En voyage avec Gabriele, victime d’une nouvelle journée cauchemardesque pour le Calcio

Dimanche matin, station de service Badia al Pino, 200 km au nord de Rome sur l’autoroute qui mène à Milan. Gabriele Sandri, 28 ans, supporter de la Lazio en déplacement à Milan pour assister au match contre l’Inter, meurt d’un coup de feu au cou «accidentellement» tiré par un agent de la police routière. Cette mort, tragique et casuelle, a déclenché une série inqualifiable et injustifiable d’épisodes d’idiotie collective de la part des ultras (la partie la plus radicale, voire violente, des tifosi) contre les forces de l’ordre et les institutions sportives. Avec l’effet de remettre à nu toutes les failles d’un système de gestion du Calcio vieux, fragile, malade.

Rome, dimanche 11 novembre, 3h30. Gabbo DJ vient de terminer son travail aux platines du Piper, une des discothèques à la mode des nuits de la capitale. Chaque fois qu’il y joue il enflamme le dancefloor, il est plutôt doué et très prisé. En fait on raconte qu’il mixe même aux soirées privées des joueurs de la Lazio. Oui, les aigles blancs et bleus, l’autre passion de Gabbo, au siècle Gabriele Sandri, issu d’une famille de la bourgeoisie romaine. Cela fait un bail que Gabbo n’a plus suivi son équipe à l’extérieur mais demain il y a la première de la classe, on ne peut pas perdre cette occasion. Et pourtant Gabbo reste encore quelque temps au Piper en discutant notamment avec le gérant et ami Marco Bornigia (qui dira de lui quelques heures plus tard, non sans émotion, qu’il était «toujours souriant, très poli, presque timide, bref un garçon en or…»). De toute façon, il pourra dormir dans la voiture le lendemain…Autoroute A1, dimanche, 9h00. La Renault Mégane qui transporte Gabbo et quatre autres supporters de la Lazio s’arrête dans la station service Badia al Pino, près d’Arezzo. C’est la voiture fétiche qu’ils utilisent toujours pour aller suivre leurs idoles. Et dieu sait s’il faut s’accrocher à tout porte-bonheur vu les difficultés auxquelles l’équipe fait face depuis le début du championnat. Gabbo n’a pas vu le temps passer. On aime penser qu’il rêvait du match qu’il allait voir : est-ce que Rocchi et Pandev vont être assez inspirés, est-ce que le vieux gardien Ballotta (43 ans) va pouvoir racheter son erreur qui a couté le match face à la Fiorentina en refroidissant les ardeurs d’Ibrahimovic ? C’est à ce moment là qu’advient le maudit contact avec un groupe de supporters de la Juve… A 9h30, à 200 km au nord du Piper, le voyage pour Milan et la vie de Gabriele Sandri se terminent, brusquement. Il n’avait que 28 ans.


Gabriele Sandri, tué par un coup de feu dimanche matin

Il paraît qu’un début de rixe aurait eu lieu entre les supporters des deux équipes et qu’un agent de la police routière, qui se trouvait dans la station de service située de l’autre coté de l’autoroute, serait alors intervenu et aurait fait usage de son arme de service en tirant un premier coup en l’air. A ce moment là la rixe s’était déjà estompée d’elle-même, les supporters étant déjà rentrés dans leurs voitures. Gabbo, lui, y était certainement car un deuxième coup de feu parti du même revolver (le seul présent sur les lieux !) cette fois-ci à hauteur d’homme l’a atteint mortellement alors qu’il était assis à l’arrière du véhicule. Poisse, erreur tragique, oui, mais qu’est-ce qui motive un agent spécial avec 12 ans de formation à ne pas rengainer son arme alors qu’il court pour prendre note des plaques des véhicules ? Un témoin l’aurait vu tirer à bras tendus… La famille de Gabbo, l’Italie entière demandent une enquête claire, sans taches, comme par ailleurs assuré par le préfet d’Arezzo et une justice qui n’accordent aucun privilège.

Mesures insuffisantes

La nouvelle de la mort de Gabriele tombe comme de la foudre sur le ministère de l’intérieur et sur les dirigeants de la federcalcio (fédération italienne de football). Deux groupes de supporters, la police qui ouvre le feu… Ceci est matière pour l’Observatoire pour les affaires de sport, groupe crée expressément pour la prévention de la violence aux cours de manifestations sportives. L’Observatoire avait été une des mesures prise par les affaires intérieures au lendemain du tragique décès de l’inspecteur de police Filippo Raciti, le 2 février 2007, pendant les affrontements violents entre les supporters du FC Catania et des forces de l’ordre lors du derby sicilien Catania – Palermo.
Il manque seulement quelques heures avant le début des matches… Que faire ? On se dit (à l’Observatoire) que le match de février à Catane avait été anticipé au vendredi soir, que les affrontements avaient été violents, à proximité ainsi qu’à l’intérieur du stade et qu’il y avait eu tout le temps de prendre la décision de suspendre les autres matches du weekend (samedi 3 et dimanche 4, ndlr). Alors que la mort de ce jeune Romain n’est qu’un tragique fait divers, une erreur humaine, qui n’a rien à voir avec le Calcio, mis à part le début de rixe entre deux petits groupes de supporters…
Donc voilà, comme signe de respect l’Observatoire annonce le renvoi d’Inter – Lazio (c’est la Lazio qui le demande, on va le leur accorder, bonté divine…) et que les autres rencontres commenceront en retard de 10 minutes. Quelle erreur ! Quel manque de clairvoyance ! Quel manque de sensibilité ! Foutu compromis à l’italienne ! Il aurait fallu la force, l’autorité, de tout arrêter.


Rome en pleine guérilla urbaine

Le prétexte

Parce que si une comparaison entre les deux faits tragiques (Catane et station service sur l’A1) paraît impossible pour l’Observatoire du ministère ainsi que pour la plupart des lecteurs et des personnes de bon sens, cette association est loin d’être insensée dans la tête d’un ultra. Un ultra n’est pas un supporter comme les autres. En fait ce n’est même pas un supporter car il ne va pas au stade pour voir ou supporter les matches de son équipe mais pour libérer ses pulsions de violence, sa haine envers le monde, ses frustrations pour une vie qui ne lui réserve que des déceptions… Et il voit dans les forces de l’ordre l’ennemi juré qui l’empêche de «s’exprimer».
Cet ennemi juré s’est en plus bien organisé depuis quelques mois, depuis que cet inspecteur est mort, puisqu’on interdit à l’ultra l’accès à sa «salle de jeu» (le stade) avec des contrôles de plus en plus stricts (tourniquets, billets nominaux, black-list avec collaboration des vrais supporters). Certaines fois ces contrôles pénalisent même les vrais tifosi, qui ne peuvent plus suivre leur équipe à l’extérieur dans les matches «à risque» (voir Genoa – Milan, Roma – Napoli,…).
Mais le voilà le prétexte qu’il fallait à notre ultra : un ennemi qui meurt (l’inspecteur), tous les matches suspendus ; «un des nôtres» est tué par l’ennemi et on commence 10 minutes en retard ? Cela est suffisant, deux poids, deux mesures.

Vengeance, violence, destruction

Le bilan ressemble tristement plus à un bulletin de guerre qu’à une journée de championnat. A Bergame, les ultras (le visage lâchement couverts par les écharpes) ont défoncé les barrières de protection à l’aide d’un couvercle d’égouts (comment est-il entré à l’intérieur ?). A rien n’a servi la tentative de médiation du capitaine bergamasque Doni, le match Atalanta – Milan a dû être suspendu. Difficile d’oublier les visages en larmes des gamins dans les tribunes qui étaient venus pour admirer leurs idoles et sont rentrés avec ces images de vandalisme.
A Milan, le commissariat près du stade à été agressé avec des lancés de pierres, les vandales ont aussi attaqué quelques journalistes. A Rome les épisodes plus graves avec une véritable guérilla dans le quartier du stade Olimpico : 20 représentants de police et carabiniers ont été blessés, une caserne (il faut y aller !) ainsi que le siège du comité olympique italien (CONI) ont été attaqués ; voitures brûlées et même de pauvres officiers de la police de stationnement agressés.


Les restes d’une nuit d’émeutes…

Remèdes

L’interdiction de suivre son équipe à l’extérieur ne peut en aucun cas être une solution à long terme. Dans le commentaire à l’intéressant article paru dans le Coin polémique du 5 novembre, je disais qu’un moratoire sur le Calcio en général me paraissait une mesure inadaptée. S’il est vrai qu’il faut faire face aux problèmes de violence avec le maximum de rigueur, le Calcio, comme football joué, reste encore crédible et il faut à tout prix protéger le spectacle et ses supporters (spécialement les familles qui aiment aller au stade). Pour cela il faut s’inspirer d’autres modèles qui ont permis de réduire les épisodes de violence, grâce aussi à la collaboration très efficace entre les dirigeants des clubs et les institutions. En Angleterre, les clubs assurent le bon déroulement du match en déployant un service de sureté privé. La nouvelle de dernière minute est que depuis mars 2008, il sera obligatoire d’avoir des «stewards» (les bonhommes jaunes que l’on voit dos au match dans les stades anglais) de formation spéciale à l’intérieur et à l’extérieur des enceintes italiennes. Il aura fallu la mort de Gabriele Sandri, la 18ème victime des folies collectives dans le Calcio, pour arriver peut-être au début d’une vraie solution.
Ciao Gabbo, et que les aigles bianco-celestes puissent voler haut pour toi cette saison.

Écrit par Riccardo Accolla

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