Kita être con, Sala perche ti amo

Exceptionnellement, dans ce nouvel opus d’un jour un destin, je n’ai pas eu ni le cœur ni la volonté de chercher un exploit improbable même si j’aurais pu, il est vrai et pour coller à l’actualité, vous parler de la nomination de Stéphane Henchoz comme entraîneur principal de Neuchâtel Xamax tant je n’aurais jamais misé le moindre kopeck sur une réussite éventuelle de ce Monsieur dans ce domaine.

Non, ce mois-ci, j’ai préféré rendre hommage à un joueur qui vient de nous quitter de manière tragique. Un chic type, qui ne trichait jamais et qui représentait, à mes yeux, l’anti-football moderne, l’anti-magouilles, l’anti-monde de starlettes neymaroïdes. Juste le combattant à l’ancienne. Le gladiateur peu élégant mais terriblement efficace et attachant. Et comme je n’aime pas les cons et que dans chaque belle histoire finissant tragiquement il faut un méchant, je me suis dit que j’allais aussi écrire quelques lignes sur ledit méchant et de dresser ainsi un parallèle entre deux destins exceptionnels relativement semblables mais finalement foncièrement différents. Vous l’aurez deviné, voici l’histoire d’Emiliano Sala et de Waldemar Kita.

Né le 31 octobre 1990 à Cululu, petit village de la Pampa Argentine qui ferait presque passer Bottens pour une mégapole, le jeune Emiliano Raul Sala Taffarel passe toute sa jeunesse dans cette province de Santa Fe. Comme tous les gamins argentins ou presque, il joue au foot. Normal quand tu portes à la fois le patronyme de Raul et celui de Taffarel. Mais à l’instar de l’ex-star du Real, Emiliano ne va pas se poser devant les filets et se former en véritable renard des surfaces. Vu le niveau moyen des gardiens argentins, il aurait sans doute pu pourtant y faire une belle carrière. Et comme il n’est pas particulièrement talentueux et que ses parents n’ont pas vraiment de thunes, il n’intégrera pas l’académie d’un des grands clubs de Buenos Aires et restera dans sa région natale jusqu’à son départ, à 19 ans, pour Bordeaux et son fameux centre de formation. Mais ses premières amours hexagonales ont pour noms Orléans en National 1 puis Niort en Ligue 2. Un peu comme si tu signais à Bâle et commençait par être prêté à Cham puis Wohlen. Ses buts à répétition lui valent un retour sur les bords de la Garonne pour la saison 2014-2015. Mais barré par Cheick Diabaté, il chauffe le banc plus souvent qu’il ne faut et n’inscrira qu’une réussite jusqu’à la trêve. Mais il en faut plus pour abattre le garçon. Il est têtu et volontaire. Sa vie comme son jeu sont des combats et il ne se laisse pas démonter. A Noël, il est à nouveau prêté. A Caen cette fois-ci. Régulièrement titulaire, il scorera à 5 reprises et sera repéré par Nantes où il signe un contrat de 5 ans. Il y appose sa signature à côté de celle du président du club. Un certain Waldemar Kita.


Né le 7 mai 1954 à Szczecin, septième plus grande ville de Pologne et surtout bien connue des supporters du LS ou du moins des deux qui s’y sont rendus en faisant 46 heures de train au total pour suivre les bleus et blanc lors de leur campagne en Intertoto de l’été 1993 (victoire 4-0 pour ceux que ça intéresse), Waldemar est optométriste de formation. Ayant fait fortune en créant, en 1987, la société Cornéal, spécialisée dans la fabrication de lentilles intraoculaires et la médecine esthétique, il apparaît à la face du monde ou du moins du microcosme footballistique helvétique en 1998 lorsqu’il rachète le LS. L’histoire ne dit malheureusement pas si c’est lors de cette fameuse rencontre de l’été 1993 qu’il est tombé follement amoureux du club. Il reprend un club qui vient de remporter enfin un trophée après de longues années de disette en gagnant la Coupe de Suisse. Il récidivera l’année suivante mais perdra le titre face à son rival grenat lors d’une sinistre soirée disputée entre le 1er et le 3 juin 1999. Et ce sera tout, puisque la presse spécialisée semble ne vouloir accorder aucun crédit au double titre de champion de Suisse en salle en trois éditions. Il quittera le navire en 2001 quelques mois avant la faillite du club dont il porte une grande responsabilité.

Totalement déconnecté de la réalité économique et sportive locale, il se fera remarquer par des relations compliquées voire houleuses avec les supporters et les partenaires historiques du club. Se désignant volontiers victime de racisme anti-polonais, bien connu dans ces contrées, il fit preuve d’un égocentrisme exacerbé et d’un narcissisme maladif. Entouré de sinistres sbires tels que Christian Larièpe ou Robert Milej, il laissera derrière lui un vaste champ de ruines et une structure ubuesque. Bref, un de ces dirigeant véreux qui pullulent dans le foot moderne. Il réapparaît en août 2007 lorsqu’il rachète le mythique FC Nantes, alors en Ligue 2, à Serge Dassault. Dès le début et comme à son habitude, la gestion du club par le bonhomme est sujette à controverse et les premières frictions avec les supporters et notamment avec les ultras de la Brigade Loire ne tardent pas à arriver malgré une promotion en Ligue 1 en 2013 avec Michel der Zakarian comme entraîneur. Ensemble, ils repèrent et signent un jeune attaquant prometteur. Un certain Emiliano Sala.


Leurs destins seront désormais liés. Après des débuts corrects, la carrière de l’Argentin va réellement exploser avec l’arrivée de Sergio Conceicao en décembre 2016 (15 buts en à peine plus d’une demi-saison) puis de Monsieur Claudio Ranieri à l’été 2017. Sa cote de popularité décolle. Son style combatif qui compense largement son manque de justesse technique lui vaut l’admiration des plus fervents supporters des Canaris. Très souvent en communion avec les ultras lorsqu’il célèbre ses buts, la base du peuple se retrouve dans ce joueur peu talentueux mais bosseur et tenace. En 2017, il déclarait : « Me battre, c’est une de mes qualités. J’aime gagner et je ne lâche rien. (…) Je suis un compétiteur qui aime la victoire. C’est ça pour moi le plus important : de tout donner. Quand je rentre chez moi, il faut que je sois vraiment fatigué, sinon je ne suis pas content ». Pour les fans, et comme les relations sont de plus en plus chaotiques avec leur président, sous forme de chants hostiles, de tribune présidentielle envahie, d’un président chahuté et menacé de mort, ce lien avec le joueur n’en devient que renforcé. Il sera leur symbole contre le foot business.

Pendant ce temps, la réputation du franco-polonais, elle, empire encore. En 2016, il est cité dans l’affaire des Panama Papers en tant qu’actionnaire d’une société basée aux BVI. Tout baigne. Il est également mêlé à une autre affaire, celle des Football Leaks, en ayant tenté de se soustraire à une certaine fiscalité via une société écran basée en Belgique. Une enquête pour fraude fiscale en France viendra encore couronner le tout début 2019 et le faire revenir sur sa décision de vendre une parcelle lui appartenant et censée accueillir le nouveau stade que toute la ville attend. Mettant ainsi un terme au projet, il provoque à nouveau l’ire des supporters. La nomination de son fils Franck comme directeur général du club constitue un autre élément inadmissible pour bon nombre des partisans. Pourtant ses affaires sont florissantes et sa nouvelle société, Vivacy, active dans le développement d’un produit destiné à l’allongement du pénis, en fait sourire plus d’un.

Pourtant sur le départ, l’Argentin réalise un début de saison 2018-2019 de haute facture avec 10 buts en 12 matchs. Il est alors le meilleur buteur argentin d’Europe devant Messi, Aguero et Higuain. Mais en janvier 2019, sa vie va soudainement basculer et il va, paradoxalement, devenir une icône éternelle. Le 19 janvier, il officialise son transfert pour Cardiff City, multipliant au passage son salaire par 7. Mais il était dit qu’Emiliano ne serait jamais sacrifié sur l’autel de l’argent roi. Le 21, le Piper qui le transporte de Nantes à Cardiff pour le ramener au Pays-de-Galles après qu’il ait voulu saluer une dernière fois ses ex-coéquipiers, s’écrase en mer au large de l’île de Guernsey, un paradis fiscal soit-dit en passant. Son corps sans vie sera repêché le 7 février. Dès sa disparition, l’émotion fut vive tant à Nantes qu’ailleurs dans le monde et les hommages nombreux. Le plus vibrant restant cette 9ème minutes du match des Canaris contre Sainté lorsque le match s’est arrêté pendant de longues minutes pour marquer l’affection du public nantais pour ce joueur.


Sincèrement, ce mec va me manquer. J’ai toujours préféré les besogneux aux talentueux et les honnêtes gens aux nantis. Lorsque Kita déclara le lendemain du crash, que le joueur n’appartenait plus à Nantes et qu’il faisait ce qu’il voulait, j’ai senti en moi un profond sentiment de dégoût envers ce pauvre type et d’admiration encore plus forte envers ce brave Emiliano.

Pour conclure, je dirais que cette tragique histoire et ces destins mêlés, m’ont conforté dans mes convictions que je préférerais toujours le cœur à la force, le travail au talent, l’intelligence à la connerie, l’Atletico au Real, le FCZ à GC et Ambri à Lugano.

RIP Emiliano.

A propos Grégoire Etienne 81 Articles
...

Commentaires Facebook

2 Commentaires

  1. Au vu de la longueur du texte, j’ai hésité… et comme je suis assez de cette vieille Ecole anti business je m’y suis collé…. et je n’ai pas regretté.
    Bel hommage en effet avec ce parallèle entre le foot et le business…
    Et maintenant ça va être là gué guerre entre Nantes et Cardiff pour une histoire de gros sous alors que le joueur est tristement décédé….

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.