Les supporters romands n’ont-ils aucune fierté ? (2/4)

On poursuit notre panorama du sport romand avec ses clubs en perpétuelles difficultés financières, ses repreneurs étrangers et ses mécènes improbables avec cinq spécimens à l’histoire mouvementée : Fribourg-Gottéron, le HC La Chaux-de-Fonds, le Lausanne Hockey Club, Neuchâtel Xamax et le Servette FC.

HC Fribourg-Gottéron (hockey)

Fribourg-Gottéron, c’est l’exception qui confirme la règle. S’il a connu quelques présidents hauts en couleurs, Jeannot Martinet en tête, le club fribourgeois n’a jamais été le jouet d’un mécène fortuné. Relation de cause à effet, c’est comme par hasard le seul club romand, hockey et foot confondus, à pouvoir se prévaloir d’une présence ininterrompue en LNA depuis 30 ans. Bien sûr, pendant ces 30 ans, Gottéron a passé plus de saisons à crevoter misérablement en queue de classement qu’à jouer le haut du tableau mais au moins il n’est pas tombé. Et, lorsque le club a été en difficultés financières, le déficit est resté dans une mesure raisonnable car creusé par des dirigeants plus ou moins au courant des réalités locales et non par un nabab persuadé qu’on pouvait assumer un budget de 20 millions dans ce coin de pays. Ce qui explique le succès des huitante-deux opérations «Sauvez Gottéron».
Aujourd’hui, Fribourg a changé de statut et joue les terreurs sur le marché des transferts. Le tout grâce au soutien de deux gros sponsors. Cela n’a pas que des avantages, avec notamment le parachutage à la tête du club d’un président pas forcément grand connaisseur de hockey sur glace et à la communication défaillante. Néanmoins, malgré la hausse conséquente du budget et des transferts prestigieux, Gottéron limite les risques car ses deux principaux bailleurs de fonds sont deux entreprises institutionnelles a priori à l’abri de tous revers de fortune et dont on n’imagine pas qu’elle puisse se désengager du club du jour au lendemain. Il m’en coûte un peu de le dire mais, même si sa politique actuelle tendrait à laisser penser le contraire, Gottéron est sans doute le club d’élite romand qui a su rester le plus raisonnable, en préservant une identité locale et en évitant de céder aux sirènes de l’argent facile venu de l’étranger.

HC La Chaux-de-Fonds (hockey)

Depuis son retour en Ligue Nationale en 1993, La Chaux-de-Fonds a connu quelques dirigeants pittoresques, notamment le duo Daniel Monnat – Jean-Claude Wyssmüller, mais n’a jamais été le jouet d’un mécène omnipotent. Il y a bien eu quelques velléités en ce sens en 2002 avec le rocambolesque feuilleton autour de l’Ecossais Tom Stewart mais l’affaire ne s’est jamais conclue. Sans doute pour le plus grand bonheur du HCC. Certes, cette indépendance a limité les ambitions et le club a souvent été aux prises avec des problèmes financiers mais au moins il est toujours là. En fait, la configuration des lieux semble préserver le HCC de toute ingérence étrangère : le mec venu d’une contrée lointaine qui veut investir dans un club de hockey, une fois qu’il a passé la Vue-de-Alpes, a aperçu la ville, est resté bloqué dans une congère et a fini par découvrir la patinoire, il y a de fortes chances qu’il s’en aille en courant.

Lausanne Hockey-Club (hockey)

Les supporters du LHC se sont longtemps vantés de leur supportérisme militant, toujours prêts à se dresser pour défendre l’honneur des couleurs ou l’identité du club. Combien de fois n’a-t-on pas entendu «le LHC appartient à ses supporters» lors des assemblées générales ? Le fait d’avoir tué dans l’œuf le projet de fusion avec Genève-Servette par un boycott radical reste un grand motif de fierté, surtout que les irréductibles frontaliers n’avaient eux pas bougé le petit doigt pour défendre leur club (note, à l’époque, un boycott aux Vernets n’aurait guère différé d’un match ordinaire). Autre haut fait de l’activisme des supporters, la démission forcée de l’homme fort du club Pierre Hegg et le licenciement de l’entraîneur Riccardo Fuhrer par la bronca de Malley. Cette époque-là est bien révolue. Aujourd’hui, le LHC est, officiellement du moins, un simple hobby pour un obscur investisseur canadien qui vient deux fois par année à Malley, coupe quelques têtes et repart. On peut faire des choux et des pâtés avec le Lausanne Hockey Club – et d’ailleurs on en fait des choux et des pâtés – que cela ne provoque plus la moindre réaction.
Le partenariat avec l’ennemi Genève-Servette ? Ça peut rendre service (même si les faits démontrent le contraire). La vente du club à un propriétaire inconnu ? C’était la seule solution pour sauver le club (ce qui n’a jamais été prouvé de manière crédible). L’absence de renseignement sur les véritables propriétaires du club et leur motivation réelle ? C’est plus nos affaires. Des joueurs qui se moquent du maillot pendant le tour qualificatif ? On sera prêt en play-off. La hausse des prix ? C’est pour le bien du club. Les bénéfices confortables annoncés dont on ne sait pas où ils passent mais en tous les cas pas pour monter la fameuse équipe de LNA en LNB ? On garde de l’argent pour engager Nummelin et Dubé en play-off. La valse des entraîneurs ? Une nécessité pour trouver la perle rare (attendue plus ou moins depuis Jean Lussier)… Bref, aujourd’hui, le supporter lausannois est prêt à accepter tout et n’importe quoi. Le club pourrait être vendu, si ce n’est déjà fait, à Chris McSorley, René Grand, Paris Hilton ou Mouammar Kadhafi, le supporter vaudois s’en contrefichera et n’en saura même rien. Bien sûr, il grommellera un peu au moment de renouveler son abonnement mais finira par rempiler pour une saison en se disant que peut-être-éventuellement-avec-un-peu-de-chance-cette-année-pourrait-être-la-bonne-après-tout-en-2001-on-ne-s’-y-attendait-pas-non-plus. Je sais de quoi je parle, je viens de renouveler mon abonnement.

Neuchâtel Xamax (football)

Club de province sans envergure, Neuchâtel Xamax est condamné à bénéficier du soutien d’un mécène fortuné pour faire autre chose que de la figuration dans le championnat suisse. Pendant longtemps, ce sont des puissants entrepreneurs locaux, Gilbert Facchinetti puis Sylvio Bernasconi, avec entre les deux la peu glorieuse ère Pedretti, qui ont joué les généreux bienfaiteurs. Avec des hauts et des bas, mais, globalement, malgré quelques épisodes pénibles (notamment la rocambolesque reprise avortée du club par l’Italien Bonora), Xamax a moins défrayé la chronique pour l’inconséquence de sa gestion que Sion, Servette ou Lausanne. Enfin, jusqu’à aujourd’hui du moins. Car avec ses nouveaux patrons tchétchènes, le club neuchâtelois a touché le gros lot. En quelques semaines, Chagaev, Rudakov et compagnie ont fait tout ce qu’il ne faudrait pas faire dans ce genre de reprise : virer tout le staff administratif et technique pour le remplacer par des gens sans connaissance du championnat suisse, éjecter les derniers clubistes du contingent, engager à prix d’or des mercenaires en préretraite, faire fuir les sponsors, attaquer l’identité du club…
Bref, le début de la merveilleuse aventure qui doit emmener Neuchâtel Xamax en Ligue des Champions présente beaucoup trop de similitudes avec d’autres épopées qui ont très mal fini que je n’arrive pas à croire que cela puisse marcher. Je suis d’ailleurs sidéré que certains puissent s’enthousiasmer derrière un projet aussi aventureux. Car Xamax travaille désormais sans filet : si Bulat Chagaev se lasse de son jouet, le club risque fort de n’être plus qu’une coquille vide mais avec des engagements sans aucun rapport avec la réalité du football suisse.

Servette FC (football)

On termine avec un cas pathologique. Les Genevois ne peuvent concevoir un Servette FC autrement que très ambitieux ; le problème, c’est que, nonobstant les opportunistes qui se ruent actuellement à la Praille, Genève n’est plus une ville de foot depuis longtemps et n’a jamais été capable de financer une équipe à la hauteur de ses ambitions planétaires. Du coup, ce n’est qu’avec l’appui d’un investisseur à fonds perdu, Lavizzari, Weiller ou Canal+, que Servette a pu jouer les premiers rôles. A défaut, c’était beaucoup plus dur, comme a pu le constater Christian Lüscher avant de passer la main à Marc Roger, après l’avoir éconduit dans un premier temps. Rappelons quand même que l’arrivée du Français, avec ses déclarations tonitruantes («Servette sera bientôt l’égal du FC Bâle»), ses transferts pharaoniques (Karembeu) et ses relations illustres (Pelé, Sanz, Makélélé…) avait soulevé une vague d’enthousiasme à Genève qui pensait enfin avoir trouvé un président à la hauteur de ses ambitions. On connaît la suite.
Mais manifestement la leçon n’a pas porté. Le projet tout empreint de sagesse de Francisco Vinas de rebâtir patiemment le club sans vivre au-dessus de ses moyens n’a pas trouvé grâce aux yeux des supporters qui lui ont préféré Majid Pishyar, pourtant éconduit, comme Marc Roger, dans un premier temps. A Genève, prononcer les termes «nouveau Manchester», «champion suisse 2014», ou «planter le drapeau dans toute l’Europe» suffit à faire perdre toute mesure. Bernard Madoff pourrait se présenter comme président du Servette FC avec Raymond Domenech comme directeur sportif et Jérôme Kerviel comme trésorier qu’il lui suffirait de promettre la Ligue des Champions pour se voir confier les clés du club. Et amener les frontaliers à expliquer à toute la Suisse que le grand Servette va prochainement survoler le football mondial. Pour l’instant, Majid Pisyhar tient ses engagements et mène plutôt bien sa barque, reste que des zones d’ombre commencent à apparaître. De toute façon, cela fait toujours froid dans le dos d’entendre un président affirmer qu’il doit verser 500’000 francs chaque mois pour boucler le budget. De là à dire que la pérennité du club n’est pas garantie…

… et les autres

La liste n’est pas exhaustive : on aurait pu parler du FC Baulmes, du FC Le Mont, du HC Martigny, du HC Forward Morges, du Vevey-Sport et on en passe, tous des clubs qui ont vécu à un moment ou un autre au-dessus de leurs moyens pour satisfaire l’ambition d’un seul homme et qui ont plus ou moins mal fini. En une vingtaine d’années et sur un territoire aussi exigu que la Suisse romande, le nombre de clubs en difficulté, de faillites, de sursis concordataires, de repreneurs plus ou moins farfelus, est tout de même assez hallucinant, il n’y a quasiment pas un fleuron du sport romand qui ne soit pas passé par là. Et a priori, ce n’est pas fini. 
Si tu as manqué le début : partie I A suivre avec une comparaison avec le reste de la Suisse, la France, l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre.
Photos Pascal Muller, copryright www.mediasports.ch

Écrit par Julien Mouquin

Commentaires Facebook

16 Commentaires

  1. « A suivre avec une comparaison avec le reste de la Suisse, la France, l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre. »

    Et aucune comparaison avec l’ALLEMAGNE, ce paradis parfait, évidemment.

  2. Le sujet de cette série est très intéressant. Il fait froid dans le dos lorsqu’on fait la liste des clubs concernés.

    Mais pour qu’il soit utile il faudrait s’attaquer aux causes et les solutions qui en découlent.

  3. Tous ces clubs ne sont que le triste reflet du monde professionnel actuel.
    La gestion d’un club se fait comme une entreprise avec ses actionnaires (en l’occurrence le gars qui balance les millions et peut-être ses potes) qu’il faut satisfaire très vite sinon ils se barrent, donc pour ça on engage des gars avec un faux palmarès en espérant qu’ils explosent cette saison-là pour pouvoir le revendre à prix d’or l’année suivante parce qu’il rapportera plus financièrement que sur le terrain (également appelé syndrome Cornu).
    Après les gars qui ont mouillé leur maillot qui se sont sacrifié pour le club ils prennent un peu trop d’importance aux yeux des supporters et des gens autours du club donc ils pourraient mettre en péril la place du boss donc on le vire comme un malpropre (un peu comme un vieux dans une boîte). Pis une fois qu’on estime qu’on a assez donné pour le club (chaque mois je verse les salaires de ma poche), on s’en va en foutant un beau bordel mais les poches quand même pleines.
    Enfin bon à moins de supporter le FC Bottens (prochainement Olympique Gros de Vaud avec Messi en 10 et Landi comme investisseur providentiel) il faut certainement accepter cette triste réalité et continuer à admirer ses gars qui ont tout lâché pour devenir des marionnettes.

  4. @a: tu devrais lire plus attentivement les articles de Julien. Combien de fois a-t-il encensé le statut de Monsieur Hopp et de son jouet ? Combien de fois a-t-il relevé la touche « servettienne » de l’un ou l’autre public de club allemand non classé dans la catégorie « Traditionverein » ?

    Ce n’est pas de sa faute si son Fribourg-Gottéron c’est le second Borussia.

    A+
    ES

  5. En sport, lausanne et genève ont en majorité un public d’opportunistes, sans bcp de traditions, avec un palmarès assez pauvre(excepté celui du SFC). Avant ce qui les différenciait, c’est la grande gueule des genevois, et ils l’a cultivaient fièrement. Depuis un certain temps, les lausannois les copient, et j’arrive plus à les différencier. Alors moi je les appele les lémaniques.

  6. L’avantage de ces articles c’est que tout le monde peut gueuler sur qui il veut, qu’importe le sport ou la ville…

    J’attend les comparaison avec le reste de la Suisse et des autres pays. Car entre St-Gall qui ne s’en sort pas et le FCB soutenu par Gigi je ne vois pas trop ce qu’il y a de bien différent par chez nous. Quand au reste de l’Europe, honnêtement ça se résume à: Business is Business…

  7. Le president du HCC entre 1992 et 1998 ne s’appelait pas Daniel, mais marc Monnat, assureur de son etat. Et sympathique bonhomme. Mais les rapports entre lui et Wysmuller se sont refroidis apres l’aventure couteuse en LNA, et Monnat avait demissionne en octobre 1998..

    Sinon, assez d’accord avec ton avais sur les investisseurs a xamax. Bien resume.

  8. @a: « (…) Et aucune comparaison avec l’ALLEMAGNE, ce paradis parfait, évidemment.  »

    Si tu ne comprends même pas ce que tu écris, on a effectivement un problème de communication.

    ES

  9. @ÉconomieSuisse :

    Oui effectivement, quand je dis que Mouquin ne parle pas de son ALLEMAGNE chérie dans cet article et que tu me parles de ses autres articles, alors on a bien un problème de com.

  10. Ah la la … quand on est surgavé « d’information » prémâchée des torchons gratuits on est plus cap de réfléchir par soi-même, hein ? Allez, un peu de logique formelle

    1.) CET article ne couvre pas l’Allemagne
    2.) L’Allemagne a été traitée dans 62 articles cette année, à chaque fois ou presque une pique contre Hopp et les publics « servettiens » (ou « chaud’fonniers ») like dans les stades d’outre-Rhein. Tu sais, juste avant le récit de la qualité de la bière et des boîtes de la ville du match.
    3.) L’Allemagne n’est pas « un paradis », c’est Dortmund qui l’est.

    Après, tu as suffisamment écrit que (1) tu n’aimes pas la façon d’écrire de Mouquin et (2) que tu n’avais rien compris à l’esprit de ce site donc que (3) tes réflèxes pavloviens se mettent en évidence à la seule vue des deux susmentionnés.

    La bonne nouvelle, c’est que ça fait bien marrer les lecteurs. Moi le premier.

    A ton service

    ES

  11. La politique de Vinas était tellement sage qu’elle en devenait contre-productive ! Sérieusement, comment construire un club avec comme seul leitmotiv « Aidez-nous, nous sommes un club pauvre » ? On croyait entendre les manouches qui squattent les Rues Basses à Genève … Paco a fait un très bon travail pendant 2-3 ans, mais lui et sa politique avaient atteint leurs limites.

    Est-ce que Majid est la solution rêvée ? Sans doute non, nous aurions tous préféré une vraie solution locale. Mais encore faudrait-il qu’elle se soit signalée une fois… Mais comme on ne prête qu’aux riches, on peut espérer que notre retour en SL réveille un peu la Genève fortunée. Car contrairement aux tarés de Neuch’, Majid a toujours déclaré qu’il voulait s’entourer de forces locales pour bâtir le Servette de demain. A quelle conditions, je ne sais pas, mais les intentions sont bien réelles au moins.

    LES LEGENDES NE MEURENT JAMAIS – WE ARE BACK !!!!

  12. Je suis d’accord sur le fait que l’Allemagne est étrangement abstente de la liste des pays comparés. Aucun lien avec les précédents articles de Mouqin d’ailleurs, au contraire de ce que prétend le professeur ES.

    Sinon il est évident que ce qui se passe à Xamax est aux antipodes de la philosophie de Mouqin, mais ce n’est pas une raison pour déformer la réalité afin d’étayer ses propos. De quelles « vieilles gloires en préretraite » est-il question? La plupart des renforts engagés ont moins de 30 ans. Quels arguments pour dire que « virer le staff » était une chose à ne pas faire? Ce ramassis d’incompétents faisait l’unanimité contre lui chez les supporters.

  13. I wanted to type a quick commnet so as to thank you for all of the lovely facts you are showing here. My prolonged internet search has at the end of the day been honored with awesome strategies to write about with my close friends. I d tell you that most of us readers are quite lucky to live in a superb network with so many brilliant people with valuable things. I feel truly happy to have come across your webpage and look forward to really more fabulous minutes reading here. Thanks once more for all the details.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.