On dirait le Sud

C'est un endroit qui ne ressemble pas au Canada

Vous vous souvenez du moment où Genève et Biou sont arrivés en finale du championnat suisse et le reste de l’Helvétie aurait préféré s’inscrire au championnat du monde de baignoire de vitesse plutôt que de s’infliger ça ? Figurez-vous qu’il se passe la même chose en ce moment au nord de la Mason-Dixon Line et plus précisément du côté de Toronto, Montréal et St. Paul, hauts lieux du hockey sur glace de la première moitié du XXème siècle et risées du sport mondial depuis. Enfilez vos tongs, sortez votre licorne gonflable et mouillez-vous la nuque, on vous explique tout ça en léger différé spatio-temporel de Vegas, pied-à-terre de Céline Dion et temple his-to-ri-que du hockey depuis 2017, où se déroulait l’Acte II de la finale de Conférence Ouest entre les Stars et les Golden Knights.

Un brin de contexte

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Immersion en live dans le vestiaire des Stars, ignorés au moment de nommer les finalistes pour les prix individuels de NHL en début de mois.

Enfin ! On ne l’attendait plus ! Non, on ne parle pas de la condamnation de Nicolas Sarkozy ni du forfait de Rafael Nadal pour Roland-Garros, même si ces deux annonces nous emplissent de joie. Il s’agit bien ici du vent nouveau qui souffle sur la NHL (et qui est probablement responsable des nuages qui couvrent nos pauvres chefs européens pendant cet horrible mois de mai).

Vous n’avez pas suivi les playoffs en Amérique du Nord ? C’est le moment ou jamais de vous y mettre ! En résumé ça donne ça: reliez les villes de Dallas, Las Vegas, Sunrise et Raleigh – quartiers généraux des quatre derniers survivants dans la course à la Coupe Stanley – sur votre mappemonde et vous verrez apparaître un immense doigt d’honneur dirigé vers les bureaux ontariens et new-yorkais de la NHL. C’est que voir quatre états plus réputés pour leur traitement pour le moins suspect de la mémoire de la Guerre de Sécession, leur absence d’impôts, de précipitations et de températures négatives et leur amour inconditionnel des armes à feu que pour leur maniement de crosse, ça fait un peu tache vu de l’Ontario, du Québec ou encore du Minnesota. Surtout à travers les yeux larmoyants de propriétaires de franchises n’ayant pas gagné de trophée depuis respectivement (à prononcer avec un accent de cadre à la PC) 1967, 1993 et, euh… ah ben jamais. Bref, autant vous dire qu’on préférerait crever la gueule ouverte que célébrer le hockey méridional du côté de #WeTheNorth et autre #StateOfHockey.

Le pire cauchemar de la National Hockey League, chantre du #HockeyVrai devant l’Eternel, s’est matérialisé.

La situation dans les séries

Avant le match qui nous occupe, on en était à 2-0 dans la série entre les Panthers et les Hurricanes en faveur des premiers cités avec notamment un Acte I qui s’était terminé à 2 heures du matin heure locale, à 12 secondes de la fin de la quatrième période de prolongation. On se rappelle avoir consulté Google Maps après la rencontre pour savoir si les travaux de la patinoire du Trèfle Blanc, de l’A9 valaisanne ou encore de la gare de Lausanne étaient arrivés à leur terme entre-temps. On n’a par contre pas pris la peine de se connecter au site de L’Equipe, puisque l’espoir qu’un Français regagne un jour son Grand Chelem local est aussi maigre qu’Amy Winehouse en 2010.

En ce qui concerne les petits hommes verts de Pete DeBoer, tout se passait comme prévu: défaite en prolongation à l’issue de l’Acte I, exactement comme lors du premier tour face au Minnesota Wild (victoire en 6 matches après avoir été mené 0-1 et 1-2) et du deuxième tour face au Seattle Kraken (victoire en 7 matches après avoir été mené 0-1 et 1-2). Autant vous dire que malgré le verdict du corgi officiel de la ligue, on était assez confiant avant la deuxième reprise du combat.

Le fameux Cabot Sefolosha dans ses oeuvres.

Le match en deux mots

Sun Belt

On se tue à vous le dire, toutes les équipes présentes dans ce final four sont issues de cette région qui s’étire entre la Californie et la Caroline du Nord en passant par le Nevada, le Texas et la Floride et dont le climat varie entre méditerranéen, désertique et tropical. Au grand désespoir de nos lecteurs les plus bigots, on ne peut malheureusement pas parler de derby de la Bible Belt puisque cette zone connue pour son progressisme et sa tolérance de l’altérité sans bornes s’arrête au Texas en ce qui concerne sa frontière occidentale. Les limites de cette ceinture biblique ont d’ailleurs l’étrange particularité de se calquer à peu de choses près sur celles des Etats Confédérés entre 1861 et 1865, mais ça doit vraiment être une coïncidence.

Les trois étoiles du match

⭐️ L’horaire du match prévu à… midi heure locale. L’occasion pour nous de voir une première rencontre de playoffs en live cette saison. A la quinzième sortie des Stars dans cette spécialité, mieux vaut tard que jamais (et au vu du score, on regrette un peu de n’avoir pas assez considéré l’option « jamais »).

⭐️⭐️ Miro Heiskanen. Après l’ouverture de sa pommette lors de l’Acte III face au Kraken, celle du score pour Dallas (3ème minute). Présent sur la glace pendant le minimum syndical de 28 minutes, le prodige finlandais serait finaliste du Norris Trophy de meilleur défenseur de la ligue tous les ans si ladite breloque était bel et bien décernée au joueur défensif le plus complet et non pas au meilleur pointeur.

⭐️⭐️⭐️ La triplette Stone – Marchessault* – Stephenson, auteurs de 6 points (et pas de suture contrairement à Heiskanen). Non, la victoire de Vegas ne doit pas tout à Ryan Suter (mais presque quand même).

*En plus de faire tout ça, il patine, preuve d’une belle mobilité du bas du corps.

Le tournant du match

Intouchable, Ryan ? Nooooooon.

Le shift de Ryan Suter, digne d’un film d’horreur doublé en langage des signes haut-valaisan, à la 58ème minute. La pire décision prise par un GM depuis la signature de Sandro Zangger au LHC en 2017 ne se contentait pas de balancer le puck n’importe où par le truchement de la bande alors qu’il n’y avait aucun danger, mais il décidait aussi d’oublier de suivre Jonathan Marchessault à qui on n’avait pas besoin de faire la courte Eichel pour crucifier Jake Oettinger à bout portant. 2-2, prolongation. Inutile de vous dire que 72 secondes ont suffi à Vegas pour finir le travail face à une équipe qui a désormais un différentiel de 0-4 en temps supplémentaire depuis que les séries éliminatoires ont débuté.

On n’aurait pas dit mieux.

Le slapshot en pleine lucarne du match

Il appartient à Pete DeBoer, head coach des Golden Knights pendant trois ans avant de revenir à la raison, qui avait décidé de prendre le risque forcément payant de laisser Suter fouler la surface gelée pendant 24 minutes. Pas besoin d’être un dieu des maths pour comprendre que la probabilité de le voir faire une immense connerie était au moins aussi haute que la réplique de la Tour Eiffel jouxtant le casino hôtel Paris Las Vegas. Bravo, Pete, vraiment.

On félicitera également le cousin très éloigné de Frank et Ronald pour la stratégie de repli total appliquée après le 1-2 de Jason Robertson à la mi-match. Se mettre en mode full-Rick Bowness (lisez Heinz Ehlers si vous êtes plus familier avec le hockey sous nos latitudes qu’outre-Atlantique) à ce moment de la saison avec les résultats que l’on sait, ça mérite presque une nomination au Jack Adams Award du meilleur coach de la grande ligue.

Le vieux rotoillon en cloche du match

Chaque puck touché par le pauvre Thomas Harley. Le défenseur canado-américain de 21 ans, présenté comme une partie du futur de la franchise texane à la ligne bleue, a décidément connu l’une des pires prestations de sa jeune carrière lors de ce deuxième acte (on en reparle plus bas).

Cela dit, savoir que le présent à cette même ligne bleue s’appelle Ryan Suter nous aide à relativiser un peu.

Les chiffres à la con

36.1716° N, 115.1391° W. Ce sont les coordonnées de Las Vegas, la ville la plus au nord (!) encore en course pour le titre le plus prestigieux du monde hockeyistique.

1993. Comme l’année de naissance des Florida Panthers et des Dallas Stars (délocalisation des Minnesota North Stars cette année-là), les franchises les plus anciennes parmi les quatre restantes. Oui, oui. Les Carolina Hurricanes ont remplacé les Hartford Whalers en 1997 alors que, on vous le disait plus haut, les Las Vegas Golden Knights ont été ajoutés à la ligue en tant que trente-et-unième équipe en 2017, quatre ans avant le Seattle Kraken, dernier né en date.

Les anecdotes

1) Agustino Arturo Maria Ferrari, dit Nino Ferrer, qu’on remercie du fond du coeur pour le titre de cet article, est enterré au cimetière communal de Montcuq. On imagine qu’on y a creusé un trou.

2) Au vu du scénario du match, on aurait d’ailleurs tout aussi bien pu titrer « Le monde est Stone », chef-d’oeuvre de la célèbre comédie musicale Dallas Starmania.

3) Nos lecteurs les plus finauds l’auront peut-être remarqué, on s’acharne la moindre sur le numéro 20 de l’équipe évoluant en victory green (oh la mal nommée !). Son patronyme aurait lui aussi pu donner lieu à quelques jeux de mots plus honteux les uns que les autres, mais malheureusement ce titre a déjà été utilisé récemment par un estimé collègue.

Direction l’Acte III en Ryan un peu jaune quand même.

Et sinon dans les tribunes ?

Il y a un truc infaillible pour repérer un contingent de supporters de Dallas dans une enceinte ennemie: bien écouter l’hymne national. Et notamment ces deux strophes: « Whose broad stripes and bright stars through the perilous fight » et « O say does that star-spangled banner yet wave ». Si vous entendez des zigues scander le mot « STAR(S) » à tue-tête à deux reprises, vous êtes fixés. 

En parlant de supporters, le plus grand hockyx de tous les temps était présent à la T-Mobile Arena. Mark Wahlberg, natif de Dorchester, Massachusetts et grand fan de Boston, mais aussi de l’enforcer des Detroit Red Wings Bob Probert dans son enfance s’était affiché sur Twitter en mars dernier avec un maillot des Stars floqué du nom de son pote, le fort prognathe Max Domi. Eh bien figurez-vous que l’acteur de The Italian Job, The Departed (qui a oublié ses échanges fleuris avec Alec Baldwin ?) et Ted s’était inscrit pour un petit boulot d’été dans son nouveau lieu de résidence dimanche soir.

Le test des alarmes est plus glamour dans le Nevada que dans le Pays de Vaud.

La minute Ryan Suter

Pour ceux qui ne suivent pas au fond, Ryan Suter est le pendant texan de Jonas Junland, notre victime habituelle dans cette rubrique. Sa dernière saison décente date de 2020 (dans le monde d’avant) et sa dernière accélération remonte à une époque où le nombre d’entraîneurs usés par Christian Constantin était inférieur à l’âge d’une conquête de Leonardo DiCaprio. Sa vétusté (38 ans), son contrat lunaire (3,65 millions par an SUR QUATRE ANS*) et son rôle majeur dans l’alignement aussi indéboulonnable qu’incompréhensible en font le candidat idéal au naming de cette section.

Bref, aussi étonnant que cela puisse paraître, la minute Ryan Suter ne lui sera pas attribuée. Elle appartient à ses coéquipiers Dupont et Dupond, alias Harley et Hanley qui faisaient la paire en défense dimanche soir (voilà qui ne s’invente pas). Nos deux fins limiers ont réussi l’exploit de se faire sanctionner pour deux pénalités différentes sur le même shift, provoquant ainsi une double supériorité numérique adverse. On ne savait même pas que c’était possible. Nos deux policiers étant en prison (un comble), c’est évidemment le moment que Mark Stone a choisi pour égaliser (1-1, 11ème). On vous rassure, Suter était sur la glace au moment du sinistre.

*Ça nous rappelle vaguement quelque chose, un club qui engage des joueurs en perdition à des prix largement au-dessus du marché et pour des durées absurdes, mais on n’arrive pas à mettre le doigt dessus… Si quelqu’un a la réponse, n’hésitez pas à nous écrire à info@carton-rouge.ch.

La rétrospective du prochain match

What happens in Vegas stays in Vegas. Soit. Mais il va quand même falloir embarquer pour Dallas, théâtre des Actes III et IV de cette série. Et bien fouiller pour trouver un quelconque motif d’espoir de renverser la vapeur au vu du désert offensif local et du fait que Ryan Suter sera en état de tenir sa place. On risque de devoir creuser tellement profond qu’on mettra peut-être même la main sur l’amour propre de Paolo Tramezzani, porté disparu depuis de longues années. Voire même l’intégrité de Joe Veleno, allez savoir.

P.S. On pourrait aussi se raccrocher au pronostic du corgi qui voit les Stars égaliser avant de perdre la série en 7 matches, c’est mieux que rien.

 

Crédit photographique: 

Ryan Suter : Lorie Shaull/CC0/Flickr https://www.flickr.com/photos/11020019@N04/31850907827/

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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