Le déclin de l’empire autrichien

Pour ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 70, ont vécu leur adolescence au rythme des exploits des skieurs helvétiques et se sont vu ensuite infliger trois décennies de vaches plus ou moins maigres, la situation actuelle fait juste bander. Et pas une mi-molle si chère à notre vénéré rédacteur en chef. Non mais sérieusement, vous avez vu la gueule du classement par nation de la coupe du monde en ce 14 février 2020 ? De quoi te foutre un braquemart que ne saurait renier notre ami Marc un soir de Coupe Davis du côté de Lille. De quoi se permettre de rêver à une consécration 31 ans après la dernière et alors que la Suisse l’avait emporté 7 fois en 10 ans avant cette longue période de disette.

 

S’il ne serait pas juste d’occulter l’excellent travail fourni par Swiss-Ski tant chez les dirigeants que les entraîneurs et que ce soit au niveau de la détection de talents, la mise en place de centres nationaux de performance de sports-études dédiés aux sports de neige à Brigue, Engelberg et Davos, ou l’encadrement de l’élite, il serait injuste de ne pas souligner la qualité intrinsèque de la génération qui arrive à maturité en cette année sans grand rendez-vous. Mais il serait également faux de passer sous silence la déchéance de la Wunderteam autrichienne, pourtant lauréate sans interruption de ce classement par nations depuis 1990. Et comme à Carton-Rouge on aime bien épingler ceux qui se vautrent, les cancres de la classe, et mettre le doigt là où ça fait mal, penchons-nous sur le déclin de cette armada qui nous a tant fait souffrir, pour ne pas dire chier.

En même temps, les descendants des Habsbourg n’allaient pas laisser les Suisses les narguer en organisant, à Crans-Montana en 1987, des championnats du monde aux allures de championnats nationaux. Peut-être l’année la plus faste du ski suisse. Mais, comme souvent lorsqu’on est tout en haut, plus dure allait être la chute. Et c’est au tournant des années 90 que va s’opérer le début d’un nouveau règne. Notamment avec l’avènement, chez les femmes, de Petra Kronberger qui va tout rafler pendant trois saisons et redorer le blason autrichien. Mais les Suisses, sous l’impulsion de Pirmin Zurbriggen, juste pas encore retraité, et Paul Accola feront de la résistance et s’accrocheront encore aux basques de la Wunderteam au classement par nations.

Il faudra attendre la fin des années 90 pour que l’écart entre l’Autriche et les autres nations devienne un fossé aussi large que la palette de coups de Roger Federer. Alors que les skieurs suisses, français ou italiens sont au creux de la vague et que la Norvège de Kjus, Aamodt, Jagge ou Furuseth souffre de l’absence cruelle d’athlètes féminines compétitives, la Wunderteam crée une véritable machine de guerre aussi efficace qu’un Aldin Turkes devant le but. Emmenée par Hermann « Herminator » Maier, Stefan Eberharter et Benny Raich chez les hommes et par Alexandra Meissnitzer, Renate Götschl et Michaela Dorfmeister chez les femmes, les victoires et les podiums s’enchaînent et les palmarès de chacun deviennent stratosphériques. Le système de détection et la création d’un sports-études exclusivement dédié au ski à Stams cartonnent et la relève semble inépuisable. Le système fonctionne à merveille et la place est alors parfaitement préparée pour la génération suivante qui se profilera dès le début des années 2000, puis ces dix dernières années avec l’extraterrestre Marcel Hirscher mais aussi Nicole Hosp, Mario Matt, Marlies Schild ou Anna Fenninger.

Pourtant, à partir de 2015, avec les départs à la retraite des Matt, Hosp et Schild et la grave blessure de Fenninger, c’est l’ogre Marcel Hirscher qui va tenir l’équipe à bout de bras et permettre aux Autrichiens de conserver les commandes du classement des nations. Surtout que leurs adversaires ne sont pas en reste et que la concurrence s’organise. Comme tout bon modèle, les sports-études dédiés au ski ont été mis en place en Suisse et un vrai système de formation instauré. L’Italie voit arriver à maturité une formidable équipe féminine avec Sofia Goggia, Federica Brignone, Marta Bassino, Irene Curtoni ou Nicol Delago. La France cartonne en technique côté masculin (Alexis Pinturault et Clément Noël surtout) et la Norvège tient en Henrik Kristoffersen un véritable diamant brut.

La retraite de l’ogre Marcel va sonner le glas de la domination autrichienne. Et la baffe va être aussi inouïe que monstrueuse. Aujourd’hui, l’Autriche n’est que 2ème chez les femmes et 4ème chez les hommes. Aussi soudain que surprenant. Pour les non éclairés du moins. Car il y avait tout de même un certain nombre d’indices, de signes avant-coureurs qui pouvaient laisser présager une amorce de déclin.
D’abord, le départ à la retraite de Marcel Hirscher a clairement laissé un vide sidéral au sein de la toute-puissante Ski Austria. On ne remplace pas du jour au lendemain un type qui a gagné 8 grands globes, 12 petits et claqué 67 victoires en coupe du monde. Ensuite, pas mal de cadors se sont blessés durant l’intersaison (Franz et Hütter notamment) ou peinent à retrouver le niveau qui était le leur avant leur blessure (Veith ou Brem par exemple). Enfin, à l’instar de Swiss Ski dans les années 80, surfant sur la vague du succès outrageux, la fédération autrichienne a oublié la base, les fondamentaux, la formation. On ne va pas s’en plaindre, ça non, mais la vérité des pistes est cruelle outre-Inn et outre-Arlberg.

On sent la Suisse proche du sacre. Mais il s’agira de ne pas rater les dernières marches et de continuer sur la même dynamique que celle sur laquelle skient nos athlètes depuis le début de la saison. Et finalement, en cas de succès, il aura alors fallu attendre moins longtemps pour que la Suisse s’impose à nouveau dans ce « Nations Overall » que pour voir un tennisman français remporter un Grand Chelem. Alors Beat, Michelle, Daniel, Corinne, Ramon, Lara, Loïc, Wendy, Mauro, Joana ou Justin, si par hasard vous nous faites l’honneur de venir lire Carton-Rouge, sachez qu’on compte plus sur vous que sur Marco Streller ou George Bastl pour ne pas manquer le dernier geste.

Hop Suisse !

A propos Grégoire Etienne 81 Articles
...

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.