2 décembre : Furiani

Alors que des stades autrefois chauds sont devenus totalement aseptisés et font désormais passer le Madison Square Garden pour un repère d’ultras en mal de sensations fortes à chaque match des New York Rangers, s’il y a bien un stade où souffle encore le vent de la ferveur et où la pression sur l’adversaire se fait ressentir, c’est bien le stade Armand-Cesari, plus connu sous le nom de Furiani, antre du Sporting Club de Bastia.

Nom : Furiani (ou stade Armand-Cesari).
Ville : Bastia.
Club résident : Sporting Club Bastia.
Capacité : 13’584.

Le stade

Inauguré le 16 octobre 1932 sous le nom de stade du docteur Luciani, le stade Armand-Cesari, localisé sur la commune de Furiani à quelques kilomètres au sud de Bastia, comptait alors moins de 12’000 places mais il n’était pas rare de voir de nombreux supporters s’agglutiner, debout, serrés, derrières les grilles pour assister aux rencontres les plus attractives.
Totalement désuet voire dangereux avec ses fils barbelés autour du terrain et ses tribunes d’un autre âge, Furiani est entré tragiquement dans la mémoire collective de beaucoup de gens le tristement célèbre 5 mai 1992 lorsque, à quelques minutes du coup d’envoi de la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et Marseille, l’effondrement d’une tribune provisoire érigée à la hâte et au mépris de toutes les règles élémentaires de sécurité allait faire 18 morts et plus de 2’300 blessés.

Depuis, après l’échec de plusieurs projets de construction d’un nouveau stade en raison d’affaires internes, de magouilles électoralistes et de luttes d’influence, des travaux majeurs de rénovation et d’agrandissement ont été entrepris et devraient porter la capacité du stade à 16’480 places.
Si la nouvelle tribune Sud (Tribune Victor Lorenzi), démolie puis reconstruite, et la tribune Nord (Tribune Claude Papi) en voie de fin de rénovation avec pose d’un toit, répondront désormais au confort d’un stade moderne, les tribunes Ouest (Tribune Pierre Cahuzac) et surtout Est (Tribune Jojo Petrignani) restent des tribunes «à l’ancienne» où, bien qu’équipées désormais de places assises, le match se regarde debout, au milieu de supporters chauds bouillants et proches du terrain.

L’ambiance

Bien que pratiquement totalement ouvert et régulièrement balayé par un violent mistral, l’ambiance à Furiani est souvent extraordinaire. Particulièrement fier et attaché à son club, le peuple bleu sait plus que quiconque mettre la pression sur l’adversaire et ses supporters. Commençant souvent dès les abords du stade quand ce n’est pas dès l’atterrissage à l’aéroport de Bastia Poretta, les diverses manœuvres d’intimidation y sont une institution et nombreux sont ceux à s’y être cassés les dents, heureusement plus souvent au figuré qu’au propre. La proximité des virages avec le terrain, notamment des poteaux de corners, rendent la tâche des tireurs de coups de coin des équipes adverses souvent difficiles voire parfois périlleuses. L’utilisation souvent massive de bombes agricoles donne encore souvent un peu plus de charme aux rencontres.
Souvent considéré comme l’un des porte-drapeaux de la lutte du peuple corse contre l’oppression coloniale des pinzutti, le SC Bastia peut donc compter sur un soutien de poids lors de ses rencontres à domicile. Accusé parfois de raciste (affaire Chimbonda notamment), le public de Furiani ne l’est pourtant pas plus qu’un autre. Sans doute est-il plus expressif dans son comportement avec ce sang chaud qui caractérise les peuples méditerranéens.
Une particularité du populuturchinu se manifeste également lorsque des incidents viennent émailler une rencontre. En effet, alors que le public du Camp Nou ou de l’Emirates Stadium s’en offusquerait ou déplorerait ces faits venant gâcher la fête du football, le supporter du Sporting s’en délecte. Si une bicyclette ou une talonnade le laisse souvent de marbre, une bonne cazzuttata (échange de poings) le ravit. Véritable temple du football à l’ancienne, Furiani est le fier descendant du Cirque Maxime de Rome et les gladiateurs les plus appréciés sont les battants. Cyril Rool (25 cartons rouges et 187 jaunes dans sa carrière) en reste l’un des meilleurs exemples.

Les chocs

Bien qu’à chaque partie la fierté insulaire pousse joueurs et supporters à se surpasser, les rencontres face à Ajaccio, Marseille et surtout Nice ont une saveur particulière.
En ce qui concerne le derby corse, il s’agit plus d’une rivalité qui oppose les deux préfectures de l’Ile de Beauté que d’une rivalité sportive ou partisane. En effet, de par son histoire et notamment sa finale de Coupe UEFA en 1978 et sa victoire en Coupe de France en 1981, le Sporting a toujours été le club phare de la Corse. Même si ces dernières années, les résultats de l’AC Ajaccio ont été meilleurs que ceux de son homologue bastiais, l’aura de ce dernier reste largement supérieure.
Reste qu’un derby reste un derby et quelques incidents ont émaillé les dernières rencontres entre les deux équipes. Toutefois, l’écrasante supériorité bastiaise tant en nombre de supporters qu’en matière d’ambiance – y compris à Ajaccio – a à chaque fois débouché sur un match à sens unique au niveau des tribunes.
La rivalité avec Marseille est quelque peu différente compte tenu du fait qu’un bon nombre de personnes, certes pas au niveau du noyau des supporters respectifs, a la fâcheuse tendance à soutenir, ou du moins avoir de la sympathie, pour les deux clubs. C’est sans doute principalement dû au fait que, d’une part, les deux équipes n’ont pas été au sommet de leur gloire en même temps, et, d’autre part, que la diaspora corse à Marseille y est très importante. Avec le retour amorcé depuis peu par le Sporting, surtout en ce qui concerne son identité et ses valeurs, ce phénomène de «double appartenance» semble s’estomper.
Malgré ces accointances, les incidents ont été nombreux lors des matchs entre les deux clubs, notamment lors de la finale de la Coupe de France 1972 à Paris, lors d’un 32ème de finale de Coupe de France à Martigues en 1988, à Marseille en 1997 ou à Furiani en 1992 et 1998.
Toutefois, ce n’est encore rien à côté de l’ancienne et féroce rivalité qui oppose le Sporting à l’OGC Nice. Hautaine, la cité de la Baie des Anges a toujours traité les nombreux étudiants corses contraints à l’exil dans leur ville avec mépris. Face à cette arrogance bourgeoise et supérieure, l’esprit clanique et solidaire de la turbulente diaspora corse fit merveille et dès le début des années 70, les derbys furent particulièrement chauds, allant même jusqu’à l’interdiction des déplacements respectifs il y a peu. Très souvent virils sur le terrain et dans les tribunes, il n’est pas rare de voir les affrontements dégénérer en guérillas urbaines.

Les billets

Si on ne joue jamais complètement à guichets fermés du côté de Furiani, il vaut mieux obtenir son précieux sésame quelque peu à l’avance pour les matchs importants, surtout si on veut prendre place dans la mythique Tribune Petrignani. Très abordables, les billets les moins chers sont à 10 euros. Pas encore au top de la modernité en matière de billetterie en ligne, ce service n’est pour le moment pas disponible aux personnes désirant se rendre à Furiani. Les billets sont en général disponibles au stade ou dans divers bars ou boutiques des principales villes de Corse comme à Bastia, Ajaccio, Borgo, Corté, L’Ile-Rousse, Magliacciaru, Porto-Vecchio ou Propriano.

La troisième mi-temps

Un match à Furiani commence surtout avant le coup d’envoi avec un apéro dans les règles de l’art du côté du Port ou de la vielle ville (Pub Assunta, Bar le Penalty), hauts lieux de la culture insulaire où il fait bon déguster une Pietra (bière à la châtaigne), une Colomba (bière blanche) ou un petit verre de Myrte. Un détour du côté du Bar de la Plage à Furiani est aussi une possibilité d’y rencontrer des supporters. Pour un derby face à Nice par exemple, un passage au Café de la Place (sur la Place St-Nicolas) tout proche de l’arrivée des ferrys en provenance du continent peut valoir son lot d’émotions et permet de se rendre compte de l’accueil à grand renfort de fusées, bombes agricoles ou autres engins pyrotechniques de tout genre qui peut être réservé aux indésirables supporters adverses qui osent prendre le risque du déplacement de Furiani.
Si vous êtes sur Bastia en pleine saison estivale, rien de tel que de finir du côté des plages situées au sud de la ville du côté de l’étang de Biguglia, où discothèques en plein air et beach parties devraient satisfaire les supporters les plus fêtards.

L’anecdote

La violence verbale et malheureusement parfois physique est intimement liée à l’histoire de Furiani et du Sporting. Facteur traditionnel absolument incontestable et transcendant les époques, les événements dans et autour du stade stupéfient et parfois pétrifient les visiteurs qui ne manquent pas d’y faire référence. Ce moyen d’intervention directe du public sur le déroulement du match a sans cesse été exécré par les instances du football français qui ont toujours sanctionné plus lourdement le club corse. Ainsi, Furiani a été suspendu de manière ferme plus de 25 fois en 40 ans, soit plus que la somme des suspensions de tous les autres clubs des championnats français de D1 et D2 réunis.

A propos Grégoire Etienne 81 Articles
...

Commentaires Facebook

11 Commentaires

  1. Furiani, pourquoi pas ! C’est exotique, rafraichissant et il y a une histoire à raconter.
    Juste une remarque sur la phrase:
    « Hautaine, la cité de la Baie des Anges a toujours traité les nombreux étudiants corses contraints à l’exil dans leur ville avec mépris. »
    Pour avoir étudié à Nice, je pense que l’auteur à volontairement caricaturé le ressenti d’une minorité culturellement forte. Car de mon coté, j’ai plus le souvenir d’étudiants Corses communautaristes volontiers frondeurs et critiques vis à vis du « continent » !
    Sinon sur le plan de la rivalité, ne pas oublier le match contre le PéSéGé !

  2. Merci pour ce papier qui fait chaud au coeur enfin un journaliste qui parle de nous en bien ! Furiani est notre arène, nous sommes des lions. CAMPA L’INFERNU ! FORZA BASTIA !!!

  3. Ghjè ora ! Enfin un papier sur Furiani inspirant le « positif » à la limite de la publicité pour notre enceinte ici question. Oui malgré mon jeune âge, depuis mes 9ans (j’ai n’est 18). Je vais au stade, j’ai eu la chance de connaitre la Ligue1, une petite saison. Et pour avoir déjà visiter d’autres stades que Furiani (Parc des Princes, Stade de France, La Beaujoire, Le Moustoir) Certes c’est le coeur qui parle mais Bastia, et Armand-Cesari c’est unique. On n’a la rage de vaincre, notre sang est bleu, notre peuple est bleu. A CORSICA HE SOLA BIANCH’E TURCHINI ! BASTIA E BASTA !

  4. Merci pour cette immission dans cet endroit magnifique qu’est la Corse. Furiani est un haut lieu parmis d’autres de l’île de beauté.

    Petite précision : outre l’exquise Pietra et l’excellente Colomba (aux herbes du maquis), ne peut louper la très rafraîchissante Serena. Une merveille !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.