20 ans déjà : la mort tragique d’Andres Escobar

Nadine Crausaz était envoyée spéciale d’une agence de presse internationale à la Coupe du monde aux Etats-Unis, en 1994. Elle se souvient de l’onde de choc provoquée dans tout le pays et au sein de la délégation suisse – logée alors à Washington pour son huitième de finale contre l’Espagne – à l’annonce du meurtre d’Andres Escobar.

J’ai eu le très grand plaisir de rencontrer Andres Escobar à plusieurs reprises lors de la Coupe du monde aux Etats-Unis. Il est vrai que nous avions vite sympathisé. La première fois que je suis arrivée à l’hôtel de la délégation colombienne pour une conférence de presse, je me suis immédiatement dirigée vers lui. Il avait joué en Suisse, à Young Boys,et je l’ai interpellé tout de go en lui parlant en dialecte suisse-allemand: «No aleman !» avait-il répondu en rigolant. On a parlé fosse aux ours, röstis et foire aux oignons. Le ton était encore à la rigolade.Avec la Roumanie et les Etats-Unis, la Colombie faisait partie du groupe de la Suisse. Depuis des mois, elle était citée au rang de grande favorite. Les joueurs de la sélection étaient traqués en permanence par une impressionnante armada de journalistes complètement exaltés qui ne savaient plus quoi raconter pour se rendre intéressants.

«Quelque chose s’est cassé ce jour là»

Premier rappel à l’ordre cependant, gros coup de semonce même, avec une défaite inattendue lors de son premier match contre la fringante  Roumanie de Hagi et Popescu, le 18 juin. Mais la presse colombienne y croyait encore dur comme fer et n’en démordait pas: cette équipe-là, avec des étoiles comme Valderrama, Asprilla, Escobar et compagnie, allait devenir championne du monde! Au cours de chaque conférence de presse, Escobar s’échappait volontiers de cette cohue, de cette pression qui était devenue très vite insupportable, pour venir discuter au calme.


Photo prise le 23 juin 1994, lendemain du match contre les USA et son autobut fatal…

Le 22 juin, j’assistai au match Etats-Unis – Colombie, dans la tribune de presse du Rose Bowl de Pasadena à Los Angeles. L’ambiance était complètement survoltée dans ce chaudron où le thermomètre avoisinait les 40 degrés dans les gradins.
A la 34e minute, le sol s’ouvrit littéralement sous les pieds des Cafeteros, direction l’enfer. Andres Escobar venait en effet de marquer contre son camp, précipitant l’élimination des siens. Ce n’est que plus tard qu’on apprit que la veille du match, Maturana, le sélectionneur, avait dû annoncer en larmes au joueur Freddy Rincon que la mafia venait d’assassiner son frère au pays. Andres Escobar passa alors la nuit entière à consoler son compagnon de chambre, son ami. Drôle d’ambiance pour préparer un match capital pour la qualification en huitièmes de finales d’une coupe du monde!
Au lendemain de ce match cauchemardesque perdu 2-1, Andres Escobar ne s’était pas défilé devant ses responsabilités et s’était présenté à l’heure à la conférence de presse. Il m’avait inspiré une immense pitié. Pendant une heure, deux heures, des minutes qui parurent sans fin, dans une ambiance lourde et vite irrespirable, il resté assis là, prostré face à la presse colombienne, anéantie et face à la presse internationale, incrédule. Escobar faisait peine à voir et portait véritablement toute la misère du monde sur ses épaules. J’étais assise au premier rang, en face de lui. Nos regards se sont croisés plusieurs fois. Il cherchait un peu de réconfort, je n’avais qu’un sourire compatissant à lui offrir mais il était sincère.
Le 2 juillet, je me trouvais à Washington pour le huitième de finale de l’équipe de Suisse qui était opposée le jour même à l’Espagne. Dans la journée, je retrouvai Carole Ohrel-Chapuisat dans le lobby de l’hôtel pour un reportage très sympathique sur les femmes et amies des joueurs de la «Nati». Elle m’apprit alors qu’un joueur colombien s’était fait descendre, au sortir d’une discothèque à Medellin. Elle était choquée, bien sûr, mais ne se souvenait pas du nom du type. Je me mis sans tarder devant le poste de TV du bar de l’hôtel. Les images tournaient et retournaient en boucle mais mon sang, lui, ne fit qu’un tour.
C’était lui. Andres, ce joueur talentueux, ce gentleman si fair-play, capitaine de l’équipe de Medellin et de la sélection, tombé sous le feu d’un fanatique, d’un bras armé par les cartels des paris et de la drogue qui avaient perdu tant d’argent avec la cuisante désillusion de la Colombie.
A 27 ans, Escobar allait se marier et rêvait de revenir fouler les pelouses européennes, après son expérience en demi teinte sous le maillot du BSC Young Boys. A Los Angeles, on s’était promis un rendez-vous à Milan ou Munich ou ailleurs, dès qu’il aurait signé un contrat rempli de belles perspectives et de promesses.
Douze balles de pistolet-mitrailleur ont scellé son destin tragique. Le sentiment étrange que j’ai ressenti ce jour là, avec cette mort brutale et immonde, je ne saurais le définir. Mais quelque chose s’est brisé, définitivement tombé avec Escobar, sur la terre crasseuse d’un parking glauque de Medellin.

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3 Commentaires

  1. … témoignage très poignant.
    J’étais ado à l’époque, la coupe du monde était une fête pour moi. Je n’oublierai jamais cet autogoal et le destin tragique d’Escobar. Le foot peut rendre fou, les exemples sont malheureusement trop nombreux (Heysel, Hillsborough,…).

  2. replied: I had thought of that but have not had a prboelm with hotlinking yet. Anyway there is a me note on the footer now on the off chance I write anything worthy of being borrowed.

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