Crans-Montana 1987 : la chute du «géant» de Morgins

C’est avec un petit pincement au cœur que je me recollectionne la crapahutée en-haut par-dessus Crans-Montana pour ces Championnats du monde de ski 1987, là où les Suisses raflèrent 14 médailles sur 28, dont 8 d’or ! Malheureusement, en ce jour de géant messieurs, le «mauvais» Valaisan du Haut triompha et le «bon» Valaisan du Bas rejoignit la liste des skieurs locaux, tels Philippe Roux ou Steve Locher, sûrement (?) plus talentueux que leurs paires, mais qui ont capoté au moment où ça comptait vraiment. Petit récit aviné pour vous conter l’expédition sur l’alpage enneigé du Chetzeron ainsi que la mythique gamelle du pauvre Joël Gaspoz.

Scout toujours !

Pour tout te dire, les sorties à ski des collégiens de Sion (dont le petit moi) s’apparentaient plutôt à certains passages de Scout toujours, où nos Jean-Baptiste moustachus nous empêchaient tout accès aux buvettes avant midi pour d’obscures raisons liées à la consommation prématurée de Cardoches. L’expédition sur le Haut-Plateau pour ce géant hommes du 4 février 1987, gracieusement offerte par notre Conseil d’Etat, fut une toute riche idée. En effet, quoi de plus glorieux que d’envoyer la quintessence de la relève intellectuelle valaisanne sur les hauteurs de Crans afin de présenter les futures vaillantes forces du canton au monde entier ? On n’allait pas les décevoir.
Un vaste amoncellement de collégiens (un bon millier, moins tous ceux qui avaient courbé) s’était rassemblé en désordre dès 7h30 à la gare de Sion et s’affairait non seulement à trouver le bon car postal mais aussi à ne pas briquer les  précieuses topettes planquées dans nos sacs à dos dodus. Pour ma part, j’étais parti bien équipé pour une sortie à ski avec mes potes du collège : une de Fendant et une de Dôle au cas où… Arrivés sur Crans, il ne fallut pas longtemps pour nous apercevoir que tout avait été organisé à la valaisanne : merdier total dans les parkings sous l’œil bienveillant de la police locale aussi utile qu’une commission électorale à l’UMP.
Après indications et contre-indications, nous reçûmes carte blanche (!) pour la journée à condition de nous repointer au bus à l’heure en fin de journée. Rejoindre la piste du Chetzeron fut une expédition sportive car elle était fermée à la populatze et les bordures rendues aussi praticables qu’une route du Bangladesh après passage de la mousson. Tant bien que mal, en se faufilant dans la forêt, on dénicha une position stratégique au sommet du dernier reck avec une vue imprenable sur l’archaïque tableau Omega. Après ces incommensurables efforts sous un soleil «jamaïcain», on s’était dit que tout effort méritait désaltération… et pop, le premier bouchon sauta.

Collombin, sors de ce corps !

Bien mis en bouche par un cet apéro matinal, notre petite section estudiantine pouvaient dès lors se «passionner» pour ce géant hommes. Faisant fi de l’ignorance totale de certains qui demandaient le pourquoi des portes rouges et bleues, les paris allaient bon train quant au favori de cette course : Marc Girardelli pour certains, Tomba pour les «Chichios» d’adoption, Joël Gaspoz pour les rêveurs, Ingmar Stenmark pour les nostalgiques des bonnets Crédit Suisse, Hubert Strolz pour les traitres, Roc Petrovic pour les ignares. Toutefois, pas un vote pour le favori Pirmin Zurbriggen, l’homme au charisme aussi contagieux que celui d’Andy Murray.
 
La première manche partit à 10h et la rigolade commença quasi simultanément avec les Autrichiens Helmut Maier et Rudolf Nierlich qui ouvrirent la valse des éliminés, en quillant juste à côté de notre aire de pic-nic, s’attirant par la même des quolibets acerbes d’impertinents boutonneux. Girardelli réussit le meilleur temps provisoire dans l’indifférence totale des supporters luxembourgeois absents à cette occasion. Mais pas pour longtemps, car Joël Gaspoz, qui avait dû lire les «Mémoires de Sapporo» de Roland Collombin, vint faire exploser le chrono sous notre ola et celle des 14’000 spectateurs certes imbibés, mais fort attentifs au déroulement de la course. Pirmin Zurbriggen qui partait droit derrière le Morginois fut remis sa place en finissant à 45 centièmes, tout comme le jeunot Tomba et le vieillissant Stenmark qui devaient impérativement changer de fart pour aller titiller le podium en deuxième manche.

Sergent Ducon, à moi !

La piste était dans un état aussi précaire que certains de mes amis collégiens qui avaient abusé du fruit de la terre en essayant stupidement d’allumer une hypothétique grillade avec du bois un tantinet humide. Durant cet intervalle, nous fumes éblouis par le spectacle surréel des ineptes militaires suisses pelles à la main, clope à la bouche et Cardinal dans la poche, qui «essayaient» de rafistoler cette piste exposée plein Sud et qui fondait à vue d’œil. En observant ces «grandes casquettes» s’agiter tels des hamsters dans une roue de cirque, on se disait que nos officiers n’arriveraient pas à organiser une beuverie dans les caves Provins. En parallèle, dans l’aire d’arrivée, le speaker qui parlait uniquement le valaisan invectivait la foule avec des meuglées qui ressemblaient étrangement à celles de Crapule, le Reine d’Hérens qui avait gagné l’inalpe estivale sur cet alpage. Seul souci de logistique de notre côté, le vin blanc devenait trop froid car calé dans une mini-cave type igloo, on ne pouvait plus guère discerner les finesses de ces nectars. De mauvais présage d’après certains…

Giobellina en piste ?

Premiers en lice en deuxième manche, les Autrichiens vexés par une première manche des plus loupées se rattrapèrent sous l’impulsion du très fier Hubert Strolz. Ce dernier reprit 78 centièmes aux leaders en profitant probablement d’une piste encore potable vers 13h02. S’en suivit le trio d’Allemands (Hans Stuffer, Michael Eder et Frank Worndl) qui allaient réaliser un tir groupé au pied du podium que n’aurait pas renié ce coquin de Général Petraeus. Hans Pieren vint se caler juste derrière les Teutons et finira 8ème au final, mais je dois t’avouer qu’on s’en foutait un peu, car mes copains, saouls comme des brouettes, se faisaient de la bile au sujet de la piste. En effet, la neige s’était transformée en une telle patchaque que des immenses pipelines s’étaient créés, à tel point qu’on n’aurait pas été étonnés de voir le bob de Giobellina dévaler la pente du Chetzeron. Par la suite, Alberto «La Bomba» limita la casse en battant Strolz pour huit centièmes mais ça n’allait pas suffire pour «sauter» Girardelli qui se faufila si bien entre les portes qu’il laissa l’Italien à 70 centièmes, tout en s’assurant de monter sur le podium. Quant à Pirmin Zurbriggen, nullement influencé par le boucan chauviniste local, il tricota méthodiquement sur cette deuxième manche et dépassa Girardelli pour sept «petchiots» centièmes. Girardelli fut donc le grand douché de la journée.

Et Gaspoz prit la porte…

Pour rentrer dans la postérité sportive valaisanne comme les Collombin, Brigger Morabito et autre Ouattara, notre brave Joël devait «juste» protéger ses 45 centièmes d’avance sur Zurbriggen pour arracher l’or, autant dire un exploit à portée de spatules. Malmené juste après le premier replat, Gaspoz pointa en très légère avance sur ses adversaires à l’intermédiaire. Les spectateurs retinrent leur souffle à l’entrée du dernier reck, mais l’hara-kiri était perceptible dans l’air à voir la vitesse folle prise par le slalomeur de Morgins sur cette piste même pas digne d’une sortie OJ au Brassus. Tout à coup, un énorme «Oumfe» s’éleva depuis les gradins de la zone d’arrivée. Gaspoz disparut des images TV et réapparut le cul en l’air dans une position «toupille arrière» qu’on aurait dit Stéphane Lambiel en démonstration. «Euille mais la gamelle» hurla mon ami qui décuita de suite. A trois portes de l’arrivée, alors que 99% de la médaille d’or lui pendait au cou, Joël Gaspoz laissa échapper un titre qui, osons le dire, lui revenait de droit. Inutile de dire qu’on ne fêta pas la victoire de Zurbriggen et qu’on rentra bien penauds à la maison se faire engueuler par nos parents peu sportifs en l’occasion.
On laissera le mot de la fin à Joël Gaspoz, 50 ans ces derniers jours, qui le soir même de sa chute déclara à notre Deschenaux national : «Avec des si, tout le monde aurait pu gagner cette course aujourd’hui». En acceptant de perdre avec tant de grâce, oui Joël, tu l’aurais vraiment mérité cette médaille.

A propos Paul Carruzzo 207 Articles
Elle est pas un peu belle notre Nati et tout le bonheur qu’elle nous amène ? Alors, Rickli et compagnie, si vous ne vibrez pas devant cette équipe, vous n’êtes pas non plus monstrement obligés de regarder. Profitez d’un bon match de hornus et foutez la paix à nos joueurs, qui comme vous, ont un joli passeport rouge à croix blanche.

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6 Commentaires

  1. Juste dingue ! Merci pour ce moment d’anthologie, pour mon Jojo valaisan national, pour cette écriture divine, pour ce petit moment de plaisir bien meilleur que la plus belle des médailles en chocolat.

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