Un Pigeon hors-catégorie

Après la brillante nomination du maître d’ouvrage Lance Armstrong le mois dernier, c’est au tour du responsable de projet Hein Verbruggen de goûter aux joies de la consécration au Pigeon d’Or d’octobre. Il s’en est pourtant fallu d’un boyau pour que le boss de l’UCI ne s’impose devant le non moins fourbe Nikola Karabatic.

Sur la toile, le tableau est brillant: le cyclisme est le sport qui lutte le plus activement contre le dopage grâce à des mesures en constante évolution, telles que le passeport biologique, la multiplication des contrôles inopinés, des GPS greffés dans les fesses de tout coureur et des méthodes de détection toujours plus pointues. Malgré cela, des pros se font toujours pincer. Efficacité de la nouvelle politique de l’UCI ou connerie délibérée des sportifs ? La réponse est bien plus complexe que cela. En dépit de cette bonne volonté, certains cas ont été passés sous silence – voire étouffés – comme le contrôle positif de Lance Armstrong à l’EPO lors du Tour de France 1999.Le paysage du cyclisme laisse perplexe lorsqu’on y regarde de plus près: un Alexandre Vinokourov retrouvant miraculeusement les jambes de ses 20 ans, un Cancellara transformé en forçat de la montagne en menant le train des frères Schleck jusque dans les pentes les plus abruptes des mythiques cols pyrénéens, des sprinteurs devenant subitement grimpeurs; des exemples suscitant de grands doutes comme ceux-ci, il y en a tout un peloton. Malheureusement, les promesses entrevues à la suite de l’affaire Festina sont restées sans lendemains…

L’USADA, l’agence antidopage américaine, est parvenue à monter un dossier avec un nombre gargantuesque d’éléments à charge. Le système de dopage «le plus perfectionné et le plus sophistiqué jamais mis au point dans le milieu du sport (sic)» n’aurait jamais pu être mis en place sans la passivité complaisante de l’UCI et de ses dirigeants focalisés sur un unique objectif: faire le plus d’argent possible grâce aux performances supersoniques de Lance Armstrong, le grand ami de Hein Verbruggen, et de ses sbires. Même Nicolas Sarkozy a eu connaissance des affaires de dopage qui rongeait le milieu, démontrant l’ampleur insoupçonnée du scandale.
A la suite de la sortie du rapport accablant de l’USADA, des faits pas très glorieux sont venus ternir la bonne volonté de l’UCI et de son président Hein Verbruggen: contrôles annoncés à l’avance, tests de dépistage positifs sciemment oubliés, dons versés à l’organisation en échange de l’impunité, utilisation de produits destinés à masquer les substances dopantes avec la complicité des agents de l’UCI. Si ces pratiques font l’effet d’une bombe dans le milieu, on n’en est guère surpris tant les affaires douteuses se multipliait au sein du cyclisme professionnel.

Cachez ce système que je ne saurai voir

Bien sûr, de nombreux soldats ont été sacrifiés – à juste titre, mais dans le seul but de montrer un certain succès – sur l’autel de la lutte antidopage alors que les généraux n’ont jamais été inquiétés, faisant même régner une politique de la terreur à quiconque oserait parler ouvertement d’un sujet devenu tabou jusque dans les entrailles les plus profondes de l’UCI. Il a donc fallu attendre que certains retraités à la réputation déjà détruite ne se mettent à témoigner contre ceux qui les ont fait jadis exister. Preuve que Hein Verbruggen n’a jamais été intéressé à s’attaquer aux vraies causes du problème, mais s’est simplement contenté à combattre ses conséquences visibles de tous.
Il a été clairement démontré qu’une lutte antidopage efficace n’est possible que lorsque les pouvoirs publics s’en mêlent, comme cela a été le cas en France et en Italie. Sans instance indépendante et fermement décidée à mettre les moyens nécessaires pour démanteler les différents réseaux et systèmes de dopage qui continuent à gangrener le cyclisme, aucun résultat probant ne sera obtenu.

Comment peut-on avoir un discours militant pour la cause du cyclisme propre, de mettre en place toute une batterie de mesures visant à éradiquer ce fléau si l’on est incapable de faire le ménage dans ses propres rangs ? Quel signal donne-t-on aux commanditaires, aux amateurs, et à tout ceux qui tentent contre vents et marées de faire vivre le cyclisme ? En retirant certaines tumeurs bien visibles tout en laissant impunément les métastases représentées par les Bruyneel, Riis et autres Virenque graviter autour de ce sport, Hein Verbruggen n’a jamais eu le courage de donner une nouvelle chance au cyclisme. Quel crédibilité le cyclisme possède-t-il encore à l’heure actuelle ? Aucune.
L’UCI et Hein Verbruggen ont non seulement failli dans leur mission de rendre ce sport propre, mais ont pratiqué un double discours infâme en pratiquant en théorie une lutte sans merci contre le dopage tout en alimentant sournoisement ce dernier par les méandres cachés de réseaux qui leur faisaient rapporter gros. Il est désormais trop tard: le cyclisme ne pourra plus se bâtir à nouveau une réputation digne, une crédibilité nouvelle. Chaque ascension, chaque sprint massif sera entaché du soupçon dont il ne pourra s’en défaire. Pour avoir définitivement achevé ce sport, Hein Verbruggen a totalement mérité son

Pigeon d’Or d’octobre 2012

et retrouvera donc Lance Armstrong, Michel Morganella, Samir Nasri, Philippe Gaydoul, Geoffroy Serey Die, Dominique Warluzel, Majid Pisyhar et Pepe à la grande finale de décembre. Quel beau plateau !


Classement final :

1. Hein Verbruggen : 112 votes – 21.1 %
2. Nikola Karabatic : 105 votes – 19.8 %
3. Jan Alston : 74 votes – 14.0 %
4. John van Boxmeer : 73 votes – 13.8 %
5. Gabet Chapuisat : 70 votes – 13.2 %
6. Yann M’Vila : 65 votes – 12.3 %
7. Arpad Soos : 21 votes – 4.0 %
8. René Girard : 10 votes – 1.9 %

Nombre de votes : 530

Écrit par Mathieu Nicolet (texte) et Robert Johanson (dessin)

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