Le syndrome de Stockholm

Suisse-Suède. Le classique des classiques. Une rivalité avec autant de suspense qu’un Nadal – *insérez le nom d’un joueur de tennis de votre choix* sur terre battue lors des 16 dernières années. Les deux équipes se sont affrontées 23 fois en match officiel (non, on ne comptera pas les amicaux joués en novembre avec les moins de 14 ans) depuis 1998 avec un bilan de 21 victoires suédoises, dont deux en finale des championnats du monde 2013 et 2018. Tiens, 2018, vous vous souvenez ? L’année du fameux « quintathlon » des déroutes mortifiantes. Un enchaînement typiquement scandinave curling-hockey-football-tennis-unihockey à ne pas confondre avec le pentathlon moderne, qui fait nettement moins quinter. Bref, pour vous préparer à d’autres déculottées cuisantes cet été (en huitièmes de finale de l’Euro par exemple), on a décidé de verser un peu d’acide chlorhydrique sur une double fracture ouverte en vous narrant un bon vieux duel helvético-nordique de premier tour de grand messe mondiale. L’ambiance d’un mardi soir en pleine saison des pluies ne fait qu’y ajouter quelques kilos de sel bienvenus.

L’homme du match

Mārtiņš Staķis. Le maire de Riga s’est permis de moucher René Fasel et ses sbires presque aussi proprement que le sort qui allait être réservé aux compatriotes du président de l’IIHF quelques heures plus tard sur la glace. Le drapeau de la Biélorussie qui flottait en ville en compagnie des couleurs des autres pays participant aux joutes mondiales a en effet été remplacé par celui des opposants au régime.

L’IIHF associée à un mouvement épris de liberté et de démocratie ? Jamais !

On comprend que le meilleur pote de Loukachenko (qui en est à son sixième mandat de 4 ans à la tête de l’IIHF, en général réélu à l’unanimité et sans opposition, comme il se doit) en ait gros sur la patate de devoir organiser ses derniers championnats du monde dans un pays progressiste qui peut notamment se targuer d’être le numéro 1 mondial du respect des droits des femmes. Heureusement que la Coupe du monde de football au Qatar est maintenue, histoire de préserver la réputation sans tache d’au moins un de nos chastes, purs et honorables compatriotes dirigeants de fédérations sportives internationales.

Aussi René Fasel: « L’IIHF est une organisation apolitique. »

La buse du match

Leonardo Genoni n’est d’ordinaire pas un peintre, bien au contraire. 4 buts encaissés en 2 tiers (dont 3 excessivement évitables) et puis s’en va. On relèvera au passage qu’outre le portier du EV Zug, 10 autres joueurs suisses présents à Riga étaient déjà sur la glace lors du traumatisme de Copenhague en 2018. Force est de constater qu’il y a encore pas mal de boulot pour évacuer ce qui peut littéralement être qualifié de syndrome de Stockholm.

How it started (How it’s going)

Le tournant du match

Il est intervenu bien avant le premier face-off. Apparemment, deux victoires contre des nations plus que prenables suffisent à inciter notre équipe nationale à se lancer dans la culture du melon à grande échelle. Fort heureusement pour Hischier et ses coéquipiers, leurs adversaires suédois se sont chargés du démontage de l’amour propre helvétique pièce par pièce, dans la plus pure tradition mobilière locale.

Zoom sur le plan de jeu du coach Johan Garpenlöv.

Le geste technique du match

Réussir à passer du record négatif moderne de 4 tirs cadrés concédés contre le Danemark et ses experts en catenacciø local à 7 goals encaissés en 27 tentatives adverses, c’est très fort. Surtout lorsqu’on est opposé à une formation qui a réussi à en prendre 4 face aux poètes du Jutland pas plus tard que samedi. On remerciera encore Steve Roth qui enfonçait le clou en fin de soirée en rappelant qu’au cours des 74 débâcles essuyées en 97 rencontres face à la source d’un véritable drame sportif national, la dernière fois que la Suisse avait capitulé à 7 reprises remontait au 14 février 1922 à Saint-Moritz. On imagine que la Saint-Valentin avait dû être particulièrement frisquette dans les chaumières grisonnes cette année-là.

Allez, une dernière stat pour vous remonter le moral.

Le geste pourri du match

La malchance, plus que de la maladresse, qui a semblé frapper Grégory Hofmann, de très loin le moins mauvais joueur suisse à l’œuvre hier soir. Figurez-vous qu’après avoir manqué la cible aussi souvent que possible et aussi largement que nécessaire, le Jurassien a même réussi à ne pas se faire élire homme du match à la fin. Quand ça veut pas…

Le chiffre à la con

Zéro. Comme le nombre de défaites combinées de la Tre Kronor face à ses deux premiers adversaires danois et biélorusses au cours des 101 ans d’histoire des championnats du monde. C’était avant le 22 mai 2021. Depuis, les hommes de Heinz Ehlers et ceux du fraîchement naturalisé Shane Prince ont tous deux vaincu le signe indo-scandinave. Du coup, les doubles champions olympiques et 11 fois sacrés au niveau mondial en étaient également à zéro point avant d’affronter la Nati, 6 points et nouvelle immense favorite du tournoi en compagnie des monstres sacrés que sont la Slovaquie, l’Allemagne et la Lettonie.

P.S. On ose quand même ajouter que battre une équipe de Suède dont seuls 5 membres de la liste des 27 évoluent en NHL, dont le capitaine est un actuel locataire de la Patinoire des Vernets et dont le seul Klingberg qui a daigné faire le voyage ne s’appelle pas John, c’est un peu comme éliminer Björn Borg, ses 37 ans, sa raquette en bois et ses 8 ans d’inactivité au premier tour de Monte Carlo 1993. Non, on n’avait pas le coeur à utiliser un exemple helvétique (beaucoup) plus récent.

Bon, on avait fièrement pondu le petit paragraphe ci-dessus avant de voir les M21 du Canada (et pas une sélection de leurs meilleurs jeunes hein, plutôt ceux qui n’avaient rien de mieux à foutre à ce moment de l’année) passer un rite d’initiation au monde des adultes plutôt douloureux face à une Mannschaft de vieux briscards. Du coup la sélection aux trois couvre-chefs royaux a soudain bien plus fière allure à nos yeux éberlués. Et on se dit aussi que le chaperon des juniors à la feuille d’érable, ce brave Adam Henrique, seul NHLer plus ou moins valable (et majeur) envoyé à Riga, est probablement mûr pour un rôle de grand frère aux Ticino Rockets la saison prochaine.

L’anecdote

On ne vous apprend rien, les Américains confondent la Suisse et la Suède. A voir l’inexplicable engouement helvétique pour l’Eurovision samedi dernier sur Twitter, ils n’ont pas tout tort. On retiendra surtout que pour 328 millions de personnes, l’identité de celui qui a pris 7-0 hier soir est peu claire. Et ça, c’est déjà une victoire.

Et sinon, dans les tribunes ?

Il n’y a décidément rien à sauver du match d’hier soir. Même les faux supporters suédois qui garnissaient les gradins ont semblé prendre le pas sur leurs homologues helvétiques, en tout cas en ce qui concerne leur nombre. Après une inspection méthodique selon des critères hautement rationnels dont Carton-Rouge a le secret depuis la nuit des temps, il est par contre tout à fait clair que les visages suisses choisis pour virtuellement décorer l’arène lettone étaient objectivement nettement plus beaux.

La minute Pierre-Alain Dupuis

On saisit cette opportunité pour vous dire à quel point on regrette l’absence de Sandy Jeannin et le challenge sémantique permanent qu’il propose au téléspectateur lambda de la RTS. Son remplaçant, Félicien Du Bois, est on ne peut plus décevant pour l’instant. Pas un abus de langage, pas une expression écorchée, pas un lapsus. On dirait même qu’il s’améliore à chaque sortie. Quel gâche-métier.

Bon OK, on a quand même cru entendre en avant-match que la Suède avait l’air quelque peu démobilisée aux yeux de notre sagace duo de commentateurs.

La rétrospective du prochain match

La Suisse affrontera la Slovaquie demain après-midi. Tant que les gars d’en face ne décident pas de jouer en jaune et bleu, ça devrait aller.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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