LHC : Alea jacta est

Ainsi donc, le sort en est jeté. Comme prévu, l’assemblée générale du Lausanne Hockey Club a décidé de tenter l’aventure et le grand saut dans l’inconnue que représentent l’annulation de toutes les actions actuelles et la remise du club à des repreneurs toujours aussi mystérieux. Car, ainsi que le président Lei Ravello l’avait clairement laissé entendre dans la presse le jour de l’assemblée, strictement aucun élément nouveau sur ce fameux projet de reprise et ses modalités n’a été dévoilé durant l’assemblée.

Les quelques sceptiques qui se sont hasardés à poser des questions se sont vus éconduire en termes plus ou moins courtois. Il y avait incontestablement de quoi décourager les actionnaires les plus dubitatifs, puisque de toute façon chaque interrogation se voyait répondre, sur différentes variations, «faites-nous confiance, le reste ne vous regarde pas».Le conseil d’administration a cependant cherché à obtenir l’assentiment le plus large possible des actionnaires par un savant mélange de promesses (obtention de la licence, renforts, retour en LNA, professionnalisme accru, fin des soucis de trésorerie, argent facile etc.) et de menaces (pas de licence, interdiction de participer à une hypothétique Ligaqualification, relégation en 1ère ligue, faillite etc.). Pour enfoncer un peu plus le clou, le directeur administratif Gérard Scheidegger, qui bénéficie encore de l’aura d’infaillibilité qui entoure tous les nouveaux dirigeants du LHC à leur arrivée, est venu appuyer son président. Enfin, dernier joker sorti de la manche du conseil d’administration, l’intervention, dont on doute qu’elle soit véritablement spontanée, de l’ancien président du club, Me Christophe Piguet. Les années de présidence de l’avocat lausannois n’ont pas été les plus exaltantes sur le plan sportif mais elles ont sans doute été celles où le club a été géré de façon la plus rigoureuse. Face à un tel rouleau compresseur, le baroud d’honneur du Golden Club, les anciens actionnaires majoritaires qui ont gardé quelques milliers d’actions, n’avait aucune chance. Pourtant, la solution proposée (réduire la valeur des actions actuelles à 1 franc et abandonner le reste du capital aux repreneurs) ne manquait pas d’intérêt et présentait sans doute moins de risques sur le plan juridique. Mais l’intransigeance (inexpliquée) des repreneurs rendait cette proposition impraticable. On ose espérer que le but de la manœuvre n’était pas uniquement d’éjecter définitivement les ex-hommes forts du LHC : il serait regrettable que les intérêts de tous les supporters actionnaires aient été sacrifiés uniquement sur l’autel de l’animosité entre anciens et actuels dirigeants du LHC.


Photo Pascal Muller

Les actionnaires ont donc dû se prononcer sur la reprise du club sans autre indication sur l’identité des repreneurs que la participation de Jim Koleff. Pourtant, on avait cru comprendre que le Canadien était venu à Malley comme consultant sportif, c’est-à-dire comme salarié du club. Un technicien, employé d’un club, qui en devient subitement l’actionnaire majoritaire, voire unique, ça ne te rappelle pas quelqu’un ? Chris McSorley, tu connais ? Si, comme le prétend une rumeur de plus en plus insistante, le satrape des Vernets est effectivement dans le coup, on comprendrait enfin pourquoi l’anonymat des repreneurs était si important.
La proposition du conseil d’administration (réduire le capital à 0, puis le ré-augmenter à 100’000.–, sans droit de souscription pour les désormais ex-actionnaires) a passé la rampe avec une majorité soviétique de 20’100 oui sur 22’828 actions représentées. Cependant, il convient de préciser que la démocratie actionnariale n’est pas tout à fait identique à la démocratie semi-directe du système politique suisse. En droit commercial, la majorité n’a pas toujours raison et il existe des règles qui permettent de protéger la minorité, aussi infime soit-elle, contre les abus de la majorité. Si un actionnaire minoritaire estime avoir été injustement lésé par une décision de la majorité, il peut toujours demander l’annulation de ladite décision devant un tribunal, à condition qu’il ait voté non lors de l’assemblée générale.
Or, on peut estimer qu’une action en annulation de la décision prise par l’assemblée générale du Lausanne HC du 19 février dernier aurait des chances raisonnables de succès devant un tribunal. On ne va pas entrer ici dans de longues considérations juridiques mais on se contentera de dire que deux des trois conditions exigées pour la suppression du droit préférentiel de souscription posent problème in casu (existence de justes motifs et surtout respect du principe de l’égalité de traitement). Par ailleurs, la décision de l’assemblée générale est en contradiction avec quelques principes généraux du droit de la société anonyme (proportionnalité, égalité, voir même éventuellement interdiction de l’abus de droit). Pour justifier une décision (la cancellation des actions), la plus radicale et la plus dommageable qui soit pour les actionnaires, le conseil d’administration devrait être mesure de prouver qu’il n’existait aucune autre solution moins dommageable pour les actionnaires, dans l’intérêt de la société (et non celui des repreneurs). Or, des solutions plus favorables aux actuels actionnaires, mais aboutissant au même résultat (le contrôle de la société par les repreneurs), existaient, comme par exemple celle proposée par le Golden Club. Ces questions étant extrêmement controversées, il est difficile de préjuger du verdict d’un juge. Néanmoins, il est certain que tous les actionnaires qui ont voté non lors de l’assemblée générale sont désormais légitimés à ouvrir action en annulation, dans un délai de trois mois. Le conseil d’administration a voulu passer en force, il aura désormais cette Epée de Damoclès sur la tête. Car, quelque soit son issue, l’incertitude et la longueur d’une procédure judiciaire ferait sans doute capoter le projet, avec les conséquences que l’on sait pour le LHC, puisqu’il n’existe aucune alternative.

On n’espère que l’on n’en arrivera pas là. Une action en justice ne serait à l’avantage de personne. L’éventuel quérulant serait désigné à la vindicte populaire comme fossoyeur du LHC, le jeu n’en vaut pas la chandelle, même pas pour le plaisir d’avoir raison ou de régler quelques vieilles rancunes. L’immense majorité des supporters a donné son consentement -pas forcément éclairé, vu le peu d’information à disposition – au projet présenté par le conseil d’administration. Aujourd’hui, malgré les doutes et les incertitudes, tout le club doit faire bloc derrière cette solution, parce qu’il n’y en a pas d’autre.
De son côté, le conseil d’administration et les nouveaux hommes forts du club, quels qu’ils soient, doivent comprendre que Lausanne n’est pas Genève. Dans la capitale vaudoise, les supporters ne seront jamais des clients qui iront au match comme au théâtre ou au cinéma, et dont ils se désintéresseront dès que le spectacle ne leur conviendra plus. On l’a encore vu lors du récent quart de finale contre la Chaux-de-Fonds avec, sur les trois matches, plus de 18’000 spectateurs à Malley, malgré une saison médiocre et un début de série raté. Le LHC n’est pas un simple divertissement comme un autre, il représente beaucoup plus que cela pour ses nombreux fans. C’est pourquoi les nouveaux dirigeants du club doivent rapidement donner des gages de leur sérieux et de leur compétence, pour apaiser les inquiétudes légitimes des supporters, sans l’adhésion desquels le projet en cours n’a aucune chance d’aboutir. Il ne s’agit pas d’offrir une récompense aux actionnaires pour avoir abandonné leurs actions, comme cela a été promis. L’important, ce n’est pas de recevoir 10% de rabais sur l’abonnement, un bon à la boutique ou deux entrées pour LHC-Coire, ce qui compte c’est de voir avancer les choses rapidement, malgré l’incertitude juridique qui va planer sur le club ces trois prochains mois : obtenir la licence, mettre en place des structures professionnelles, voir arriver des gens compétents (entraîneur, directeur sportif…), préparer une équipe compétitives pour la saison prochaine, voire même, si l’occasion se présente, pour la finale de LNB…

Alors, Messieurs les dirigeants et autres repreneurs, les actionnaires du LHC vous ont fait une confiance aveugle, malgré vos petites cachotteries, à vous de vous en montrer digne. Pour que le jour où les clés du club vous ont été confiées entre dans l’histoire du LHC comme le point de départ d’une grande aventure et non comme le début de la fin. Ce que vous réclamiez, vous l’avez obtenu, la balle est désormais dans votre camp.

Écrit par Julien Mouquin

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