FIFA : les grosses têtes roulent (1/4)

Le tintamarre des casseroles des plus «prestigieux» membres du Comité exécutif, les «intouchables», les «parrains», les «dinosaures» retentit dans les couloirs pourtant bien feutrés de la FIFA, sur les hauts de Zurich. La grande purge a en effet commencé depuis quelques mois. Même secouée par toutes les affaires et scandales, la FIFA vacille mais ne tombe toujours pas ! Son président Sepp Blatter tient bon, contre vents et marées. Mais pour combien de temps encore ? Le Brésil et son peuple en colère, le Qatar et le scandale de l’esclavagisme sur les chantiers pharaoniques de la Coupe du Monde 2022 auront-ils la peau du Haut-Valaisan ?

Petit florilège des comitards déchus

On ne s’attarde pas sur les premiers membres suspendus en 2010, histoire sans doute de faire peur aux autres ou pour se donner bonne conscience. Reynald Temarii (Tahiti), le plus jeune membre du comité exécutif, avait été écarté par ses pairs pour avoir réclamé 3.2 millions de francs aux faux émissaires de la candidature américaine 2022 pour le financement d’un centre de formation aux îles Fidji. Le Nigérian Amos Adamu (Nigéria) avait demandé, quant à lui, 800’000 francs à ces mêmes pseudos représentants des Etats-Unis pour «des projets personnels». Nos deux moutons noirs du comité, Temarii et Adamu, ne sont en fait que du menu fretin, comparés aux grosses pointures prises actuellement dans la tourmente. A commencer par Dieu tout puissant, le Docteur Joao Havelange en personne.


«Joao Havelange a reçu plusieurs dizaines de millions de dollars de pots-de-vin.»

Ricardo Teixeira. En matière de corruption, c’est du lourd ! Le célèbre gendre de Joao Havelange défraye davantage la chronique judiciaire que sportive au Brésil. Il est le symbole de la corruption qui ronge le pays depuis des décennies. Sur ce terrain, il bat presque son beau-père. La liste de ses méfaits est longue. Il a finalement été débarqué de la présidence de la CBF après 35 ans de règne. En 2007, il était à la tête de la CBF quand le Mondial 2014 est attribué au Brésil, alors seul candidat à l’organisation.


«Teixeira n’aime pas le football ; il a déjà dormi pendant des matchs.» Eduardo José Farah à propos de l’ancien président de la CBF, Ricardo Teixeira

Son cinquième mandat consécutif se terminait en 2007, mais il fut décidé de le prolonger jusqu’à la finale de la Coupe du Monde 2014. Mais sa démission, en mars 2012, ne surprit finalement personne. Teixeira s’est enrichi pendant des années et possède de nombreux intérêts (concessions automobiles de la marque Hyundai, boîtes de nuit, restaurants). Pour parvenir à ses fins, cet arriviste a épousé, à 19 ans, la fille du Président Havelange. Lui même déteste le football. Selon le président de la Fédération de Sao Paulo, Eduardo José Farah, «Teixeira não gosta de futebol. Ele dorme durante a partida». On vous fait grâce de la traduction.
La liste de ses affaires est… démesurée : népotisme, pots de vins, fausses factures, contrats détournés (par exemple avec la firme Nike) lui rapportant plus qu’à sa fédération, moyens de la CBF engagés pour sa propre carrière politique, etc. Même le Roi Pelé, lorsque ce dernier fut ministre des sports, n’avait pas réussi à le déboulonner. En 1998, il fut impliqué par des commissions d’investigations parlementaires. Idem en 2001 par le sénat. Mais ses appuis politiques sont puissants.


Bin Amman, président de la Confédération Asiatique de Football, se fait pincer en flagrant délit de versements illicites pour l’achat de voix

Mohammed Bin Amman, président de l’AFC (Confédération Asiatique de Football). L’intéressé a été banni à vie de toute activité liée au football par la FIFA, à la suite d’une affaire d’achat de voix en vue de l’élection présidentielle de l’instance. Le «pauvre» prince du désert n’a rien vu arriver. Après avoir grassement financé les deux premières campagnes de l’élection présidentielle de Blatter, il se profilait pourtant comme un candidat sérieux pour lui succéder. Las. Le Haut-Valaisan n’a pas tenu ses promesses. En rendant visite à Warner et la CONCACAF, Bin Amman se fait finalement pincer en flagrant délit de versements illicites pour l’achat de voix. Bref. Ce n’est pas le Prince consort, mais le Prince qu’on jette !

Nicolás Leoz. Déjà six mandats à la tête de la Confédération sud-américaine. A 84 ans, le vieux Paraguayen vient de déposer les armes, pour raisons de santé… officiellement, mais éclaboussé lui aussi par le scandale ISL. Il avait lui même reconnu avoir touché 730’000 dollars. Jusque là, il avait toujours réussi à se tirer d’affaire dans nombre d’accusations de corruption. Avec Havelange et Teixeira, il paye finalement les pots cassés. Mais on ne tire pas sur une ambulance… Alors, exit Leoz. Passons à un cas extrêmement plus haut en couleurs.
Jack A. Warner. La saga de l’ex-éminence grise de la FIFA est plus que fascinante. Elle frise l’irrationnel. On devrait même songer à en faire un film ! Comment l’ancien prof d’école de Trinidad est arrivé au sommet du football mondial sans crier gare ? Mystère. Mais lorsqu’on compulse la bio de ce Trinitéen, le seul sport pratiqué paraît être la… corruption. La fameuse firme des audits Ernst & Young a estimé que Warner et sa famille ont réalisé au moins un million de dollars de bénéfice, uniquement sur la revente de tickets gratuits et ce, juste pour la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. Warner était le grand chef de la billetterie de la FIFA et des droits TV.
Warner, président de la CONCACAF (fédération des Caraïbes et Central américaine), était l’un des alliés les plus fidèles de Sepp Blatter. Pas un ami, car Blatter n’a pas d’amis, que des alliés provisoires, que des alliances dont il fait et défait les liens à l’envi, selon ses besoins.


Warner n’avait pas de style et encore moins de conversation, mais il était maître de 35 associations membres et celles-ci votaient comme un seul homme

Il faut dire que l’allure de Warner et de sa famille frisait la vulgarité. Cette bande faisait tache dans les salons VIP, les «Royal box» et les loges princières. De gros diamants à l’oreille ou sur une montre disproportionnée pour le fiston Daryan : un look bling bling de parvenu. 
Le patriarche, lui, n’avait pas de style et encore moins de conversation, mais il était maître de 35 associations membres et celles-ci votaient comme un seul homme, comme lui le leur dictait. Mais cela, c’était avant ! Depuis sa démission en 2011, Warner, qui a lui même détourné des millions de dollars, pillé sans scrupule les caisses de la FIFA, dénonce désormais un système de corruption international au sein de cette vénérable institution. Quel toupet !

Le FBI aux fesses

Pour illustrer la situation dramatique dans laquelle se trouve actuellement l’instance mondiale du football, il faut se référer au travail titanesque accompli par le journaliste écossais Andrew Jennings qui explique en ces termes la partition jouée par Warner et son clan ces dernières années. 
«Pourquoi Warner se met à table ? Le FBI est à ses trousses.» Mieux, le bureau fédéral a arrêté les fils Warner, Daryan et son petit frère alors qu’ils frimaient en Floride. Le FBI a obtenu d’eux de collaborer à sa vaste enquête sur la FIFA. Jennings livre le fruit de ses investigations : «Daryan Warner a toujours été l’homme du «back office» chargé d’organiser le blanchiment et la dissimulation des bakchichs et des profits de toutes les activités footballistiques illicites de son père, que ce soit les détournements de subventions, le trafic de billets de la Coupe du Monde et l’encaissement occasionnel des paiements substantiels que lui faisaient les pays désireux d’accueillir l’épreuve reine.»
Warner a souvent travaillé en association avec son très cher ami, le New-Yorkais Chuck Blazer qui n’a du Père Noël que la barbe fournie et la panse bien ventrue. En avril dernier, il s’est aussi fait débarquer du comité exécutif de la sacro sainte FIFA pour activités illicites ! Elle est pas belle la vie ?


La carrière de Jack Warner au sein de la FIFA a commencé à prendre une sale tournure en mai 2011 lorsqu’il s’est fait pincer en possession d’un million de dollars de pots-de-vin, dans des enveloppes contenant chacune 40’000 dollars en cash

Mais revenons à Warner et aux explications de l’expert, Andrew Jennings. La carrière de Jack Warner au sein de la FIFA a commencé à prendre une sale tournure en mai 2011 lorsqu’il s’est fait pincer en possession d’un million de dollars de pots-de-vin, dans des enveloppes contenant chacune 40’000 dollars en cash, destinées aux fédérations caribéennes. Elles devaient convaincre leurs dirigeants de voter en faveur de Mohamed Bin Hammam du Qatar, qui s’était mis en tête de contester la présidence de la FIFA à son président en titre Sepp Blatter. C’est Blazer – le traître ! – qui avait dénoncé Warner à la FIFA avant de se retrouver à son tour impliqué dans des soupçons de corruption solidement documentés. Un malheur n’arrivant jamais seul, Jack Warner a offert sa démission du poste de ministre de la Sécurité nationale de Trinidad et Tobago. Et elle a été acceptée! 
Dans quelle direction va maintenant se tourner le FBI ? Il n’est d’ailleurs pas seul. Depuis plusieurs mois, ce sont les autorités fiscales US à savoir l’IRS, qui lui ont emboîté le pas. L’enquête confidentielle s’étend de Port of Spain à la Tour Trump de New York, de Paradise Island à Miami, de Zurich à Zoug, et maintenant bien au delà en direction du Golfe Persique. Elle a reçu la coopération des polices anglaise et suisse.

Toujours en poste mais dans la tourmente :

Issa Hayatou. Son nom apparaît fort opportunément sur cette dernière liste de dirigeants corrompus possibles. Battu par Blatter lors de l’élection en 2002, au Congrès de Séoul, cet ancien professeur d’éducation physique camerounais a remporté des compétitions d’athlétisme (400 m et 800 m). Il est également membre du CIO et président de la CAF.
Toujours selon Andrew Jennings, décidément très fin connaisseur de la FIFA, de ses rouages et surtout de ses magouilles, l’homme fort du foot africain aurait notamment reçu, en 1995 déjà, un paiement en cash de 100’000 francs. Sans compter les versements dans le cadre de l’affaire ISL (encore une !).  Au total, 175 transferts illégaux – représentant un montant de 100 millions de dollars – auraient été effectués par ISL au profit de hauts responsables de la FIFA, entre 1989 et 1999, dont le Camerounais.


175 transferts illégaux représentant un montant de 100 millions de dollars auraient été effectués par ISL au profit de hauts responsables de la FIFA


Issa Hayatou (ici à gauche), au coeur de la tourmente 

La crème de la crème : Julio Grondona

Le «Sénior vice-président» de la FIFA était un modeste joueur de football argentin. Son père tenait une quincaillerie dans une banlieue de Buenos Aires. En évoquant son parcours, la rare presse argentine qui ose égratigner le personnage a titré : «Un portrait de l’horreur». Depuis 30 ans Don Julio dirige en effet le football argentin avec la poigne d’un despote. Il a  lui même percé à l’ombre de la dictature militaire du Général Videla. En huit mandats présidentiels, il n’a connu qu’une seule fois un candidat d’opposition… Le président du Racing Avellaneda qui a fait faillite quelques années plus tard.  
En Argentine, copinages et népotisme parsèment le règne de Grondona, qui avait aussi phagocyté les droits TV dans son pays (contrat de… 29 ans à Torneos y Competencias (TyC).  Beaucoup de procureurs et de juges d’instructions argentins ont déjà tenté de démêler l’échevau. Jamais, Grondona n’a fini devant un tribunal.
Dans le moteur de recherche Google, en tapant juste Grondona et corruption, 578’000 résultats apparaissent. Don Julio est aussi le tout puissant No 2 de la FIFA et il est surtout président de la commission des finances. Ne serait-ce pas lui, en réalité, le vrai boss qui manoeuvre et tire toutes les ficelles en coulisses ?


Sur Google, en tapant juste Grondona et corruption, 578’000 résultats apparaissent

En 2006 à l’instar de Warner, Grondona s’est enrichi lui aussi avec la revente des tickets d’entrée reçus gracieusement de la FIFA. Mais il n’a jamais été pris la main dans le sac. Juste un peu plus malin que ses camarades. Népotisme oblige, ses deux fistons gravitent dans le giron du football argentin et sud-américain. Après plusieurs années de galère en qualité d’entraîneur dans divers clubs du continent sud-américain, entre le Pérou, le Mexique et quelques clubs argentins, Humbertito tient désormais un «rôle prépondérant» dans la nouvelle structure de la formation au sein de l’AFA. Son frère, Julito, est, quant à lui, président d’Arsenal Sarendi, club fondé par le papa en 1957 et dont le stade situé dans la banlieue de Buenos Aires porte bien sûr le nom du «parrain».
Les enquêtes sur tout ce beau monde suivent leur cours et Andrew Jennings est au taquet sur chaque dossier. Foi d’Ecossais, il ne lâchera pas son os !
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

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2 Commentaires

  1. Du journalisme d’investigation comme on l’aime, avec scandales à foison.
    Merci CR pour cette série qui s’annonce passionnante et croustillante!

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