Éloge funèbre du fair-play financier

Le lundi 13 juillet 2020, aux alentours de 10h30, le fair-play financier a rendu son dernier souffle, après une lente agonie consécutive à de nombreuses malformations congénitales. Né en 2010, fils d’une mère cupide, hystérique et peu présente pour lui, UEFA, et d’un père démissionnaire et hors-la-loi, M. P., il avait commencé son travail en 2015 malgré ses handicaps. En début d’année 2020, on le pensait enfin capable de réussir sa vie professionnelle, lorsqu’il sembla remplir sa mission pour la première véritable fois. Hélas, le TAS a, ce 13 juillet 2020, décidé de profiter de son état de santé précaire pour l’achever d’une balle dans le dos, assassinat commandité par la mafia des puissants du football. Paix à ton âme, fair-play financier. Tu étais un porteur d’espoir pour les amoureux du ballon rond, pour les rêveurs de ce monde et pour les gens en quête de justice. Espérons que les vautours émiratis et autres qataris auront la décence de ne pas souiller ton cadavre.

Au cas où vous n’auriez pas trop suivi l’affaire entre Manchester City, l’UEFA, via le regretté fair-play financier (FPF), et le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), sachez que l’acquittement du club Sky Blue n’est pas une anecdote. Il s’agit, comme vous l’aurez compris dans mon introduction, d’une mise à mort stricto sensu dudit FPF, qui va à n’en pas douter avoir une incidence sur les prochaines années du football européen. Petites explications donc pour ceux qui auraient un peu perdu le fil des choses importantes, soit de l’actualité footballistique, depuis mars pour se focaliser sur une petite crise sanitaire sans importance.

Imaginé par Michel « patte grasse » Platini lors de son pensum à Nyon, le FPF part d’un principe simple : un club de football ne doit pas dépenser plus d’argent que ce qu’il n’en gagne. Pour la faire courte, en théorie, avant de dépenser 400 millions d’euros (soit à peu près le PIB annuel des Iles Tonga, information tout à fait sérieuse) pour Coutinho, Maguire, Dembélé et Hernandez, il faut déjà gagner lesdits 400 millions, via du sponsoring, du merchandising, de la vente de tickets, des droits TV et on en passe. Dit comme ça, ça a l’air débile mais dans le monde infiniment pourri du foot c’est loin d’être acquis comme modèle. Et le FPF, dans sa forme courte, pose alors une autre question. Qu’en sera-t-il des clubs comme Manchester City, racheté en 2008, Paris, racheté en 2011, Monaco, racheté en 2011 également, ou dans une moindre mesure Chelsea, racheté en 2003, à chaque fois par de riches investisseurs étrangers ? Le problème de ces équipes est, pour faire très simple, qu’étant donné qu’elles sont financées en écrasante partie par la fortune « personnelle » de leur propriétaire – oui, dans le cas du PSG, les fonds souverains du Qatar sont considérés comme fortune personnelle. Quel dommage que la BNS n’investisse pas dans un club de foot d’un championnat exotique…-, les revenus directement liés au football ne compensent pas, mais alors pas du tout, les dépenses astronomiques effectuées durant les mercatos. Pour reprendre l’exemple qui nous intéresse, City c’est près d’un 1,65 milliard d’euros (milliard, oui, soit 1’650 millions) investis depuis 2010, uniquement dans l’achat de joueurs et sans compter le mercato actuel, où Nathan Aké est arrivé pour 45 millions, entre autres. Heureusement qu’on est en période de crise. On ne parle donc pas ici des salaires souvent astronomiques desdits investissements, ni des rénovations du stade par exemple. Et comme de l’autre coté de la balance on trouve certes des droits TV faramineux (Premier League oblige) et de juteux contrats de sponsoring (majoritairement en provenance des Emirats, comme le propriétaire, mais on ne dira rien), mais aussi une quasi inexistence de ventes de joueurs ayant de la valeur (vu ce qu’ils gagnent, tu m’étonnes qu’ils ne veulent pas partir) et une absence de soutien populaire, le déficit doit souvent être épongé par le porte-monnaie du cheikh (pas en blanc pour le coup) Al Mubarak.

Et le soutien populaire, parlons-en justement. Manchester City dispose de l’imposant Etihad Stadium, un stade de 55’000 places bien trop grand pour le petit club qu’il était au moment du rachat mais où l’ambiance valait le détour. Cependant, l’arrivée du cheikh a fait fuir nombre de fans historiques, qui ne reconnaissaient plus leur équipe, pour attirer quelques footix de par le monde, mais ceux-ci ne font que rarement le déplacement dans le Lancashire. Résultat, le club est moqué depuis des années pour son stade souvent loin d’être plein, surnommé l’Emptyhad Stadium au Royaume, où il est possible d’aller voir un match de Ligue des Champions en se pointant aux grilles du stade 10 minutes avant le coup d’envoi, chose totalement impensable ailleurs en Angleterre. Ce stade qui ne fait même pas le plein lors d’un match de C1 à élimination directe face à la Juve, donc, et où l’ambiance est parfois digne de la Banane en période de révisions. Tout cela pour vous dire que les revenus liés à la vente de billets et, par extension, à celle de maillots, ne doivent pas franchement compenser un achat d’Aymeric Laporte, par exemple.

Vue de l’assistance moyenne pour un match de Premier League à l’Emptyhad.

Cette manière de dépenser sans compter se passait bien dans le petit monde sans scrupule du cheikh Al Mubarak, malgré une sanction mineure dictée par la première mouture du fair-play financier en 2014. Sauf que, début 2020, l’UEFA annonce une suspension de deux saisons pour toute compétition européenne du club de Pep Guardiola, assorti d’une amende de 30 millions que personne ne relève tant cela est dérisoire pour le club. La raison invoquée est simple, City aurait magouillé pour faire passer de l’argent investi par son propriétaire pour des revenus de sponsoring et ainsi être hors d’affaire aux yeux du fair-play financier, ce qui est totalement illégal. Le club réagira très vite à cette sanction, annonçant être « déçu mais pas surpris » et faire recours auprès du Tribunal Arbitral du Sport. Bien évidemment, les Citizens affirment détenir des « preuves irréfutables » de leur innocence et refusent de collaborer avec les enquêteurs. On imagine assez bien le directoire mancunien se dire, en citant Seigneur Dagonet, interprété par Antoine de Caunes dans Kaamelott, quelque chose comme : « Heureusement qu’on a aucune dignité… Parce que sinon on serait bien dans la merde. »

Cependant, alors que se murmuraient également des sanctions en Angleterre pour ces magouilles à faire pâlir de jalousie un architecte valaisan, et alors que certains joueurs commençaient à faire bosser leur agent pour trouver un autre club qui, lui, jouerait la C1 (on parle de Manchester City, personne ne va y rester pour l’amour du maillot, soyons sérieux), le TAS a, le 13 juillet dernier, donné raison à City. Même si tout le monde s’y attendait, tout le monde (sauf les douze fans du club à travers la planète) a été déçu que le colosse aux pieds de platine s’en sorte. Grâce, ou plutôt à cause, des « preuves irréfutables » de l’innocence du club, promises par les avocats de ce dernier ? À cause de l’UEFA qui n’aurait finalement rien trouvé de compromettant ? Absolument pas. Le TAS a désavoué l’UEFA… Pour prescription ! On s’en fout donc de savoir si City a effectivement maquillé ses revenus, a été hors la loi, refusé de collaborer ou quoi que ce soit (même si on en a une vague idée, d’autant que le club a quand même dû payer une amende). Ce qui compte, c’est que les candidats au club Mensa de Nyon aient été trop glandus pour s’intéresser à des arnaques assez récentes du club anglais pour être sanctionnées. C’est aussi ridicule que triste pour le sport.

Car là est tout le problème du FPF. Il s’agit probablement d’une des très rares bonnes idées des années Platini à l’UEFA. On parle ici d’un directoire qui a mis en place les arbitres de surfaces (on les salue, là où ils sont) ou l’Euro à 24 équipes, pour resituer un peu le contexte. Mais cette bonne idée ne marche pas. Elle est mal ficelée juridiquement, les grands clubs ayant toujours trouvé assez facilement une pirouette pour échapper aux sanctions, comme récemment. De plus, elle est créée de concert avec l’ECA, l’Association des Clubs Européens (mais oui, vous savez, les mêmes pourris qui veulent créer une Ligue des Champions fermée, juste pour les grosses équipes ), qui compte dans ses rangs, parmi d’autres membres plus ou moins puissants, Manchester City et le PSG… En sachant cela, on comprend mieux pourquoi le fair-play financier n’a réussi à punir que des petits clubs jusqu’à maintenant. En effet, les équipes ayant été sanctionnées sont : le Skonto Riga, le Rapid Bucarest, Malaga CF, le Petrolul Ploiesti (je ne sais même pas dans quel pays ça se trouve), le Metalurg Donetsk et l’AC Milan (ne venez pas me dire que Milan est un grand club européen de ces dernières années, même s’il l’est déjà davantage que le reste de cette liste). Et quand, en plus du système de base qui est déjà foireux, les Prix Nobel de Nyon envoient Austin Powers, Scooby-Doo et Rantanplan pour enquêter et que ceux-ci oublient de vérifier les dates des faits reprochés, ça nous donne des gens aussi clairvoyants et efficaces que mon prof d’université à Berlin qui refusait de donner des cours en ligne fin mars parce que « la pandémie sera terminée au pire à la mi-avril, on fera des vrais cours à ce moment-là ».

« Bonjour, l’UEFA m’a envoyé pour enquêter sur votre club. On m’a dit qu’un certain Dr. Evil était le président. »

Résultat des courses, le football européen en a pris un sacré coup, même s’il est davantage symbolique qu’autre chose. C’était la première fois que le fair-play financier s’attaquait vraiment à un très riche, et ce sera probablement la dernière, tant sa crédibilité semble avoir été piétinée. La dernière once d’espoir d’avoir un foot pas pollué à 100% par le fric a disparu ce 13 juillet 2020. Et franchement, ça fait chier.

Et Manchester City dans tout ça ? Ils se sont pavanés dès la fin du procès, leur compétent mais ô combien arrogant coach Guardiola en tête. Celui-ci est apparu joyeux comme jamais à la fin du procès, se prenant en selfie en fêtant la décision, et déclarant être « incroyablement heureux » et que « cela montre que tout ce que les gens ont dit sur le club n’était pas vrai ». Ce à quoi deux de ses rivaux en Premier League, Klopp et Mourinho, ont très peu goûté, qualifiant respectivement le jugement de « mauvais jour pour le football » et de « désastre annonçant la fin du fair-play financier » (ce qui est quand même gonflé venant de Mourinho, qui faisait exactement pareil en début de siècle avec Chelsea, mais soit…). Guardiola a alors répondu à ses homologues « nous pourrons jouer la Champions League la saison prochaine parce que ce qu’on a fait n’est pas mal. Nous avons fait du chemin en 10 ans. Nous avons investi beaucoup d’argent, comme beaucoup d’autres. On l’a fait de la bonne façon. Nous n’avons pas été bannis parce qu’on a suivi les règles du fair-play financier. Si nous ne l’avions pas fait, nous aurions été bannis. » Devant tant de mauvaise foi, je laisserai donc le mot de la fin à notre cher Seigneur Dagonet : « Ah, celle-là tout de même, je sais pas si je l’aurais tentée. »

 

Crédits photographiques :

Vue de l’Emptyhad: S Parish/CC0/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:City_of_Manchester_Stadium_-_Manchester_City_FC_-_geograph.org.uk_-_53467.jpg

 

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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