Lettre ouverte à Stéphane Lambiel

Bon, autant vous l’avouer tout de suite, je n’aime pas les lettres ouvertes. Je veux dire, si j’ai envie d’écrire à quelqu’un, je le fais sous pli fermé parce que ça ne regarde que cette personne et moi-même (et éventuellement la brigade des mœurs), mais en tout cas pas le troupeau de vautours attirés par l’odeur du sang que vous êtes tous, oui tous, surtout toi.

Mais là, c’en est trop. Messieurs les brutes, messieurs les donneurs de leçons drapés dans votre pseudo-mâlitude empreinte d’arrogance, messieurs les pitres imbus de vous-mêmes, en vous attaquant à Stéphane Lambiel, dans divers médias et même dans le pourtant excellent CartonRouge.ch, vous êtes allés trop loin dans l’indécence et la petitesse.
Un homme respectable et sain d’esprit (moi en l’occurrence) se doit de réagir face à ces fourbes attaques. Je commence donc et silence au fond de la salle, je vous en prie :

Cher Stéphane,

Tu permettras que je t’appelle Stéphane et non pas «Le Petit Prince de Saxon», j’ai toujours eu ce genre de surnom en horreur et j’imagine bien que toi aussi, même si, diplomate comme je pense te percevoir, tu ne t’en offusques pas en public. Stéphane, disais-je, je dois avouer t’admirer beaucoup. Vraiment. Je n’ai pas pour toi cette admiration béate du public se pâmant devant tes «émotions partagées», tes «moments de bonheur communiés» et tes «sentiments offerts au public». Non, ça je le laisse à Christophe Passer, pitrissime rédacteur en chef de l’Illustré dont les analyses sportives sont à peu près comparables aux analyses d’urine de Jean-Jacques Tillmann (elles sont un résumé d’éléments assez bizarres et elles laissent peu d’espoir pour l’avenir).
Stéphane, j’ai vraiment envie de t’applaudir chaleureusement et de te féliciter sincèrement pour être parvenu à conquérir le titre de champion du monde de patinage artistique. Cette médaille, amplement méritée, est le fruit de multiples heures d’entraînement, de privations, de souffrances, d’abnégation. Ces mots, souvent galvaudés, prennent toute leur valeur lorsqu’ils sont utilisés pour définir ta performance. Tu as échoué face à plus fort que toi aux Jeux Olympiques, face à Evgeni Plushenko, si fort, si parfait, intouchable à l’heure actuelle. Tu es resté digne. Les médias voulaient faire de ce concours un duel, faisaient de Plushenko un rival de Lambiel alors que Plushenko n’est que le rival de lui-même. Tu ne t’es pas laissé griser, tu savais être moins fort que le blond patineur, tu ne t’es pas pris pour ce que tu n’étais pas. Tu n’as pas perdu l’or, tu as gagné l’argent et pour ça, mille fois, deux mille fois et plus encore, BRAVO !
Oui, bravo.
Vraiment.
Et là, la consécration. Les honneurs. Les embrassades. Le fendant. Les passages de la ville en décapotable. L’Enfant-Roi. Sonnez Hautbois résonnez machins. La gloire. Stéphane, on va y aller dans les clichés et tant pis pour le plagiat à Charlie Hebdo : ton drame, c’est que tu as été aimé par des cons. Des gens qui ne se sont pas rendu compte que ces exploits étaient le fruit de ton travail et que personne n’était à tes côtés lorsque tu t’entraînais un samedi matin à 6h30 à la patinoire communale de Saxon pendant que ces veaux étaient en train de cuver leur vendredi. Des gens qui se sont approprié ton image en décrétant que tu étais leur «gendre idéal», le «beau-fils que j’aurais aimé avoir» ou que sais-je encore comme pitreries. Ton seul tort, Stéphane, aura été de n’avoir pas su mettre un terme à ce cirque à ce moment-là et d’en avoir profité en surfant sur la vague du succès.
Difficile de t’en vouloir sur le moment, mais force est de constater que tu as laissé la situation dériver jusqu’au point où aujourd’hui, lorsque tu prends une décision qui ne regarde que toi, voilà que la meute s’élève en criant au traître. Mais Stéphane, la seule personne que tu aies trahi, c’est l’image qu’ils avaient de toi et de celle-là, tu n’es pas responsable, ou très peu. Tout le tort que je t’attribue tient dans ce «très peu», que tu me pardonneras, je l’espère.
Alors, maintenant, Stéphane, je t’en conjure, dis-nous clairement : «Lâchez-moi, je me suis construit tout seul, je n’ai pas besoin de vous, en quoi ça vous regarde», mais pitié, pitié, Stéphane, épargne-nous le couplet du petit prince trahi par ses émotions, qui n’a plus la flamme qui brûle dans son cœur tendre. Tu t’es battu pendant plus de 15 ans pour arriver là où tu es, tu ne dois rien à personne, tu es un athlète de très haut niveau, tu n’es pas le fils de la nation ou le fiancé de la Suisse. Tu es Stéphane Lambiel, champion du monde. Pas le gentil petit cocker bien dressé de Madame Helvétie.
Et ramène cette médaille d’or. Pas pour Mme Bolomey qui lit l’Illustré tous les mercredis, pas pour Carolina, pas pour ta voisine. Pour toi. Et toi seul. Et sérieusement, arrête de nous saouler avec tes états d’âme, pour ça je préfère le fendant, c’est bien moins écoeurant.
Timothée Guillemin

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