Un Magic Pigeon

Comme c’est le cas à l’ATP depuis l’avènement de Novak Djokovic, Rafael Nadal et Roger Federer ont été condamné à se battre pour les places 2 et 3 à l’élection du Pigeon d’Or de février. Car Majid Pisyhar était intouchable, confirmant que président mécène d’un club de football romand, cela reste le plus sûr moyen de gagner un jour le précieux volatile.

L’été dernier, la presse unanime saluait le triomphe du football romand : on avait quatre clubs dans l’élite, dont un qui promettait la lune et le titre, un autre la Ligue des Champions et un troisième le titre en 2014 avant d’aller planter son drapeau dans tous les stades d’Europe. Les méchants Suisses allemands n’avaient qu’à bien se tenir, les heures de Bâle, YB et consorts étaient comptées, les génialissimes bienfaiteurs du foot romand allaient porter leur club respectif vers les sommets. En juillet dernier, j’avais écrit une série d’articles («Les supporters romands n’ont-ils aucune fierté ?») pour dénoncer l’inanité du modèle du président-mécène qui s’achète un club comme un jouet, cela m’avait valu une flopée de critiques de supporters aveuglés par les promesses mirobolantes et convaincus de l’infaillibilité et du génie de leur satrape. Forcément, toute critique ne pouvait être que pure jalousie devant le grandiose destin que Chagaev, Pishyar et Constantin préparaient pour leur club. J’avais conclu ainsi : «de la casse il y en aura et sans doute assez prochainement. Foot et hockey confondus, il y a au moins quatre clubs romands de LNA qui vivent actuellement au-dessus de leurs moyens, dépendent totalement d’un dirigeant imprévisible et n’ont aucun plan B en cas de retrait impromptu dudit dirigeant.»  

A priori, je n’étais pas si loin de la vérité : Wainach Xamax a sombré corps et âme, Servette United a déposé son bilan et son avenir est suspendu à une décision de justice et au succès d’une version footballistique du fameux Socle Grenat. Quant à l’Olympique des Avocats, il est devenu la risée de toute l’Europe, a regardé comme d’habitude l’Europa League à la TV, est bon dernier du championnat et, si la Ligue est cohérente avec elle-même, ne devrait pas recevoir de licence pour la saison prochaine puisqu’il a entrepris des procédures judiciaires prohibées par les règlements.

Pourtant c’était bien parti…

Le cas de Majid Pishyar est tout de même relativement singulier et se distingue d’autres fossoyeurs du football romand. Certes, on n’a jamais vraiment cru au personnage et il y a toujours eu pas mal de zones d’ombre sur une précédente faillite en Autriche, sur ses réelles motivations, sur l’étendue de son patrimoine, sur le rachat d’un autre club au Portugal ou sur l’une ou l’autre déclaration grandiloquente. Ceci dit, contrairement à d’autres, l’Iranien a débuté son mandat au Servette de manière relativement crédible : il n’a jamais paru s’immiscer dans les prérogatives de ses entraîneurs, il ne s’est pas auto-attribué des compétences footballistiques qu’il n’avait pas en se lançant dans des campagnes de transfert foireuses, n’a jamais semblé mû par le besoin irrépressible d’apparaître quotidiennement dans les médias, il a su s’entourer de gens compétents, à commencer par l’entraîneur Joao Alves, et n’a jamais fait exploser la masse salariale, ce qui d’ailleurs laisse aujourd’hui au club grenat une chance de survivre à Majid Pishyar. Si le succès sportif n’a pas été immédiatement au rendez-vous, on a pu croire un instant qu’il y avait un projet cohérent, notamment autour de la reprise de l’exploitation du stade, et que finalement Servette était peut-être tombé sur un bon numéro.

Comme un château de cartes

Paradoxalement, tout a commencé à se déliter avec la promotion, pendant que l’effigie du président à succès trônait magistralement sur l’écran géant du stade de la Praille. Alors qu’il aurait dû profiter de l’engouement du retour en LNA pour s’entourer et tenter de développer de nouvelles ressources, Majid Pishyar a fait le vide autour de lui. Puis le château de cartes s’est effondré à une vitesse à laquelle personne ne s’attendait. Cela a commencé avec les premières rumeurs de factures impayées et les revendications de créanciers lassés des promesses non tenues. Dans un premier temps, Majid Pishyar a tenté de mettre les difficultés du club grenat sur le manque de soutien de l’économie genevoise et sur des créanciers qui ne faisaient que réclamer leur dû et le droit de pouvoir payer leurs salariés. Mais rapidement, le président servettien va pointer aux abonnés absents et l’on va s’apercevoir qu’il ne reste plus personne aux commandes du navire grenat. Finalement, c’est le dépôt de bilan qui marquera la fin de l’ère Pishyar à Genève. L’Iranien n’ira pas planter le drapeau grenat dans tous les stades d’Europe. Et en plus, contrairement aux inénarrables Marc Roger et Joseph Ferrayé, lui ne nous aura même pas fait rire lors de la reprise du club ; Dominique Warluzel qui fait des théories savantes sur le professionnalisme dans le football suisse, c’était quand même moins cocasse.

Des glorieux prédécesseurs

Certes, si Servette évite la faillite, le bilan de Majid Pisyhar à Genève ne sera pas si négatif, on pourra mettre à son crédit le retour en LNA et un bilan déposé à temps pour éviter le pire. Car finalement, ce qui distingue le bon président mécène omnipotent du mauvais, c’est la faculté à réussir son dépôt de bilan, ça fait rêver. Christian Consantin avait gagné le Pigeon d’Or en 2007, Waldemar Kita en 2009 et Bulat Chagaev en 2011. Servette est donc le seul club romand de football de LNA qui n’a pas encore vu le sacre au Pigeon annuel de l’un de ses présidents, ce qui est tout de même assez incroyable, considérant la capacité du club grenat à sa vautrer régulièrement dans le grotesque et le vaudeville. A priori, Majid Pishyar est plutôt bien parti pour combler cette lacune.

En attendant, on lui offre déjà un accessit en lui décernant le titre de

Pigeon d’Or de février 2012

ce qui lui permet de rejoindre Pepe pour la finale du mois de décembre.


Election du Pigeon d’Or de février 2012 – résultat final :

1. Majid Pishyar : 315 votes – 38,6%
2. Rafael Nadal : 158 votes – 19,4%
3. Roger Federer : 90 votes – 11%
4. Mauro Pini : 71 votes – 8,7%
    Luis Suarez : 71 votes – 8,7%
6. Dereck Chisora : 60 votes – 7,4%
7. Goran Bezina : 51 votes – 6,3%


Total des votes : 816

Écrit par Julien Mouquin (texte) et Robert Johanson (dessin)

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7 Commentaires

  1. Non, non surtout ne change pas de job, Julien, ce genre d’article, moi j’adore, c’est tellement ça !

    Y en a beaucoup malheureusement, dirigeants et supporters confondus, qui ne savent pas ce que « établir un budget cohérent et s’y tenir » veut dire, les seconds totalement aveuglés par des promesses à court terme des premiers, tout ceci menant tôt ou tard inexorablement droit dans le mur !

  2. Article parfait sur un guignol qui a réussi à faire rêver des milliers de naïfs et événementiels genevois ! Fallait les entendre tous ces frontaliers encenser leur sauveur…

    Les vrais pigeons c’est eux, les Magic Grenats !

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