La rafle du Vél’ d’Yves

Le cataclysme tant redouté vient de se produire, Fukushima peut aller se rhabiller. Plus tragique que deux tours new-yorkaises en mode Jenga, plus dramatique qu’une mitraillée générale sur une île norvégienne. Cette fois c’est arrivé, Yves Allegro va prendre sa retraite sportive. Mais que va devenir le tennis suisse sans son ambassadeur ? Nous sommes perdus, la fin est proche même si la relève pointe le bout de son nez.

Allez, gros ! Tu ne vas pas nous faire ça ! Ce 28 juillet 2011 sera marqué à jamais d’une pierre noire. Le stakhanoviste du cordage octogonal, l’artiste de la balle jaune, le contemporain du jeu de jambes éthéré, Yves Allegro le Grand, a décidé de déposer ses raquettes à la suite du barrage de Coupe Davis disputé aux antipodes. Avec la reddition du chevalier de Grône, la Suisse entière va pleurer l’un de ses plus illustres représentants. D’aucuns caressaient l’espoir de voir la Nation helvète soulever le Graal d’argent, ces desseins sont devenus chimères de par l’abdication d’Yves Allegro, laissant derrière lui une fiche impressionnante de 8 défaites en 13 matchs en double sous la bannière à croix blanche. L’or des JO 2012 de Londres s’éloigne également d’un coup d’un seul. Avec Stéphane Bohli, nul doute que les deux compères auraient eu les faveurs de la Fédération pour défendre le titre détenu par Stanislas Wawrinka et Roger Federer.Outre le Vaudois roux, qui ne touchera ainsi jamais l’or olympique, la seconde victime directe de ce renoncement est bien entendu Roger Federer lui-même, celui qui s’est toujours impliqué à 100% dans cette compétition, lui qui n’a jamais hésité à mettre ses intérêts personnels de côté en vue de sauver la Nation. L’homme aux records tout azimut ne pourra plus repousser les limites de l’humainement concevable en servant 124% de premières balles et effectuer -12 fautes directes par match afin de compenser les performances du Valaisan. Il va maintenant falloir relancer le projet de clonage de Rodg’ mais les considérations éthiques liés à ce projet rendent la réalisation compliquée. Il existe la solution alternative consistant à produire un Roger Federer en antimatière dans les travées du CERN, mais le risque que les deux entités ne se collisionnent – et donc qu’elles ne disparaissent mutuellement – est jugé trop grand. Autrement, le Rhénan ne pourra compter que sur Martina Hingis pour faire fumer les lignes blanches du central de Wimbledon en double mixte lors des Jeux anglais.
Il y a quand même quelque chose de surprenant au premier abord : c’est Swiss Tennis qui a émis le soin de travailler avec Yves Allegro et non l’inverse. En apprenant que le Valaisan va «essayer de redonner à la Fédération ce qu’elle lui a donné (sic !)», on se rend vite compte que Swiss Tennis ne va du coup pas obtenir grand-chose, quoique : en étant en charge des entraînements des tournois que les jeunes Federer en herbe de moins de 14 ans – ou alors les jeunes Alexander Sadecky – vont se farcir, il va falloir d’urgence filmer tout ça pour se faire une idée. Entre smashs dans le bas du filet, services «home-runs» et amorties liftées, le spectacle risque d’être garanti.
Mais ne vous méprenez pas : l’espoir n’est pas mort, vive l’espoir ! Avec un Stéphane Bohli clamant haut et fort que ses meilleures années sont devant lui, le tennis suisse deviendra souverain. Et que dire de l’apport du conquérant George Bastl, lequel n’a pas abandonné ses rêves de grandeur (glandeur ?) et l’idée de remporter un jour le tournoi de Gstaad en double ou celui de Bâle. Oui, George Bastl fait peur ! Ses adversaires sont avertis. Finalement, l’avenir du tennis helvétique est aussi limpide qu’un ciel bleu azur. Lorsque le «Maître» aura rendu son t-shirt Nike, la formation de Severin Lüthi aura certes quelques problèmes à se mettre dans le rythme, mais à plus long terme, le Saladier d’argent ne lui échappera pas. Marco Chiudinelli n’a que 29 ans et sa 221e place actuelle ne reflète pas son niveau de jeu virevoltant ; il vaut bien une 187e place. Michael Lammer a le même âge, mais lui aussi n’a toujours pas atteint sa maturité. Avec leurs arrivées dans le «Groupe Suisse», Chypre et l’Afghanistan n’ont qu’à bien se tenir.
Ensuite nous direz-vous ? Et bien ensuite, les jeunes espoirs poussent eux aussi au portillon. On a déjà évoqué le cas du futur numéro 130 en puissance Alexander Sadecky (24 ans/401e mondial), mais lui aussi est mis sous pression par des espoirs de niveau international. Adrien Bossel (24 ans/500e), Yann Marti (23 ans/638e), Henri Laaksonen (19 ans et déjà 826e !) et Raphael Lustenberger (22 ans/868e) ont chacun d’entre eux le talent pour rejoindre l’équipe nationale quand elle sera dans le groupe II de la zone Europe/Afrique. Et ce n’est pas fini, les Helvètes opérant un tir groupé aux alentours de la 1000e place avec entre autres Riccardo Maiga (1008e), Luca Margaroli (1009e), Yann Minster (1101e), Raphaele Hemmeler (1151e) Claude Benz (1179e), Roman Valent (1203e), j’en passe et des encore moins bons. Ce n’est pas tout : grâce à la myriade de très jeunes soldats qui poussent la porte du top-3600, l’avenir est aussi rose que le maillot du Évian-Thonon-Gaillard FC.
Remercions donc ici Yves Allegro de mettre sa carrière et ses défaites au 2e tour du Tournoi Challenger de s’Hertogenbosch entre parenthèses afin de se mettre au service d’une relève déjà si performante. Parce que quand même ! Un type qui a arraché trois titres en double (deux avec Federer, c’est vrai, mais quand même !) et dont le meilleur classement dans la discipline est un 32e rang, ça inspire le respect. Il y a sept ans, Yves défonçait les portes du Top-300 de l’ATP en simple de façon méritée. Malheureusement, en 14 ans de professionnalisme, il n’a pas réussi à retrouver ce niveau de jeu qui l’avait porté au 210e rang. En tout, le Valaisan a tout de même raflé 766’674 dollars sur le circuit. Pfff, on aurait dû faire du tennis…