Plus rien ne Lleyton

On vous prévient tout de suite, si vous avez moins de 30 ans et que le tennis australien ne vous fascine pas autant que nous, ce qui va suivre risque de vous être aussi étranger que la notion de victoire à un joueur du FC Ineos ou une bonne note à un étudiant en mathématiques. On veut évidemment parler de l’inénarrable et non moins immense Lleyton Hewitt, l’homme qui a profité du trou noir intersidéral suivant la domination sans partage de Pistol Pete et du Kid de Las Vegas sur les nineties pour empiler les trophées pendant trois ans au début du XXIe siècle. Il s’agit naturellement ici de surfaces civilisées et non de terre battue, Dieu soit loué. Le fait que le très jeune Roger Federer brisait plus de raquettes que de carrières (Andy Roddick, si tu nous lis…) à l’époque, la propension de Marat Safin à suivre plus souvent Marc Rosset au Macumba que sur les terrains d’entraînement ainsi que le mental en carton de Juan Carlos Ferrero n’ont probablement pas fait de mal à la mobylette australienne non plus. Ce brave Lleyton donc, dont la deuxième balle de service n’aurait pas été reniée par Elena Dementieva herself en son temps, est (encore) de retour. Oui, encore, car après avoir pris sa retraite à peu près douze fois depuis le 21 janvier 2016, date de son dernier simple officiel sur le circuit, « Rusty », à l’image de son jeu de fond de court, est parvenu à gratter une énième wild card à Wimbledon, en double avec son jeune padawan Jordan Thompson. Ça tombe bien, le retour, c’est son meilleur coup. Retour donc en quelques épisodes sur la carrière du Andre Agassi du pauvre, le Rocky Balboa des kangourous poids plumes, celui qui est passé de paria à vieux sage dans son pays en l’espace de 20 ans.

Hewitt fait bien fait

On entend déjà les mauvaises langues (parmi les quatre trentenaires et plus qui n’ont pas encore abandonné la lecture de cet article) qui s’étonnent du fait que la carrière de celui qui aurait fait passer Nick Kyrgios pour un enfant de chœur dans son adolescence s’est bel et bien terminée en 2016 et non 12 ans plus tôt comme semble en témoigner sa feuille de statistiques. Lleyton Hewitt, c’est 30 titres en simple (dont deux Grands Chelems et deux Masters) et deux ancêtres de la Laver Cup Coupes Davis entre 1998 et 2014, mais il est vrai que 23 desdits titres ont été glanés lors des sept premières années de sa carrière (dont 11 pour les seuls ans de grâce 2001 et 2002). Les récompenses empochées durant les deux tiers restants de sa vie tennistique font plus penser au nombre de conquêtes accumulées par Marat Safin (encore lui, entre deux soirées au MAD) en une semaine à Melbourne (vous vous souvenez certainement de ses nombreuses « cousines » blondes dans les tribunes) qu’au tableau de chasse d’un caïd de la petite balle jaune. Mais franchement, quand on peut faire la teuf raquette au poing avec Marcos Baghdatis – encore un frais retraité – sur la Rod Laver Arena jusqu’à passé 4 heures du mat’ un lundi de 2008 et faire rêver les tâcherons du monde entier en compensant des coups presque aussi suspects qu’un tweet d’Agnes Ceringhelli par un cœur « gros comme ça », qui a besoin de (faire les) gros titres?

L’ex-n°1 mondial dans son royaume du Queen’s Club de Londres (4 titres entre 2000 et 2006) en 2013.

Il en fait d’Lleyton

On se souvient de la casquette à l’envers, des « Come on ! » vengeurs sur double faute adverse et du fameux « vicht » cher à Niclas Kroon et Mats Wilander qui avaient choqué l’establishment bien-pensant du tennis mondial, des allusions racistes (mais surtout dopées à l’adrénaline du moment) à l’encontre de l’infortuné James Blake à l’US Open 2001, ou encore la même année à Roland-Garros, lorsqu’un juge de ligne se voyait qualifié d’ « handicapé mental » après une supposée erreur d’appréciation. Tous les attributs de l’anti-Pat Rafter, serveur-volleyeur et good mate par excellence. Malgré tout, quelques anecdotes autrement plus savoureuses que ces dérapages incontrôlés qui sentent plus l’acné juvénile que la carte de membre du KKK sont malheureusement tombées dans l’oubli. Comme celle qui met en scène ce gamin de 18 ans, natif d’Adélaïde et futur plus jeune n°1 mondial de l’histoire et son adversaire russe, à qui il rend sept ans et deux couronnes majeures, un dimanche de septembre 1999 à Brisbane, en demi-finale de Coupe Piqu… euh de Coupe Davis. Yevgeny Kafelnikov, puisque c’est de lui qu’il s’agit, promet à son jeune adversaire une leçon. Trois sets expéditifs plus tard en sa faveur, c’est Hewitt qui dépose une grosse coupure sur la table de sa conférence de presse, pour (pas vraiment) humblement payer sa leçon. On vous parie que « Kafel », devenu joueur de poker professionnel depuis, n’a pas oublié ce coup de bluff, lui qui avait déclaré un jour en sortant de son jet privé que les joueurs de tennis ne gagnaient pas assez (pourboire de professeur non inclus, on imagine).

Hewitt à une période où il signait plus d’autographes que de victoires (Newport, 2012).

Dr. Lleyton & Mr. Hewitt

Hewitt côté face, c’est aussi des titres qu’aucun membre du Big Four (moins les deux hanches d’Andy Murray, on doit en être au Big Three And A Half en comptant large aux dernières nouvelles) ne gagnera jamais. Quoique, ne nous avançons pas trop, ils ont encore un Djoker à jouer. En effet, en 1999, le magazine australien « Inside Sport » et ses lecteurs élisent leur champion prépubère « sportif le moins admiré de la planète ». En 2006, c’est au tour de « GQ » de l’inclure dans sa liste des 10 athlètes les plus détestés alors que quelques mois plus tard, c’est toute l’Argentine, le bon (vivant) David Nalbandian, la brute Juan Ignacio Chela et le truand Guillermo Coria en tête, qui décide de le prendre en grippe, malgré ses injonctions répétées (un refrain en somme) de ne pas pleurer pour lui. C’est donc d’autres fluides que Chela envoie à la figure de son adversaire pendant leur rencontre de l’Open d’Australie 2005, le tout couplé à quelques éructations verbales on ne peut plus cordiales échangées avec le plus fourbe des finalistes malheureux de Roland-Garros (Coria donc), ce qui incitera Hewitt à solliciter la présence de six gorilles pour déambuler dans la jungle urbaine de Buenos Aires l’automne suivant.

Lleyton côté pile, c’est un sympathique vétéran tout à coup respecté de tous ou presque, même si Bernard Tomic, qui finirait dernier d’une partie de Scrabble dont les deux autres participants seraient Franck Ribéry et Donald Trump, vous dira probablement le contraire. Le vénérable ancien transmet sa sagesse à travers le capitanat de la sélection australienne de la défunte Coupe Davis et le mentorat de la nouvelle génération « Aussie » emmenée par Alex de Minaur, son poulain principal, comme si les scandales du passé avaient été effacés d’un coup de semelle, à la manière d’une trace sur la brique pilée. Aaron Timms, journaliste au « Guardian » et apparemment adepte des formules mesurées, va jusqu’à le décrire comme « un ancien Staline moins létal devenu câlin » (« a cuddly, benign former Stalin »). Comme quoi il y a de l’espoir pour nos amis Tomic, Kyrgios ou encore Benoît Paire, tant au niveau de l’échelle des bourdes et autres activités extracurriculaires complètement foireuses qu’au niveau de la réhabilitation miracle (bon OK, pour Tomic père et fils ça a quand même l’air foutu…). Et dire que d’aucuns se plaignent de jets de chaises et de déclarations un tantinet piquantes sur les réseaux sociaux. Imaginez le profil Instagram potentiel de Lleyton Hewitt l’année de sa majorité en 1999…

Lleyton Hewitt et son partenaire de double Jordan « Jean-Claude Dusse » Thompson (qui ne peut clairement pas tout miser sur son physique) à Sydney en 2019.

Rustygraben

Comment terminer un article sur celui que ma grand-mère (qui doit être la seule à avoir tenu jusqu’ici, soyons honnête) surnomme « l’agité du bocal » sans mentionner sa rivalité à deux vitesses avec son contemporain et locomotive de son époque, Rodgeur, sur les rails du succès ? Peu de joueurs peuvent se targuer d’avoir mené un jour 7 victoires à 2 face au Swiss Maestro (à part Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom et ses bouteilles bien alignées, à peu de choses près) et d’avoir ensuite pris 15 volées de bois vert consécutives avant de finir par remporter les deux dernières finales les opposant en carrière. Le regretté Vitas Gerulaitis avait dit un jour de 1979, ayant enfin battu Jimmy Connors après 16 déconvenues, « Personne ne bat Vitas Gerulaitis 17 fois de suite » (Robin Soderling avait aussi tenté le coup avec le succès très relatif que l’on sait…). Apparemment pour Lleyton Hewitt le chiffre magique est 15. Un peu comme le nombre de titres majeurs gagnés par les membres successifs de la #NextGen sur playstation. Ou encore celui de wild cards que le roquet d’Australie Méridionale risque encore d’accepter à Wimbledon, entre deux auto-sélections en qualité de capitaine-joueur d’ex-Coupe Davis, avant de définitivement raccrocher en 2034, année du 27e sacre de Rafael Nadal à Paris et de la 600e semaine de Roger Federer sur le trône du tennis mondial.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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