Le second miracle de Berne

Lorsqu’en automne 1984, quelques mois après la terrible défaite en finale de la Coupe de Suisse contre Servette, mon voisin proposa à mes parents de m’emmener à la Pontaise pour voir le LS jouer contre le FC Chiasso, j’avais dit à mon père que je serai pour l’équipe qui gagnerait. Par chance le LS avait ce jour-là atomisé les Tessinois 7 à 2. Enfin par chance, ce n’est pas sûr. Certes, cela m’a évité plusieurs milliers de kilomètres et des années de galère si j’avais dû supporter les Chiassesi, mais pas tant que ça si on se dit que mon premier match à la Pontaise aurait pu se solder par une défaite face à Bâle ou GC et que j’aurais pu fêter plus d’un titre de champion.

Toujours est-il que le destin avait choisi le Grand LS et que de titres, que ce soit en championnat ou en Coupe, il n’y en eut point avant ce fameux 1er juin 1998 où tout le peuple bleu et blanc put enfin savourer ce doux parfum du succès en finale, 17 ans après la précédente victoire au Wankdorf. Certes il y avait eu quelques aventures européennes du côté de San Sebastian ou de Gand, quelques belles heures lors des années Chappi et cie, mais pas de titre. L’attente n’en devenait que plus grande au fil des années et, 14 ans après 1984, il n’était pas concevable de perdre cette finale.Avant d’arriver à ce fameux jour J, le LS dut batailler ferme pour se qualifier. Tout a commencé en novembre 1997, du côté du Wankdorf, où un LS inspiré laminait les Young-Boys 4 à 1 avant de s’imposer par 3 buts à 1 à Winterthur pour se hisser en quarts de finale et affronter Xamax à la Pontaise. Au terme d’un match épique et serré, les Lausannois sortaient victorieux de la série de tirs au but et validaient leur ticket pour la finale en s’imposant 2-0 à Wil. Auréolés d’une belle 3ème place en championnat, les Vaudois semblaient enfin retrouver une belle équipe et c’est une excitation non dissimulée qui se mit à grimper ces derniers jours du mois de mai.
Et le 1er juin, dès 5 heures du matin, c’est une foule bruyante et colorée qui se mit à envahir littéralement ce mythique buffet 2ème classe de la gare CFF de Lausanne. Avec un BWFK en chef d’orchestre, avec passablement de membres qui passèrent la nuit à s’échauffer au local du groupe à la Pontaise, tant au niveau des chants que de la descente de chopes. Plus les heures avancèrent et plus la foule se massa au buffet, sur le quai n°1 et dans le hall central.

Lorsque sur le coup des 9h30 le train s’ébranle en direction de la capitale, l’ambiance est déjà chaude et les fenêtres ouvertes permettent aux fêtards non fans de foot encore somnolents de se faire sortir de leur léthargie par les chants à la gloire du Lausanne-Sports. Tel des serpents bleus et blancs, les deux trains spéciaux quittent notre beau Léman pour rejoindre la campagne fribourgeoise puis la capitale fédérale. Et c’est dans une ambiance indescriptible qu’ils arrivent en gare de Berne sous l’œil médusé des touristes.
Lorsque le cortège emmené par le Blue-White se lance à l’assaut des rues de la capitale en direction du stade à travers la vielle ville et la fosse aux ours, la foule est compacte et enthousiaste. Des gens qu’on n’avait pas vu depuis des lustres étaient revenus pour l’occasion afin de supporter leur équipe et faire la fête, car mis à part quelques escarmouches inévitables à ce genre de déplacements en masse, l’attitude policière parfaitement correcte permit d’éviter de faire monter inutilement la tension et rares furent les débordements. Pas sûr du tout que cela pourrait encore se passer de la sorte aujourd’hui.
Dès l’entrée dans le mythique Wankdorf, sous une chaleur accablante de 33 degrés (mais on aurait dit qu’il faisait au moins 40), l’ambiance monte encore d’un ton, la bière coule à flots (eh oui, on servait encore de la bière et ce n’est pas si vieux que ça pourtant) et le stade, plus ou moins également partagé, résonne aux sons des encouragements aux deux équipes. Un formidable tifo à base de milliers de ballons bleus et blancs accueille l’entrée des joueurs lausannois sur le terrain pour un très beau rendu. Simple mais efficace comme on dit dans le jargon.
Le début de match est assez équilibré et le rythme n’est pas particulièrement soutenu de part et d’autre. Petit à petit pourtant, les Brodeurs prennent l’ascendant et, à la 26ème, sur un joli coup-franc de Vurens, ouvrent la marque devant les supporters lausannois médusés. On se dit qu’on n’a pas attendu 17 ans pour se la faire mettre à l’envers et le kop donne de la voix pour pousser les joueurs vaudois. Mais rien n’y fait, Saint-Gall regagne les vestiaires avec ce score de 1-0 en sa faveur. Une petite bière et une YB Wurst plus tard, la seconde mi-temps reprend et à peine 3 minutes après, ce même Vurens bien lancé sur l’aile gauche peut tromper Martin Brunner et donner un sacré coup au moral des troupes lémaniques. Et quand à la 56ème minute Harut Vardanyan déséquilibre Patrick Bühlmann dans la surface et que l’arbitre désigne le point de penalty, les carottes semblent bel et bien cuites.

Et c’est là, alors que personne ne s’y attendait, que personne n’y croyait, que l’histoire avait décidé de s’inscrire autrement. Edwin Vurens, encore lui, allait être bien malgré lui le héros malheureux de la journée côté saint-gallois et offrir aux supporters lausannois un renversement de situation inespéré en tirant son penalty à côté. On ne savait pas encore que c’était le tournant du match ni qu’il allait se venger 1 an et 1 jour plus tard, un mercredi pluvieux, du côté de la Pontaise.
Quelques 30 secondes après cet incroyable raté, le légendaire Stefan Rehn, d’une astucieuse pichenette du pied droit pouvait tromper de près Jörg Stiel et relancer complètement les actions lausannoises et rendre hystériques les quelque 13’000 supporters vaudois présents au Wankdorf. Mais l’équipe suisse orientale est solide et malgré tous ses efforts le LS ne parvient pas à égaliser. Quand à la 80ème minute la somptueuse bicyclette de Léonard Thurre finit sur la barre transversale, on commence à se dire qu’à l’inverse de la fourmi de La Fontaine, on ne reviendra pas sur le lièvre. Mais pourtant, à la 89ème minute, sur une belle remise de Philippe Douglas, le même Léonard Thurre s’élevait plus haut que tout le monde et pouvait égaliser. Un délire indescriptible envahit alors les rangs des supporters bleus et blancs et les cœurs ne sont pas loin de flancher.
Après quelques nouvelles bières pour tenir le coup, les prolongations ne donnèrent rien et cette finale allait devoir se jouer à la loterie des tirs aux buts. Enfin, le terme loterie, quand tes buts sont gardés par le phénoménal Martin Brunner, c’en est tout de suite moins une tant il était fort et expérimenté Encore fallait-il que les Lausannois ne craquent pas. Ce qu’ils ne firent pas. En effet, Fabio Celestini, Oscar Londono et Philippe Douglas réussirent leurs trois premiers essais alors que Marco Zwissig ratait le sien du côté des verts. Quand Daniel Puce marqua le 4ème des tirs lausannois, une pression énorme dut s’abattre sur les épaules de ce cher Patrick Bühlmann. Son tir peu appuyé fut parfaitement stoppé par le gardien lausannois qui pouvait envoyer le ballon en tribune et les supporters vaudois au paradis.

Si les minutes qui suivirent cet instant magique restent quelque peu floues (et ce n’est rien comparé à la fin de la nuit), un sentiment extraordinaire envahit alors mon corps et celui de nombreux Lausannois. Enfin on tenait ce premier titre depuis 17 ans et qui était pour toute une génération de supporters actifs le premier tout court. La fête dans le stade fut belle, le retour à la gare bruyant et le retour en train sur Lausanne délirant malgré la fatigue et la bière ingurgitée. Après une longue attente, ce fut enfin le retour des héros en car à Ouchy, avant que le bus – suivi par plusieurs dizaines de scooters et voitures qui klaxonnaient comme des fous – traverse la ville en direction de la Pontaise, où les joueurs furent accueillis par une foule en délire. On peut le dire : ce fut du jamais vu à Lausanne ! Tout du moins pour ceux qui avaient moins de 50 ans…
S’en suivirent des scènes de liesse et de communion entre joueurs et supporters avec notamment le passage des héros et de la Coupe au local du BWFK avant de poursuivre, pour certains dont moi-même exceptionnellement, la fin de la soirée et une bonne partie de la nuit à la défunte Griffe en compagnie de bon nombre de joueurs pour prolonger ces instants de bonheur qui resteront gravés à jamais dans les mémoires de ceux qui ont eu la chance de les vivre.

A propos Grégoire Etienne 81 Articles
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5 Commentaires

  1. Rien à ajouter, c’était une journée magique. J’en ai gardé un coup de soleil monumental et des souvenirs indescriptibles. Merci de les ressusciter, Gregy!

  2. Quel souvenir!
    Mémorable arrêt à l’altestramdepot!

    Rien à voir avec la dernière sortie aseptisée à Bâle et le train qui s’arrête devant ce stade sans âme….
    (sans compte la déculottée..mais c’est une autre histoire)

  3. ah ça on est d’accord que sans la marche dans la ville de Berne ça le fait moins.

    Je me souviens bien de ce match, de toute beauté. Et même que j’étais pour Lausanne 🙂 .

  4. Je n’y étais pas (trop jeune selon mes parents) mais je l’ai vécue à la télé cette finale et c’était énorme quand Thure a égalisé. Par contre j’y étais l’année suivante contre Zürich et là on est rentré la queue entre les jambes.

  5. Cet article donne la chair de poule tellement c’était beau.

    @ Foufure, l’année suivante c’était contre GC, victoire 2-0.
    C’est celle d’après la défaite aux tab contre Zürich.

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