Saga des cartons rouges : 3 jaunes = 1 rouge

Il est communément admis dans le football que pour se faire expulser il faut soit se rendre coupable d’un geste qui met en danger l’intégrité physique d’un adversaire, soit faire preuve d’un manque de sportivité flagrant, soit prendre deux avertissements, ce dernier cas étant le plus fréquent. Il y a cependant un joueur, que dis-je un demi-Dieu au pays du carton rouge qui défie toutes les lois du football. Retour sur un mec hors norme qui défie totalement les lois d’un sport, voire peut-être même ceux de la physique.

Lieu : Gottlieb Daimler Stadion de Stuttgart.
Date : 22 juin 2006.
Match : Croatie – Australie (2-2) en phase de poules.
Fautif : Josip Simunic.
Victime : Graham Poll.

Le contexte :

Nous sommes le soir du 22 juin 2006, lors de la Coupe du Monde en Allemagne. Dans le cadre du pas très sexy Groupe F, la sélection à damiers affronte les surprenants Socceroos. Cette rencontre se déroule lors de la troisième journée de la phase de poules et est donc décisive pour les deux équipes. Avec une victoire face au Japon et une honorable défaite face au tenant du titre brésilien, l’Australie est en meilleure position que son adversaire du soir pour se placer à la deuxième place qualificative pour les huitièmes. Un match nul suffit même aux Socceroos pour obtenir une qualification historique pour le second tour. Ne possédant qu’un petit point, la Croatie doit impérativement s’imposer et tabler sur une défaite du Japon face au Brésil dans le même temps, ce qui semble largement possible, voire même déjà acquis.
Il faut dire que ce match revêt une signification particulière pour un bon nombre de joueurs. En effet, plusieurs membres de la sélection australienne sont d’origine croate. Que ce soit Mark Viduka, Jason Culina, Mark Bresciano ou le gardien Zeljko Kalac, tous sont issus de familles d’immigrés croates. Ce qui rappelle que l’Australie conserve aussi bien une forte communauté croate qu’italienne et grecque. Et non le pays des kangourous n’est pas qu’une ancienne colonie anglaise peuplée essentiellement de roux qui prennent des coups de soleil en faisant du surf. Dans les rangs de la Croatie, un joueur possède également des liens manifestes avec le pays adversaire du jour, il s’agit de Josip Simunic. D’origine croate de Bosnie, Josip dit Joe a été élevé footballistiquement en Australie. Il a d’ailleurs assidument fréquenté l’académie australienne du sport durant sa jeunesse. Devenu croate en 2001, alors qu’il évolue au Hertha Berlin, le rugueux défenseur a ainsi hérité du jeu réputé physique qui est souvent prôné en Australie, ce qui explique peut-être certaines choses… Cette rencontre apparemment anodine à première vue prend donc des allures de derby entre deux pays qui se trouvent à plus de 10’000 bornes !


Qui a dit que Simunic n’était jamais content ?

Les faits :

La partie démarre sur les chapeaux de roues, puisqu’après deux minutes de jeu, le milieu de terrain Darijo Srna ouvre le score pour la Croatie. Le joueur du Shakhtar Donetsk, où il évolue depuis plus de 10 ans, inscrit un bijou de coup-franc dans la lucarne droite de Zeljko Kalac. Sans doute un des plus beaux coups-francs de l’histoire de la Coupe du Monde inscrit par un joueur largement sous-évalué durant toute sa carrière qui compte aujourd’hui plus de cent sélections avec l’équipe à damiers. La suite de la rencontre est très rugueuse. Comme on s’y attendait, l’Australie joue de manière très physique et les Croates se font un plaisir de leur rendre la pareille. Le héros de cet article s’illustre notamment par une faute très limite dans la surface qui aurait dû valoir un pénalty aux Socceroos. Pénalty que l’Australie obtiendra finalement 30 minutes plus tard lorsque Stjepan Tomas effectuera une de ces fameuses mains ridicules venues d’ailleurs dans la surface, permettant à Craig Moore d’égaliser. En deuxième mi-temps, suite à une frappe totalement anodine de Niko Kovac, le portier d’origine croate de l’équipe australienne craque complètement et se troue, il donne temporairement l’avantage à l’équipe croate. Vingt minutes avant le coup de sifflet final, Harry Kewell hérite de manière chanceuse d’un ballon à dix mètres du but. En fusillant Pletikosa, il parvient à égaliser. Le score ne bougera plus malgré quelques bonnes occasions de part et d’autre. L’Australie se qualifiera pour les huitièmes où elle se fera arnaquer par la Squadra Azzurra.
Ça c’est pour le côté football et le côté on aime trop l’Australie, ce pays sympa qui a trop le fighting-spirit et qui est peuplé d’animaux bizarres. Autant dire que ça n’est pas spécialement passionnant de se le remémorer. Non, ce qui est intéressant et qu’il faut retenir de cette partie, ce sont les trente dernières minutes. Tout d’abord, peu après l’heure de jeu, le héros Simunic écope d’un premier carton jaune pour une obstruction peu évidente sur Mark Viduka. A dix minutes de la fin, Dario Simic reçoit un deuxième avertissement et est renvoyé aux vestiaires pour prendre une douche bien méritée. Brett Emerton connaît le même sort pour l’Australie deux minutes plus tard. Deux expulsions pour deux cartons jaunes en l’espace de quelques minutes, de quoi faire perdre les pédales à l’arbitre de la rencontre. Incessamment discuté, grondé voire bousculé notamment par les joueurs croates, Graham Poll semble perdre le contrôle de la partie. Le summum est atteint deux minutes plus tard, lorsque Josip Simunic, le joueur qui crache plus sur un terrain qu’il ne touche de ballon, commet une double faute méritant sans aucune contestation possible un carton jaune. Tout hésitant, celui qui est en passe de devenir la risée du Mondial donne un deuxième avertissement au défenseur croate. Le problème est que Monsieur Poll avertit certes le bon joueur mais il oublie de l’expulser ! En effet, même la réalisation graphique nous annonce l’expulsion du méchant défenseur.


Graham Poll : un arbitre pas très à l’aise avec ses cartons.

Pour expliquer ce fait de jeu assez cocasse, on peut imaginer plusieurs scénarios. Soit Graham Poll a attribué un des deux avertissements à un autre joueur, soit il a bêtement oublié de noter le premier carton jaune, ou soit il a simplement oublié de bien regarder son petit calepin et possède une mémoire de poisson rouge. La réponse sera directement donnée par le principal intéressé qui déclarera s’être trompé de colonne, donc d’équipe lors du premier avertissement. Bizarrement, aucun Australien n’ira se plaindre du fait que Simunic puisse rester sur le terrain avec deux avertissements. On signalera tout de même le toupet dont fait preuve Simunic lui-même, qui totalement hors de lui, ose encore aller protester et contester la décision de l’arbitre, alors que lui doit très bien savoir qu’il devrait être chassé du terrain. Franchement chapeau Josip, il fallait oser. Je me suis toujours demandé ce qui se serait passé si le Croate avait filé au vestiaire sans même regarder l’arbitre.
S’étant probablement rendu compte de son erreur par la suite, Graham «Goldfish» Poll va complètement craquer et faire de la fin de match une vaste blague. Il va devenir un mec qui ne sait absolument plus ce qu’il fait, et ça c’est un peu embêtant pour un arbitre quand même. Lors de la dernière minute du temps additionnel, alors que l’Australie obtient toujours sa qualification grâce à un score de parité, les Socceroos obtiennent une touche offensive près du drapeau de corner. La touche longue est effectuée par Bresciano, le ballon traîne dans la surface croate. L’attaquant Joshua Kennedy est victime d’un ceinturage absolument monumental que Graham Poll ne sanctionne pas tout de suite et dans la foulée Harry Kewell parvient à inscrire le but de la victoire pour l’Australie. Mais Monsieur Poll siffle, regarde un peu tout le monde et ne semble pas savoir quoi faire. Il a bien sifflé quelque chose, mais quoi ? Pénalty, but ? Il adopte alors l’attitude typique de l’arbitre mal à l’aise qui consiste à siffler la fin du match lorsqu’il ne sait pas quoi faire ou comment fuir ses responsabilités devant une décision difficile et mal engagée. Soulagé d’entendre le coup de sifflet final, Mark Viduka embrasse l’arbitre anglais. Déjà dans une position peu confortable, le pauvre Graham va se faire encore plus ridiculiser par ce salopard de Simunic qui vient pour la vingt-deuxième fois du match protester. Graham Poll le repousse dans un premier temps de la main et probablement gêné par ce mec qu’il a oublié d’expulser, il lui inflige un troisième carton jaune synonyme d’expulsion cette fois. Comment boire le calice jusqu’à la fin.


Un des nombreux exploits du demi-Dieu Simunic.

Célèbre pour ce triple avertissement, pour des expulsions violentes, comme celle obtenue lors des dernières qualifications cet automne, mais aussi pour son attitude toujours nonchalante sur un terrain, Joe Simunic fait figure de véritable star dans le monde du carton rouge. On aurait espéré de nouveaux exploits de la part du croate cet été au Brésil, surtout qu’un Croatie – Australie aurait été possible en huitièmes de finale (bon très peu probable). Malheureusement, selon toute vraisemblance, le plus bel espoir de carton rouge croate ne sera pas présent au Mondial pour une histoire de chant néo-nazi proféré à la fin du barrage Croatie – Islande… Un sale type jusqu’au bout ce Simunic !

A propos Olivier Di Lello 141 Articles
...

Commentaires Facebook

1 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.