de ton aventure dans ton livre «L’Autre Tour ou le Tour à l’Eau Claire». Peux-tu nous en dire plus ?

«L’Autre Tour ou le Tour à l’Eau Claire» est un livre unique au monde et je vous explique pourquoi. 1 – Il propose 160 pages illustrées toutes en couleur, avec des dizaines de photos et cela le distingue des ouvrages sportifs tristounets avec cahier central de trois photos en noir et blanc. 2 – Il propose les menus, au gramme près, de ce que j’ai mangé pour faire le Tour. 3 – Il fournit des données concrètes pour discuter de dopage. Jour après jour, nous joignons les bulletins médicaux du médecin, avec poids, pression, hémoglobine, hématocrite etc… Et on peut se faire une idée des réactions de l’organisme d’une personne saine qui fait 7 heures de vélo par jour. Enfin, quel autre auteur a parcouru 200 km par jour avant de prendre feuille blanche et plume? Ce livre a été écrit en temps réel, l’écriture transpire et ça se voit.
Ton livre sera-t-il distribué en Suisse ? Comment se le procurer ?
 
Mon livre est difficile à trouver pour le moment. On ne le trouve pas à Saint-Etienne en France, je n’ose pas y penser en Suisse… Le meilleur moyen, c’est de le commander sur mon site www.guillaumeprebois.com, ce qui me permettra de faire une dédicace personnalisée à chaque lecteur !
Enfin, quelques petites questions à la sauce Carton Rouge : quel est le plus gros menteur du peloton ?
 
Ses initiales sont L.A, mais c’est confidentiel.
Si tu avais Hein Verbruggen et ses petits copains en face de toi, que leur dirais-tu ?
 
De quelle couleur on choisit le cercueil pour enterrer notre bien-aimé cyclisme ? 
De quelle couleur est l’urine de Floyd Landis ?
 
Elle a l’odeur et la couleur du whisky mais ce n’est pas du whisky.
As-tu suivi l’épopée fictive d’Henri Broncand sur CartonRouge.ch, qui a réalisé le même parcours que toi, mais un jour après les coureurs et complètement drogué ?
 
Henri Broncand est mon idole : c’est le seul coureur franc et loyal du peloton, le dernier est toujours bibliquement le premier dans nos coeurs.
Enfin dernière question, tu connais le point commun entre la Street Parade et le Tour de France ?
 
C’est très gay.
Bien essayé mais ce n’est pas ça : la Street Parade et le Tour de France sont deux défilés de drogués !
Un grand merci Guillaume et à très bientôt pour de nouvelles aventures !
Merci à vous et longue vie à CartonRouge.ch !

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4 Commentaires

  1. Merci a CR davoir donné la parole a un vrai cycliste !Ca nous manquait la moindre.

    Je me demande vraiment sils sont tous dopés ? Entrainés à coin et suivis médicalement correctement peut-etre, mais dopés….? Imaginez ce que la lecture de cet article a du faire à Duboux de la TSR ??

  2. Bravo pour cet interview dun grand homme qui na pas peur de dire ce quil pense. Le cyclisme est un sport fabuleux, pour lévasion comme il le dit, pour le défi personnel, mais pas pour la compétition.

    Jaurais adoré faire quelques kilomètres avec lui.

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