Bielsa, le fou qui voulait devenir roi

Ça y est ! Lille l’a fait. Ils ont osé. Arrivé en grande pompe dans le Nord l’été dernier, Marcelo Bielsa repart du club dans ses petits souliers. Présenté comme la pierre centrale du projet lillois initié par le nouveau président Gérard Lopez, le technicien argentin n’aura tenu que 5 mois. 5 mois de claques successives subies par le club pour un clap de fin inévitable. Retour sur cet homme au parcours unique et chaotique.

Trier le vrai du fou

Marcelo Bielsa n’est pas un coach comme les autres. Fin tacticien, passionné, génie du football, sa base de groupies n’est pas avare en éloges pour décrire le fantasque entraîneur argentin. Les autres le qualifieront au mieux de bon entraîneur, plus connu par ses frasques que pour ses titres. La vérité doit se trouver au milieu. Il est vrai qu’il est un technicien reconnu par ses pairs. Il est unique par sa philosophie de jeu qu’il essaie d’inculquer à ses joueurs. Sa méthode de travail ne laisse également personne indifférent. Surtout en Argentine. Là-bas on discute de l’homme, de sa tactique et de son travail avec des arguments coups de poing. Si ces derniers ne sont pas toujours convaincants, la dépense d’énergie est au moins spectaculaire. À quand la même passion sur la RTS ? Henchoz serait déjà en train de se renseigner sur la substance prise par les consultants argentins pour donner un peu plus de punch à ses interventions.

En Amérique du Sud, on est friands de petits surnoms. El Loco n’a pas obtenu le sien par erreur ni par hasard. Il a avancé ses pions pas à pas, avec patience. Il a travaillé dur pour l’obtenir. Un projet qui a débuté dès le début de sa carrière dans les années 90. Son nom défrayait déjà la chronique, non pas en raison de résultats sportifs spectaculaires, mais en raison de ses coups de folie qui ont forgé sa légende. Le plus mémorable d’entre eux est probablement celui survenu en 1992. Alors entraineur des Newell’s Old Boys qu’il a mené à des titres en 1990 et 1991, il eut le malheur de perdre 6-0 contre San Lorenzo en demi-finale de la Copa Libertadores. Suite à cette défaite, des dizaines de supporters du club de Rosario s’en sont pris à lui, en se présentant, menaçants, à son domicile. El Loco les accueillit une grenade à la main. «Si vous ne partez pas, je vous fais exploser», ordonna en substance le technicien, le doigt sur la goupille. Constatant que l’entraineur n’était visiblement pas ouvert au dialogue, les supporters s’en allèrent prestement. La légende était née ce jour-là. Le surnom d’El Loco était définitivement associé au patronyme de Bielsa.

C’est donc un personnage particulier que voit débarquer la France en 2014. Vincent Labrune, le président de l’OM de l’époque, décide de frapper un grand coup médiatique en enrôlant le coach argentin alors auréolé d’un bon passage à Bilbao et doté d’une solide réputation internationale. Persuadé d’être une lumière, Labrune donne le change au clan Louis-Dreyfus, propriétaire du club. Le fiston de la famille le qualifie même de « génie et meilleur président de club de L1 ». Un homme sage a dit un jour que l’échec est la réussite du con. Rien n’est plus vrai avec ce club et de tels propriétaires. Marseille, fidèle à sa réputation, n’est pas plus brillant sous sa direction. Plein d’ambition, visionnaire et persuadé que ses prédécesseurs n’étaient pas aussi compétents que lui, il souhaite faire de l’OM un « nouveau Dortmund ». Mais l’OM de l’époque ça reste N’Koulou et Gignac qui finissent meilleurs joueurs de la saison. On est loin des Lewandowski, Götze et autre Hummels. Avec une équipe première loin du modèle annoncé, une formation bien en retrait des meilleures de L1 et des finances fragiles, le recrutement de Bielsa est donc la dernière chance de Labrune pour tenir les nombreuses promesses qu’il avait faites aux supporters.

Il n’y a pas de petits profits.

Laburne se fait de la bile

L’Argentin arrive donc avec des méthodes aussi folles que sa réputation. Il est là pour une unique mission : faire gagner l’OM. Tout le reste n’a que peu d’importance à ses yeux. Rapidement, le personnage intrigue, amuse, déplait. Mais il fait parler de lui. Il détonne dans le paysage français et parvient rapidement à se forger une base de fans qui ne jureront que par lui. Sur le plan footballistique, son jeu est attractif et offensif. Le supporter français est perturbé. Il n’a pas l’habitude de voir un tel spectacle sur un terrain de ligue 1. Bielsa est un des rares entraîneurs à ne pas mettre des tours en défense et à balancer le ballon devant en espérant tenir un bon 0-0. Sur le plan de la communication, il ne fait également rien comme les autres. Ses conférences de presse sont originales, ses propos cavaliers. Il ne souhaite parler que de football. Une sorte d’anti-Domenech. Il déroute son monde en ne regardant jamais les journalistes quand il s’exprime. Le ton est donné lors d’une conférence de presse qui restera mémorable. L’homme dit tout haut ce qu’il pense du club et de ses dirigeants. Des promesses non tenues, un président malhonnête et menteur, des transferts de tocards qu’il ne souhaitait pas. Bielsa est un homme sans langue de bois. Labrune sent que son entraîneur ne sera pas un homme de dialogue. Avec raison.

Je fous le Caen

L’Argentin va lui faire péter son choix à la figure. Après une première saison de bonne facture, le club finira quatrième avec un bilan de 51% de victoire, El Loco claquera la porte du club de manière soudaine et incompréhensible après une première défaite à domicile contre Caen en match d’ouverture. Bielsa est un homme intelligent. Il s’est vite aperçu que de viser le titre avec une équipe de bras cassés était impossible. Plein d’élégance et fidèle à sa réputation, le Monsieur donnera sa démission dans la foulée en laissant à son successeur une équipe à la dérive après une journée. Bielsa quitte donc la France, sur un bilan contrasté entre ceux qui le considéraient comme un génie et ceux qui criaient à l’arnaque. Pour mieux revenir ?

Bielsa s’adressant aux supporters après le match contre Caen.

La réponse est dans la question. El Loco fit son grand retour dans l’arène en ce début de saison. La L1 retrouvait son trublion préféré. Le projet lillois était trop attractif pour cet homme amoureux des défis et d’un football romantique. Il faut dire que les nouveaux dirigeants lui ont joué une jolie sérénade pour le séduire : une belle enveloppe pour les transferts avec un contrôle total sur l’achat des joueurs, se démarquer de la concurrence en misant sur de jeunes talents pour les revendre avec une forte plus-value et viser une place dans le top 5 à court terme. Leur histoire commence comme une amourette de jeunes adolescents. On se fait les yeux doux, on ne voit que le beau chez l’autre. Gérard Lopez est fier de son coup. Il peut parader comme un coq. Avec Bielsa, il obtient enfin la crédibilité qu’il veut instaurer au projet lillois. C’est un véritable pari, car l’homme commence à être considéré comme étant instable. Les supporters de la Lazio peuvent en témoigner, eux qui ont vu un an plus tôt Bielsa démissionner du club avant même d’avoir signé. Du jamais vu ! Mais n’est pas El Loco qui veut. De son côté, l’Argentin ne tarit pas d’éloges sur son employeur : « J’ai été vraiment impressionné par l’effort fourni par le LOSC pendant ce mercato. Dans toute ma carrière, je n’ai jamais vu autant de professionnalisme mis au service du club et des transferts. »

Lille coule

C’est donc sur des bases saines et solides que cette relation va se construire. L’idylle dure 5 mois. Mais Bielsa n’y arrive pas. Il enchaîne les défaites. Le constat est sans appel : l’Argentin possède le plus mauvais bilan d’un entraîneur de Lille depuis 2013, et le départ de Rudi Garcia. Selon les données révélées par le quotidien L’Equipe, El Loco n’a gagné que 11,1 % de ses matches de Ligue 1. C’est bien moins que René Girard (47,4 %), Franck Passi (46,2 %), Frédéric Antonetti (43,2 %) et même Hervé Renard (15,4 %). Avoir de moins bonnes statistiques que Hervé Renard, ça la fout mal quand même. On parle d’un homme qui avait fait tout faux durant son passage dans le Nord. Lors de cette longue traversée, rythmée au son de la défaite, Bielsa chercha à protéger ses joueurs. À force de répéter qu’il était le principal responsable de la situation, El Loco finit par convaincre sa direction qui estima que la plaisanterie avait assez duré. Après une lourde défaite 3-0 chez le promu amiénois, les dirigeants lillois décidèrent d’écarter « momentanément » leur entraîneur. Le « momentanément » étant logiquement ensuite remplacé par « définitivement ».

Soyez patients alors !

Échec et mat ?

Il est complexe de juger l’ensemble de l’œuvre de cet homme. Il aura toujours des admirateurs et des détracteurs. Je n’ai pas la prétention de me mettre au niveau des experts footballistiques qui jugent la valeur d’un homme à son nombre de titres. Si Bielsa a connu quelques heures de gloire au pays (à Newell’s au début de la mise en place de sa philosophie de jeu puis à Vélez), il reste ce « beautiful loser », celui qui passe toujours à deux doigts d’un titre. Mais Marcelo Bielsa n’est pas un entraîneur comme un autre, son système, sa philosophie a laissé des traces dans le football moderne et se répand avec ses disciples qui, eux, ont su l’adapter avec succès.

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4 Commentaires

  1. Biesla est tout de même un meneur d’hommes sans équivalent. Il galvanise ses troupes comme personne. Oui vraiment on peut dire que El Loco motive.

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