Ce ne serait pas du foot aussi ?

L’Australie peut paraître bien étrange avec ses animaux qui sautent pour se déplacer, ses habitants au visage rouge qui parlent en riant et ses interminables paysages hostiles. Mais aussi par les sports que la nation se plaît à prendre pour passion. Vu d’Europe, celui qui nous semble souvent le plus imperméable est justement le jeu affublé de notre traditionnel nom de «football».

Terme qui nous paraît si galvaudé quand on ne voit pas onze mecs avec un maillot marqué Qatar sur le torse essayant de faire rouler une balle dans une cage contre onze mecs avec un maillot flanqué du nom d’une boîte de pétrole. Si les Irlandais ont le foot gaélique, les USA le football américain (certains diront que les Suisses ont la Super League mais bref…), nos amis des antipodes ont le footy, le sport numéro un en Australie.Le foot australien c’est quoi ? En gros, on peut le définir comme un mélange de rugby, de soccer et de handball où deux équipes de 18 joueurs en marcel s’affrontent sur un immense terrain ovale. Vous en avez certainement aperçu sur Eurosport 2, entre une partie de snooker et un tournoi de fléchette, et vous avez encore plus certainement zappé, effarés par le spectacle surnaturel qui vous rappelait les jeux improvisés à la récré quand on avait piqué le cartable du petit Jérémy et qu’on se le passait par tous les moyens juste pour se gausser des pleurs de ce pauvre binoclard qui avait justement amené son hamster dans une des poches ce jour-là (par bonheur nous avons grandi et pris de la maturité donc, pour exercer notre cruauté envers un plus faible à présent, nous nous tenons aux cadres que l’Etat met à disposition pour cela, comme la route, l’école de recrue ou les sociétés de recouvrement).

Le foot australien est, en effet, un sport qui donne, à première vue, une impression de chaos frénétique, tant les règles, les systèmes de jeu et le sens de la débauche d’énergie fournie par les joueurs sont complexes à appréhender. Et pourtant, malgré la réputation barbare dont est affublée le footy d’un regard européen, on rentre vite dans le bain si l’on se fait violence à s’intéresser à un match. Et on s’aperçoit que l’on assiste là à l’un des sports les plus ludiques, palpitants et fun qui nous ait été donné de découvrir et que notre ethnocentrisme, en nous ayant poussé à garder un apriori négatif sur quelque chose qu’on ne connaissait pas bien, nous trompe pour la première fois de l’histoire de notre Vieux Continent (enfin, si l’on exclut bien sûr le moment un peu embarrassant où on brûlait des jolies filles en disant que c’étaient des sorcières).

Le championnat

L’Australian Football League (AFL) se compose en 18 équipes dont 9 viennent de Melbourne. En résumé, la compétition se joue via une première phase ressemblant à un championnat classique puis, une seconde qui voit les huit premiers clubs s’affronter dans des matchs à élimination directe jusqu’à la grande finale désignant le champion. Lors de la dernière saison, ce sont les Hawks de Hawthorn, issus de la banlieue melbournienne, qui ont remporté le titre. Les surnoms rigolos des clubs colorent d’ailleurs de façon amusante ce championnat avec, par exemple, les Eagles de Perth, les Powers de Port Adelaïde, les Swans de Sydney ou les Kangaroo de North Melbourne….
On ne s’attardera pas sur un exposé des règles du jeu mais sachez qu’elles sont multiples et très élaborées, malgré les apparences ; de la passe qui ne peut être réalisée qu’en tapant le ballon à celle du «mark» qui veut qu’un joueur qui rattrape une balle lancée de plus de 15 mètres ne peut être touché dans la zone d’attaque (oui c’est étrange). Néanmoins, il ne faudra pas plus de dix minutes devant un match pour comprendre l’essentiel du fonctionnement du jeu. Et il devient, dès lors, absolument plaisant à suivre tant l’une des caractéristiques essentielles de la chose tient dans le rythme soutenu de l’action. Certes, ce sport est quelque peu brusque, dans la mesure où tout contact est autorisé tant qu’il ne se situe pas sous la ceinture et qu’il n’est pas «jugé» d’intention de blesser. Du coup, il peut vous arriver d’être un tantinet interloqué à la vue de certains excès de combativité entre joueurs (comme par exemple le fait que l’étranglement soit visiblement toléré). Mais les affrontements restent malgré tout très corrects et ne ressemblent pas aux pugilats fantasmés lorsqu’on se fait communément une idée de ce qu’est le foot des antipodes.
A noter également que le footballeur australien ne ressemble pas visuellement à notre footballeur. Car contrairement au nôtre, celui de là-bas correspond quasiment toujours à une morphologie semblable, c’est-à-dire une silhouette fine ponctuée par des bras et un haut de corps exagérément balèze, habillé comme un John McClane fluo, le flingue en moins (quoi qu’on ne serait même pas surpris s’il en avait un).

Aller voir un match de footy : mode d’emploi

Pour assister à ce spectacle extraordinaire, deux choix s’offrent à vous. Le premier est d’aller voir l’un des innombrables matchs de ligues inférieures ou amatrices dans des petites villes où un gentil monsieur hydraté à la bière, heureux de découvrir un Européen venu s’intéresser à son sport, viendra vous prendre par l’épaule et vous dira : «Hi mate, I’m Bob the plumber, you are my friend, do you want to have sex with my sister ?». L’autre option est de se rendre dans l’un des immenses stades abritant les compétitions de première division et notamment le plus grand d’entre eux, le Melbourne Cricket Ground. Le MCG Stadium est une immense enceinte de 100’000 places situé exactement au centre de Melbourne. Stade de cricket également, puisque les deux sports se jouent sur les mêmes terrains.
Prenons donc exemple d’un match joué dans cette magnifique enceinte digne d’un cirque romain moderne, d’un harmonieux ovale, tout comme le terrain. Nous sommes un samedi soir d’août dans cette extraordinaire ville qu’est Melbourne et autour du stade se joue une agitation à la fois calme et enjouée. Pourtant, c’est bien un derby qui va se disputer  aujourd’hui entre les deux clubs les plus titrés d’Australie : les Blues de Carlton contre les Bombers d’Essendon. Le stade n’est pas plein (50’000 spectateurs tout de même…) car les deux clubs ne sont pas au sommet du classement. Ils finiront d’ailleurs la saison dernière respectivement à la huitième place (donc accès aux play-offs mais sans y briller) et neuvième (juste sous la barre).
Le premier conseil que vous donneront une majorité d’Australiens si vous leur dites que vous allez voir un match sera de «boire des litres (traduction littérale) avant d’entrer dans le stade car l’alcool est trop cher». Tiens… n’ai-je pas déjà entendu maintes fois ce pertinent conseil en Grande Bretagne ?
Qu’aurez-vous retenu d’autre avant d’entrer dans l’arène ? Sans doute l’insondable mystère qui, dans les bars, vous fera voir les autochtones regarder ce football-là avec sérieux, flegme et concentration alors qu’ils s’enflammeront, hurleront et sautilleront dans l’invective au son des «fuck ! fuck !» devant l’abominable et interminable cricket (enfin, surtout s’ils jouent contre l’Angleterre).
Vous risquez d’être également fort surpris lorsque vous arriverez aux abords du stade en rencontrant une foule de gens en costume cravate ou en tenue de soirée. En fait, les tributaires d’un abonnement dans certaines catégories sont tenus de répondre à certaines règles lorsqu’ils vont à un match à Melbourne, notamment celle d’une tenue très correcte exigée. L’un des points du règlement stipule même que les hommes portant un vêtement sans col seront interdits d’entrée. Rien de cela pour les places normales, où le service d’ordre fait très attention à l’entrée des spectateurs mais ne procède pas à un contrôle exagéré. Le ticket vous coûtera entre 40 et 60 francs pour un siège standard placé derrière les buts. Un peu plus bien sûr pour les places du milieu (mais qui, pour le coup, sont également un virage…).
Avant un match il est bien sûr de bon ton de passer par la case toilettes afin de prendre place dans un confort maximum. Il vous sera ainsi donné de voir un spectacle encore plus grandiose que celui de la Great Ocean Road ou l’opéra de Sydney : j’ai nommé les WC homme du MCG et son gigantesque urinoir, grand comme douze maisons. Malgré le caractère majestueux de cet ouvrage, il apparaît difficile de se trouver à l’aise. Il faut se représenter l’image d’une alignée de mecs urinant sur une conduite Gazprom. Telle une taupe dans un magasin de ver-de-terre en solde, il faut se faufiler pour faire sa place et soulager sa vessie les épaules collées contre celles de vos voisins. Et là un drame humain s’expose au jour. Si vous faites la taille d’un honnête petit Suisse de tout juste moins d’un mètre huitante, vous réalisez que les Australiens atteignent facilement le double mètre. Certes le mélange des cultures est une chose formidable pour de jeunes gens en quête de nouveaux horizons. Mais de là à réceptionner sur son pull les éclaboussures urinaires de vos voisins, on se dit que l’on n’est pas obligé de tout partager non plus. Passons sur cette poétique parenthèse enchantée.

Sur le terrain, pas de round d’observation : les deux équipes bataillent sans répit. Les courses sont incessantes, un peu comme un épisode de Bip-Bip et Coyote. Les essais s’enchaînent provoquant l’ire ou l’extase chez les supporters de chaque club. Carlton domine les débats pendant la majeure partie du jeu.
Un match dure quatre quart-temps de vingt minutes. Alors oui c’est un peu long. D’autant plus que le chrono s’arrête pendant les arrêts de jeu comme au hockey et que dans certains stades, ces interruptions ne s’affichent pas. Du coup, on se retrouve avec une horloge qui nous indique une fois 34 minutes et l’autre 28 minutes et l’on ne sait jamais quand finit exactement le quart-temps. Là aussi, ce qui peut passer a priori comme un aspect ennuyeux s’avère être un très bon vecteur de suspense supplémentaire. Imaginez une finale de Coupe du Monde où l’on ne saurait pas s’il reste cinq minutes à l’Italie pour égaliser contre l’Allemagne ou trente secondes.
Mais, vous me direz, qui dit quatre phases de jeu dit aussi trois interruptions ! Effectivement, il faut donc s’atteler à la noble et spirituellement constructive occupation des mi-temps qui dans tous les stades de tous les sports du monde consiste en une quête de deux choses : trouver une bière et trouver un hot-dog.
Pour le manger, ce ne sera pas compliqué, tant les innombrables stands de bouffe s’alignent au sous-sol, offrant tout ce que le monde du fast-food a fait de pire au cours de l’histoire, de l’infâme pizza aux airs de prédigéré à l’abominable burger trempé dans la mayonnaise. Pour la boisson c’est une autre histoire.

Ode à la joie

Inquiétés par les conseils de nos interlocuteurs passés concernant les prix exorbitants, nous nous dirigeons, avec quelques gouttes de sueurs perlant sur la tempe, vers l’un des endroits où se crée une file d’attente digne d’un rationnement de pains et de choux sous une ère communiste, en d’autres termes, le stand de vente de bière.
Et effectivement, cela n’est pas donné. Mais comme ce pays est en soit un lieu de ruine pour les écumeurs de pubs (pour ceux qui ne le savent pas vous paierez environ 12 dollars australiens – soit 10 francs suisses – pour une pinte dans n’importe quel bar, et on ne parle même pas du paquet de clopes à 20 dollars…), on ne sera nullement choqué par les prix toujours surfaits dans les enceintes sportives. L’alcool dans les stades fait débat depuis longtemps par chez nous. On en trouve peu chez nos amis britanniques et jamais dans les matchs sous l’égide de l’UEFA (excepté dans les carrés VIP bien sûr, ce qui constitue encore une preuve que la lutte des classes est un fiasco grand comme une équipe de France en Afrique du Sud). Un match de football australien au MCG constitue un intéressant exemple de cas pour se forger une part d’opinion sur le sujet.

Certes, il est assez surprenant de constater que certains spectateurs, ne voulant sans doute pas trancher entre l’amour de l’ambiance de stade et leur adoration de l’éthylisme social, choisissent de payer leur billet d’entrée pour passer l’intégralité du match accoudés à une table près d’un débit de boisson, c’est-à-dire hors de vue du spectacle mais en face de l’un des innombrables écrans retransmettant le match qui se déroule à 30 mètres. L’étonnement passe vite lorsqu’on envisage que, finalement, la plupart d’entre vous font la même chose à Paléo. Non, la vraie question est ailleurs. L’alcool peut évidemment contribuer à créer des comportements exutoires chez les supporters frustrés (même si, au hasard des rencontres, on trouve aussi des gens sobres très agressifs) mais force est de constater qu’il peut aussi être un facteur d’ambiance dans une enceinte. Ce constat, nous le faisons en comparant l’ambiance très US du début de match (avec des gens assis, qui applaudissent lors d’une action, ne chantent pas et évoquent leur joie avec de timides cris de bonheurs), avec celle évoluant dans la seconde partie du spectacle.
En l’occurrence, cela donne cela :
1) Images du premier quart temps, dites de «on a été sobre aujourd’hui et on apprécie avec dignité le glorieux spectacle que le sport nous offre…»
2) Images des derniers instants du match, dites de «oh mais dis donc ! On a pu acheter plein, plein de Carlton Draught, alors on sautille et on a envie de chanter…»
Loin de nous l’idée de promouvoir un mode de vie écarté de l’idée d’un esprit sain dans un corps sain qui procurera, sans aucun doute, bonheur et structure à l’ensemble de la société et dont CartonRouge.ch espère être l’un des supports médiatiques les plus engagés. Mais ce n’est pas comme si c’était un secret que le houblon a tendance à détendre quelque peu l’atmosphère, pratiqué avec une certaine mesure. Un match de footy constitue en tous les cas la preuve la plus irréfutable de cet état de fait. Il serait temps de se poser la question également de comment l’on considère le public des stades d’une manière générale. Qui plus est, si les hooligans ou supporters jugés «dangereux» sont désignés et interdits de stade, quel argument dès lors pour empêcher les honnêtes fans de sports à pouvoir boire une bière ?
Pour l’anecdote, le match se finira par un extraordinaire retournement de situation permettant à Essendon de remporter la victoire dans les toutes dernières minutes face à Carlton qui semblait maîtriser le match de bout en bout. C’est donc tout à fait conquis que vous sortirez de votre premier match de footy. Et même si vous ne tomberez pas nécessairement amoureux de la discipline, vous ne regretterez en aucun cas d’avoir cédé à la curiosité et, dans un sens plus grandiloquent, d’avoir été au-delà de vos préjugés du Vieux Continent. Bref, une activité à ajouter sur votre liste de «trucs à faire avant de mourir», à côté de «coucher avec une playmate» et «finir en prison un soir d’Oktoberfest». On vous promet que ça en vaut tout autant la peine…

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4 Commentaires

  1. Excellent papier. En ce qui me concerne voilà bien une discipline que je ne connaissais absolument pas, merci. Niveau timing, t’as pas de chance avec ton papier, les suisses s’intéressent à d’autres choses du côté de Melbourne actuellement. 😉

    Et je ne peux que te rejoindre pour le débat sur l’alcool dans les stades, mais je ne me fais guère d’illusion pour que la situation change en Suisse…

  2. De mémoire je garde de bons souvenirs de ce foot australien, qui est animé et a un bon rythme. Et les australiens en connaissent un rayon à propos de sports bizarres auxquels tu n’as pas envie de prendre part. A pratiquer c’est aussi sympa… faut juste trouver des types qui n’ont pas un gabarit trop éloigné du tien (aïe).

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