Les Suisses peuvent lever la tête

Avec quatre médailles, la délégation suisse à Londres n’a pas rempli les pompeux objectifs qui lui étaient assignés. Alors que les journaux se lamentent et que les dirigeants se noient dans des projets de réforme, il est temps de remettre l’église au milieu du village : une médaille ne fait pas la valeur d’un athlète.

«L’important dans la vie ce n’est pas le triomphe, mais le combat, l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu.» Cette phrase aurait été prononcée en 1908 par Pierre de Coubertin qui, entre autres défauts, a inventé les Jeux Olympiques de l’ère moderne.Pour une fois, il faut pourtant bien avouer qu’il avait raison. Les Jeux Olympiques sont un idéal, l’objectif d’une vie pour de nombreux sportifs. Et je ne parle pas là des Federer ou autres Cancellara pour qui le rendez-vous quadriennal n’est qu’un événement de plus dans un calendrier chargé où se côtoient les Grands Chelems, Tour de France et autres raouts tous plus importants les uns que les autres.
Non, je fais référence à ces sportifs de l’ombre, héros des disciplines obscures qui n’intéressent personne en temps normal. Je parle de la très télégénique escrime, de l’immonde tir à la carabine trois positions à 50 mètres, ou encore du couteux slalom en canoë. Je pense à Ludovic Chammartin, Elise Chabbey, Nathalie Brugger et à tous ceux qui ont vu quatre ans de travail acharné réduit à néant en quelques minutes, voire même secondes, le temps d’un bref instant d’inattention, d’une erreur que l’on ne commet pourtant jamais, du stress qui paralyse dans les moments les plus critiques.
Les vrais JO, c’est ça. Pas cette ridicule compétition de football M23-avec-trois-exceptions-et-l’accord-des-clubs-plus-ou-moins-obligatoire ni cette parodie de Wimbledon dont le seul intérêt a été d’avoir offert à la Suisse la confirmation qu’elle ne repartirait pas brecouille de son périple londonien.

Non à la seule et unique élite !

Parlons-en d’ailleurs, de la Suisse. Et plus précisément de son organe faîtier du sport, à savoir Swiss Olympic. Un mois et demi avant le coup d’envoi des JO, son chef de mission, Gian Gilli, avait déclaré : «L’objectif stratégique de Swiss Olympic est clair : nous voulons une équipe compétitive, capable de jouer les premiers rôles. Les sélectionnés devront avoir le potentiel pour se classer dans les dix premiers (…)». En d’autres termes, la philosophie prônée est élitiste, un point c’est tout : seuls les athlètes pouvant porter les couleurs rouge et blanc au firmament de la hiérarchie mondiale ont de la valeur aux yeux des têtes pensantes d’Ittigen.

Ce besoin de s’affirmer en tant que pays, ce spasme nationaliste digne du Printemps des peuples est pitoyable pour une nation qui a vu le jour il y a plus de 700 ans. Que des pays comme la Chine ou la Corée du Sud se sentent obligés de développer des programmes inhumains pour former les meilleurs sportifs et espérer avoir leur heure de gloire une fois tous les quatre ans est triste mais inévitable : ces nations sont encore jeunes, peu sûres d’elles et en plein processus de construction. Autant qu’elles se battent dans une piscine que sur un champ de bataille. Mais avec son histoire, la Suisse, elle, devrait être au-dessus de ça.
Permettre aux meilleurs athlètes de développer leurs compétences dans un environnement adéquat est une bonne initiative qui rapportera encore plein de médailles pour le plus grand bonheur de l’Association pour une Suisse indépendante et neutre. Et aussi pour le nôtre, reconnaissons-le. Mais le vrai progrès d’une société développée, c’est d’investir pour le sport de masses, pour améliorer la santé publique et, par là-même, réduire ses dépenses. D’accord pour débloquer des fonds pour l’élite, mais à condition qu’ils fassent des études, pas qu’ils finissent comme Nasri ou Morganella.
Pour une prétendue «gloire» nationale, il est intolérable qu’une fédération, dusse-t-elle s’appeler Swiss Olympic, tienne un discours aussi dédaigneux envers ceux qui ne sont là que pour faire de leur mieux. Pourquoi la presse n’a-t-elle donné que si peu de crédit à un nageur comme David Karasek qui a battu à Londres le record de Suisse du 200 m 4 nages ? N’était-ce pas là une performance digne des plus belles louanges ? Et bien non, malheureusement, car cet exploit ne lui a même pas suffi pour se qualifier en demi-finales. En d’autres termes, il n’a contribué en rien à la reluisance de la Croix blanche sur la scène internationale. En battant ce record, Karasek a même mis en lumière l’insigne faiblesse de la natation helvétique, jetant l’opprobre sur notre pays ! C’est normalement dans ces cas qu’on précise qu’il a en fait des origines tchèques, non ?
Bref, moi je dis bravo à tous ces athlètes suisses qui n’ont pas ramené de breloque dans leur escarcelle. Bravo à Sabrina Jaquet dont la passion pour le badminton lui aura, à défaut de lui faire gagner un match, permis de fuir La Chaux-de-Fonds pour Paris. Bravo à Claudio Capelli qui a réalisé le concours de sa vie tout en sachant pertinemment qu’il n’avait aucune chance de podium. Et bravo à Juliane Robra qui pourra, elle, raconter avec les yeux qui brillent à ses petits-enfants qu’elle a participé à des Jeux Olympiques.
Photo Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

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14 Commentaires

  1. J’adore!

    Et je rajouterais même qu’au même titre que la boxe, la plupart des compétitions ne devraient être autorisées que pour des sportifs amateurs!
    a bas les phelps, Bolt, etc..qui s’entrainent et se permettent de ralentir a 5m de la ligne pour ne pas battre un record qui leur rapporte plus dans la ligue diamant…aux oubliettes ces pseudo footballeurs qui ne sont là que pour passer d’agréable vacances et fini ces cyclistes qui n’ont au final de propre que leur maillot au début de la course (et encore s’ils ne se sont pas échauffé avant..)
    Prônons le sport populaire aux JO, avec des athlètes qui sont dans le commun des mortels, et au final au sportif qui à côté de leur travail, s’arrachent pour représenter leur pays!

  2. « L’important c’est de participer »… Restont petit suisse sans ambition et attendont le Hornuss au JO histoire de gagné quelque chose avec le sport de masse…

  3. Vite fait pour Baramine, l’amateurisme aux JO était instauré pour éliminer les classes populaires que Coubertin méprisait des Jeux, seuls les aristocrates et riches pouvaient se permettre de faire du sport amateur. Moi je trouve bien que les meilleurs athlètes puissent participer aux jeux.
    Par contre sinon entièrement d’accord, on se focalise seulement sur les médailles, et c’est tout ce qui compte, et c’est assez dégueulasse. Pour avoir fait du sport de compétition, je sais que c’est la seule chose qui intéresse les fédérations, les médailles et c’est tout! Le reste est méprisé, à tel point que le sport de masse n’est pas encouragé comme il le devrait. Le sport amateur en dose modérée est en plus la seule forme bonne pour la santé en plus, ces gens qui battent des records se foutent en l’air! De toute façon, l’importance des JO dépasse toute proportion, à croire que c’est plus important que les problèmes de chômage ou de violence etc.
    Bref, comme le montre l’article, on ne respecte pas les athlètes et on les traite comme du bétail, résultante de la notion de performance qui veut pousser nos corps jusqu’à ses limites, et ainsi nous déshumanise et veut nous transformer en machines.
    Enfin un article qui les défend, merci!

  4. @Roger
    Autre temps, autres moeurs! Si Coubertin méprisait les classes populaires, l’idée dans mon texte est bien de les valoriser! et surtout de permettre une fête du sport.
    Bien sûr que ce que je dis est illusoire, car la limite entre l’amateurisme et le professionalisme est très flou. Mais mon idée serait plus d’encourager des sports et des sportifs évoluant dans l’ombre à longueur de temps.

  5. Bon article à propos d’un concept qui mérite d’être débattu. Par contre, attention avec les supposés péchés de jeunesse de la Chine: si la Suisse est a été créée, il y a 700 ans, la civilisation chinoise, elle, existe depuis plusieurs millénaires!

  6. J’adore comme article et c’est tellement vrai que pour la grande majorité ces athlètes la simple participation est juste la plus grande récompense qui soit.
    D’ailleurs, ce qui n’est soigneusement jamais mentionné par ceux qui se plaignent des faibles résultats suisses c’est que TOUS les athlètes suisses ont rempli des critères fixés par le CIO et/ou les fédérations internationales (et de manière générale tous les athlètes à part les quelques places de quota « d’universalité » distribués à des petits pays ou des pays en voie de développement)
    Que ce soit par le ranking mondial (tennis, judo, triathlon, etc.) ou par la réalisation de temps minimals (natation, athlé,etc.) les athlètes sont d’abord sélectionnés par les fédérations internationales (et donc le CIO). Les comités olympiques nationals n’ont en gros que le droit de décider si oui ou non ils souhaitent sélectionner les athlètes qui ont rempli les critères de sélection (et donc de fixer des critères plus sévères que les critères internationaux).
    Mais priver un athlète, qui fait des sacrifices énormes pendant des années de participation aux jeux alors qu’il remplit les critères requis sous prétexte qu’il ne pourrait pas se classer assez bien c’est juste contraire à l’esprit des J.O.
    D’ailleurs,(en continuant la réflexion jusqu’à l’absurde) si tous les pays raisonnaient comme ça: « inutile d’envoyer des athlètes ne pouvant pas se classer dans le TOP 15 » on aurait bientôt plus que, allez, 20 athlètes par discipline. Mais bon, vu que se classer 18/20 c’est pas glorieux non plus, ce serait bientôt au moins un diplôme qu’il faut avoir. Inutile d’envoyer quelqu’un sans chance d’un top 8. Et on réduit à 10-12 athlètes par discipline. Pour finir à la fin avec des concours avec uniquement des candidats à la médaille. Fini les surprises, les victoires d’outsiders. Ils n’auront plus le droit de participer parce que « a priori » pas assez de chances de bien figurer… Un sorte de meeting sur invitation avec seulement des finales mais qui s’appellerait J.O….

    Non, pour que les jeux soient les jeux il faut qu’il y ait ces gens pour qui la participation c’est le concours de leur vie. Pour avoir de beaux vainqueurs il faut aussi avoir les anonymes qui se classent 24e, 40e ou au delà.

  7. Merci pour cet article plein de bon sens!
    Moi aussi j’en ai marre de Bolt et de son arrogance!
    Cependant je trouve que la RTS a bien couvert l’événement, en permettant de regarder des sports totalement inédits (le water-polo par exemple)!

  8. Je ne suis pas sur que les lecteurs ayant fait des commentaires saisissent le 2ème degré. Ils ont juste oublié qu’ici, c’est Carton Rouge…

  9. Oui, mais non.

    Sur le fond, ton opinion est louable et pas si éloignée de la mienne. C’est à dire que oui, il faut aussi des athlètes qui vont aux JO sans pouvoir rêver d’une médaille.

    Mais, si pour les « raccourcistes » ce sont des échecs dès qu’il n’y a pas de médaille, pour les vrais amateurs de sport, on sait tous que ces gars/nanas sont des sportifs d’élite. On sait tous les sacrifices consentis.

    Oui, Juliane Robra, Sabrina Jaquet, Chammartin et tous ceux qui étaient présents sont des sportifs d’élite. Tu noteras que Swiss Olympic n’est pas seul à fixer des minimas, les premiers étant les places quota inhérentes à chaque discipline aux Jeux -> il faut répondre d’abord aux minimas olympique avant de pouvoir espérer convaincre sa fédération.

    Et c’est là que diffèrent totalement mes vues. Tu dis qu’il faut financer à fond le sport de masse. Moi je dis qu’il faut financer à fond le sport d’élite.
    Parce que le sport d’élite, c’est celui qui draine derrière lui le sport de masse, qui pousse les gens à eux aussi prendre une raquette de tennis, à enfiler sa combinaison de natation, etc. Je parle bien de la masse, et pas seulement des sportifs qui font de toute façon du sport. Mais même eux, petits, c’est en regardant Eurosport ou la TSR le dimanche matin à 8h, plutôt que Dorothée (même si c’était bien aussi, hein), qu’ils ont appris à aimer le sport, parce qu’ils adulaient les Franz Heinzer, Magnus ver Magnussen et Takanobu Okabe, parce qu’ils rêvaient de leur ressembler.

    Pour changer les mentalités des Suisses, pour les pousser à aimer le sport, à ce que ça devienne culturel, il faut des têtes de proue, des exemples, des sportifs auxquels s’identifier. Oui, il faut titiller la fierté de la plèbe. Non, pas pour la gloriole éphémère d’un pays, là n’est pas le but (et là je te rejoins), mais bien pour que le sport soit au centre des discussions, des attentions.

    Le sport d’élite, c’est le rêve de beaucoup de jeunes. Mais combien abandonnent à 15-18 ans, finissant par privilégier les études à un sport trop onéreux, où il est trop compliqué de pouvoir s’entraîner.
    C’est gars là faut les aider à faire du sport, à tout mettre là-dedans, leur offrir de bonnes structures. Qu’ils aient le choix, car actuellement ils ne l’ont pas, sauf dans de rares cas où les parents sont surdévoués.
    Je ne dis pas qu’il faut créer des analphabètes (toutes les filières sont de toute façon des sport-études) à la Morganella, mais simplement qu’il faut accorder au sport la place qu’il mérite (pour plein de bonnes raison que je ne développerai pas ici).

    Pour construire un beau projet, pour le développement harmonieux de chacun, pour une culture du sport pour le plaisir, pour le bien être, pour la santé publique, il faut avoir une élite de pointe. Et c’est dans son sillage que le sport de masse peut se développer durablement, et dans les mentalités.
    On ne va pas changer la mentalité des Suisses: le travail, la sécurité de l’emploi, les études resteront toujours les priorités. Mais on peut développer leur amour du sport. Ca s’inculque.

    Ta phrase: « Mais le vrai progrès d’une société développée, c’est d’investir pour le sport de masses, pour améliorer la santé publique et, par là-même, réduire ses dépenses. »

    Moi je dirais: « Mais le vrai progrès d’une société développée, c’est d’investir pour le sport, pour améliorer la santé publique et, par là-même, réduire ses dépenses. »

    Et pour moi, il est très clair que l’investissement au sport d’élite doit être décuplé, afin de ne pas travailler dans le vide. -> les deux sont indissociables, si tu ne travailles qu’un des deux, alors que l’autre est délaissé, cela ne fera que freiner le développement.

    Et, une fois mieux soutenus, les Robra, Jaquet et autres ne diront pas seulement « je suis allée aux Jeux », mais « je suis allée au Jeux et j’ai passé deux tours. Mais je n’étais pas seule, l’autre Suissesse a fait le bronze. »

    Moi j’ai ragé de voir Jaquet perdre, de voir Cance se vautrer, de voir Dielen passer à un rien d’un tour de plus en tir à l’arc. Mais j’ai aimé voir le sourire de cette dernière acceptant la défaite, j’ai aimé voir les larmes de rages de Steingruber, Géroudet, Jaquet, Robra et Chabbey -> elles ont pleuré, parce qu’elles en veulent. J’ai aimé leur discours après leurs désillusions, parce qu’elles en veulent. Et moi, je veux les voir gagner dans 4 ans, faire mieux. Elles le méritent ces filles. Et pour ça, je veux que l’Etat les aide à devenir meilleures encore. Alors, elles toucheront aussi les autres, ceux qui s’intéressent moins au sport. Et, qui sait, à force, on créera peut-être des vocations parmi la masse. Et on aura permis à ceux qui étaient aux Jeux de rêver encore un peu plus.

    Oui, les sportifs suisses qui étaient à Londres peuvent avoir la tête haute. Ce d’autant plus qu’ils n’ont pas le soutien qu’ils méritent.

  10. @Manu:

    C’est le meilleur commentaire que je n’aie jamais lu, simplement.

    Tellement loin des donneurs de leçon à 2.- qui nous ont bassinés sur la RTS. La palme revient sans doute à Joël Robert, qui n’a jamais du faire du sport de compétition, et qui se permet de lamentable de gausser d’une soi-disant pression mal négociée.

    Marre de ces journalistes qui ne suivent pas les « petits sports » et ironisent sur des gens qui ont tout sacrifié depuis 4 ans et même plus pour tenter d’y arriver. Et certains qui croient encore que des escrimeurs ou des judokas finissent millionnaires en Suisse, ou ont trop de confort par rapport à d’autres pays…

    Et dire que de l’autre côté, on trouve mille excuse à des footballeurs dès qu’ils ont 2 matchs par semaine.

    Que les gens fassent du sport, apprennent cette culture, et ils pourront soutenir les athlètes à leur juste valeur en se rendant compte des sacrifices et du sérieux que cela demande. C’est cette mentalité là qui poussera aussi les meilleurs à se sentir valorisés, soutenus et à aller au bout d’eux-mêmes plutôt que de devoir s’entendre répondre quand ils expliquent faire du sport à 100%: « ouais mais sinon tu fais des études de quoi? »

    Cultivons ces valeurs!

  11. Je vous rejoins sur de très nombreux points les gars. Un très bon article CR avec du fond et de la forme.

    Néanmoins, moi, ça me rassure plutôt quand on entends des « ouais mais sinon tu fais des études de quoi? » autour d’une discussion avec des sportifs d’élite.

    J’ai l’impression que ça veut juste dire que malgrés le matraquage médiatique constant et l’idôlatrie franchement consternante d’une petite partie des sportifs pro, plus ou moins éduqués (principalement footballeurs sous nos lattitudes), le sport d’élite reste dans la conscience commune, en tout cas dans notre petit pays, comme une forme de passion, avec ses sacrifices et ses drames. Mais pas un métier.

    Ca me dérange pas tant que ça, ce genre de remarque …

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