Un week-end ordinaire (1/2)

On te relate régulièrement les péripéties du championnat le plus exaltant du monde sur CartonRouge.ch mais on a un peu tendance à oublier qu’un match de Bundesliga, ce n’est pas seulement 90 minutes de jeu. Alors voici, minute par minute, le récit d’un week-end comme les autres au royaume des stades pleins, des ambiances de feu, des scores fleuves, des Würste et des bières.

Samedi 2 avril 2011

4h50 Le réveil sonne. Les trente premières secondes sont difficiles mais dès que j’ai réalisé pour quelles raisons il faut se lever à une heure aussi incongrue, il est beaucoup plus facile de s’extirper du lit.
5h20 Départ de mon domicile dans le Gros-de-Vaud.
5h33 Passage à Lausanne pour embarquer mes deux compagnons de route du week-end, Dep, qui vient pour le foot et la fête, et Sarah, étudiante allemande qui ne vient pas pour le foot mais profite juste de la voiture pour aller faire un barbecue à Leverkusen avec sa famille (j’ai dû me faire expliquer trois fois le truc, je n’arrivais pas à concevoir qu’il y avait des espaces verts pour faire des barbecues à Leverkusen).
10h12 En bon stakhanoviste de la route, j’autorise un premier et unique arrêt. Juste le temps de faire le plein et d’acheter un coca (et des kleiner Feigling pour mon copilote).

10h28 Le GPS ayant signalé un bouchon monstre à la sortie de Francfort, on opte pour un «raccourci» champêtre où l’on se trouve bloqué derrière des fans d’YB avec des plaques thurgoviennes.
10h29 On double les Bernois.
11h18 Comme le veut la tradition, la dernière heure de trajet se fait au son des chants du Borussia Dortmund. Même notre passagère de Leverkusen reprend le «Wer wird Deutscher Meister ? Borussia BVB».
12h27 Arrivée à Dortmund et passage à proximité du stade. Avec le bouchon à Francfort, on reste à quelque 45 minutes de notre record du trajet.
12h42 Après avoir déposé notre charmante étudiante vizekusienne à la gare, arrivée à l’hôtel, toujours le même. On écluse la première bière du jour au bar, entièrement décoré à la gloire du BVB, avec en prime un immense drapeau suisse au mur, l’hôtel en question servant également de repaire aux fans suisses allemands du Borussia Dortmund. À côté de nous, des Lucernois attaquent déjà le Jägermeister, alors que l’on échange un pronostic optimiste avec Nina, la réceptionniste : «Vier zu null, wir treffen immer vier Tore gegen Hanover».
13h05 On prend le U-Bahn, en direction du stade.
13h11 On s’autorise un kleiner Feigling, histoire de ne pas être les seuls dans cette rame à ne pas avoir de boisson alcoolisée à la main.
13h21 Arrivée à l’arrêt Stadion, à quelques mètres de l’endroit où, 48 heures auparavant, trois engins explosifs ont été découverts par la police. Le terroriste en herbe venait de Krefeld. Vingt ans après, n’aurait-il toujours pas digéré le passage de Stéphane Chapuisat d’Uerdingen à Dortmund ? Si dans huit ans Servette existe encore, on ira déposer une bombe près de la Praille en représailles au transfert de Léonard Thurre.

13h26 Biere und Würste au Biergarten du Rote Erde Stadion, l’ancien stade du Borussia Dortmund, situé juste à côté du nouveau. Inutile de préciser qu’avec la température estivale, l’endroit est archibondé et que la bière coule à flot.
14h07 Passage au Biergarten de la piscine. Comme on pressent une certaine attente à l’entrée du stade, on ne s’y éternise pas trop.
14h53 Entrée dans le plus beau stade du monde, lequel fête son 37e anniversaire en ce samedi ensoleillé.
14h56 Bière au pied de la Südtribüne, déjà archicomble avec ses 24’500 abonnés.
15h12 Escale à «notre» buvette des blocs 85 et 86, en SüdOstTribüne pour emporter le ravitaillement pour la première mi-temps, avec un double scandale : l’habituelle blonde si souriante et si efficace au service a été reléguée au tirage des bières dans l’arrière boutique, alors que certaines bières sont servies dans des choppes en plastique transparent et non à l’effigie des joueurs comme d’habitude. Il y a tellement de supporters qui veulent garder un souvenir de cette saison exceptionnelle que le fournisseur doit être en rupture de stock…
15h16 Nobby Dickel, speaker du Westfalenstadion et héros de la finale de la Coupe d’Allemagne 1989, fait la ola avec la Südtribüne.
15h22 Des dizaines de milliers d’écharpes se tendent pour le Never Walk Alone, qui n’est pas juste un slogan en l’air au Westfalenstadion puisque, même durant ses années de galère, le Borussia Dortmund a pu compter au minimum sur 72’000 fans en moyenne.
15h24 Nobby délivre la composition du Borussia Dortmund, reprise en chœur par tout le stade. Une petite surprise par rapport à l’équipe annoncée : Lewandowski est aligné d’entrée en lieu et place de Blaszczykowski (voilà qui va sans doute changer ta vie).
15h29 Entrée des équipes au son d’«Heja BVB». L’adversaire du jour, c’est Hanovre surprenant troisième du classement. Mais après la défaite à Hoffenheim et le nul contre Mainz, Dortmund n’a plus le choix : il faut gagner sous peine de voir Leverkusen se rapprocher dangereusement.

15h30 Sifflets au Westfalenstadion : Hanovre a gagné le toss et choisi de défendre dos à la Südtribüne en première mi-temps, au grand dam des supporters qui préfèrent la configuration inverse qui a si souvent permis au BVB de faire exploser l’adversaire.
15h33 Hanovre se crée d’emblée deux corners. Si l’équipe du BVB a un peu de peine à rentrer dans son match, ses supporters sont en revanche directement dans le vif du sujet, l’ambiance est déjà énorme et on n’a encore rien vu…
15h49 Première grosse occasion pour le Borussia, Götze sert un caviar à Barrios, qui rate complètement sa frappe. Une action à l’image de la première mi-temps, avec une domination dortmundoise stérile et brouillonne. On sent la jeune équipe de Jürgen Klopp extrêmement tendue, à l’image du Polonais Lewandowski qui galvaude trois balles de but sur des contrôles approximatifs.
16h14 C’est pas vraiment rassuré que je retourne à la buvette afin d’aller chercher les stocks de Brinkhoff’s pour la deuxième mi-temps, puisque le tableau d’affichage indique toujours 0-0. Pourtant, Hanovre ferme moins le jeu que d’autres équipes vues récemment au Westfalenstadion. Mais le jeu dortmundois est moins fluide qu’au 1er tour et certaines passes qui aboutissaient les yeux fermés il y a quelques mois ont la fâcheuse tendance à finir en touche ou dans des pieds adverses.
16h45 Le corner à deux, ça ne marche jamais. Enfin, presque jamais parce que là la combinaison entre Schlaudraff et Pinto permet au second nommé de trouver le Norvégien Mohammed Abdellaoue au deuxième poteau pour l’ouverture du score en faveur des visiteurs. Une sourde angoisse commence à nous envahir, on voit déjà le BVB rejoindre Schalke et Leverkusen sur la liste des effondrements spectaculaires qui ont nourri la légende de la Bundesliga. On pensait que ce but allait contracter encore un peu plus les jeunes joueurs dortmundois mais il agira au contraire comme une libération.
16h47 C’est d’un gamin de 18 ans que va venir la délivrance : Mario Götze part du flanc gauche, passe en revue la défense hanovrienne avec notamment un somptueux enchaînement double contact – petit pont, avant de conclure de la pointe du pied dans le petit filet malgré le retour désespéré d’Haggui. Si Messi marque un goal pareil, ça fait le tour de la planète. Note, ça ne nous dérange pas trop si le formidable talent de Götzinho reste un peu sous-médiatisé, cela éviterait d’attirer les rapaces anglais et espagnols et leurs millions mais c’est mal parti, Barcelone, Manchester United et l’Inter seraient déjà sur les rangs.

16h52 Les portes de l’enfer se sont ouvertes pour Hanovre, qui ne gagne plus un duel contre un rouleau compresseur jaune et noir porté par l’ambiance délirante du Westfalenstadion. Lukasz Piszczek s’échappe sur la droite et dépose le ballon sur la tête de Lucas Barrios qui troue la lucarne. En cinq minutes, le match et peut-être le championnat venaient de basculer.
17h01 Quand il est pareillement porté par la foule, le BVB est quasi injouable. Sur un énième ballon récupéré à mi terrain, Mario Götze délivre une merveille d’extérieur qui lance Lucas Barrios, lequel profite d’une intervention hasardeuse d’Haggui pour crucifier le gardien Fromlowitz entre les jambes. Lors des derniers matchs, le BVB avait manqué de réalisme mais, sur cette deuxième mi-temps, il s’est montré aussi opportuniste qu’un élu socialiste pour trouver un appartement à loyer bon marché dans un immeuble public.
17h06 Annonce du nombre de spectateurs : pour la dixième fois en quatorze rencontre de Bundesliga cette saison, le Westfalenstadion affiche complet (80’720 spectateurs). Et les deux prochains matchs contre Freiburg et Nuremberg sont annoncées guichets fermés, alors que l’ultime rendez-vous de la saison contre Francfort a déjà suscité plus de 350’000 demandes de billets… Abonnements obligent, on fera partie des privilégiés et tu imagines bien que l’on n’échangerait aucun de ces trois matchs contre un abonnement à vie pour le Clásico ou la finale de la Ligue des Champions.
17h11 La cerise sur le gâteau. Ou plutôt, pour rester local, le curry en poudre sur la Currywurst : le quatrième but du Borussia Dortmund est somptueux avec un centre de Lukasz Pisczek, une talonnade délicieuse de Lucas Barrios et un ballon enroulé par Kevin Grosskreutz dans le petit filet opposé.
17h14 Alors que les chants de victoire résonnent dans le Westfalenstadion, on a une pensée émue pour l’entraîneur d’Hanovre Mirko Slomka, qui avait déclaré avant le match que Dortmund était en train de se dégonfler. C’est vrai que l’effondrement de fin de saison, il connaît ça, Mirko, lui qui avait laissé échapper un titre au profit de Stuttgart en ayant compté sept longueurs d’avance sur les Souabes à huit matchs de la fin. Mais c’était avec Schalke qui est, contrairement au BVB, un club d’éternels perdants.
17h21 Fin du match, 4-1 contre le troisième du classement, Dortmund n’est pas encore tout à fait en crise. Seuls ombres au tableau, la victoire de Leverkusen à Kaiserslautern et le fait d’avoir aidé le Bayern à récupérer la troisième place au détriment d’Hanovre.
17h26 La communion est totale entre joueurs et supporters qui sautillent conjointement sur le «Wer wird Deutscher Meister ? Borussia BVB». Sept points d’avance sur Leverkusen à six matchs de la fin, ça se précise, il y aura encore un test compliqué samedi prochain à Hambourg mais ensuite le calendrier paraît beaucoup plus favorable pour Dortmund que pour Neverkusen.
17h29 Le seul joueur qui a droit à un rappel individuel n’a pas participé au triomphe de l’après-midi : désormais barré au poste de latéral gauche par Marcel Schmelzer, le Germano-Brésilien Dede va quitter le club après treize ans de bons et loyaux services. Voilà qui méritait bien une longue séance de «Olé Dede» et quelques larmes dans les tribunes. Le futur ex-Dortmundois a d’ores et déjà assuré que, quel que soit son futur club, il demanderait une clause dans son contrat pour ne pas avoir à jouer contre le BVB au Westfalenstadion.

18h40 Après quelques haltes houblonnées, on finit par rejoindre l’arrêt du U-Bahn.
19h15 Retour à l’hôtel pour déposer maillots, écharpes et casquettes, ainsi que pour une sieste réparatrice en revoyant vaguement les buts du match à la TV.
21h20 On prend notre seul vrai repas de la journée, une Schnitzel, sur la terrasse d’une brasserie à l’Alte Markt. Les terrasses sont bondées et l’ambiance est à la fête. Quand le BVB gagne, c’est toute une ville qui a le sourire.
22h45 Arrivée à notre discothèque préférée, l’Anton’s Bierkönig. Les commentaires montrent que certains de nos lecteurs sont mineurs (suivez mon regard…), alors on n’en dira pas plus sinon on va encore me reprocher de dévoyer la jeunesse.
À suivre…

Borussia Dortmund – Hannover 96 4-1 (0-0)

Signal Iduna Park, 80’720 spectateurs (guichets fermés)
Arbitre : M. Gräfe.
Buts : 57e Abdellaoue (0-1), 59e Götze (1-1), 64e Barrios (2-1), 73e Barrios (3-1), 83e Grosskreutz (4-1).
Dortmund : Weidenfeller; Piszczek, Subotic, Hummels (80e Santana), Schmelzer; Bender, Sahin; Götze (85e da Silva), Lewandowski (71e Blaszczykowski), Grosskreutz; Barrios.
Hannover : Fromlowitz ; Cherundolo, Haggui, Pogatetz, Schulz (61e Chahed); Stindl, Schmiedebach (76e Carlitos), Pinto, Rausch (46e Schlaudraff); Ya Konan, Abdellaoue.
Cartons jaunes : 52e Schmiedebach, 61e Götze, 66e Chahed.
Notes : Dortmund sans Kringe ni Kagawa (blessés), Hannover privé de Zieler, Avevor et Andreasen (blessés).

Écrit par Julien Mouquin