Bordeaux boit le calice jusqu’à la lie

9ème après 23 journées de championnat, éliminé de la coupe de France et de la coupe de la ligue, la saison de Bordeaux ressemble à une longue traversée du désert. Pourtant la situation est conforme aux attentes de la direction du club. Explications.

Bordeaux fait partie des clubs historiques du championnat de France. Il s’est taillé une solide réputation et s’est construit une crédibilité certaine au cours du XXème siècle pour devenir une des équipes qui peut prétendre aux places européennes dans les pronostics d’avant-saison. Malgré quelques couacs comme cette malheureuse relégation administrative en 1991, le club a pourtant su glaner titres de champion et coupes de France.

Le projet Bordaube

Aspirant à plus de constance, le changement de millénaire a été l’occasion d’une grande remise en question et d’une réflexion sur la direction à donner au club. Le choix est apparu comme une évidence pour le président Jean-Louis Triaud : modernité et stabilité. Modernité avec pour projet de construire un stade capable de répondre aux ambitions du club et stabilité en essayant de l’asseoir durablement dans les bonnes places du championnat.

A partir des années 2000, le parcours des Bordelais est on ne peut plus classique et d’une logique footballistique imparable. Lorsque l’on veut connaître des années fastes, l’un des facteurs de réussite est de s’attacher les services d’un entraîneur compétent. Les belles années du club ont donc été intimement liées à la présence d’hommes d’expérience et de succès sur le banc. Les périodes de vaches maigres se confondent, elles, avec la présence de « coachs de la loose » sur le banc qui sont pléthore sur le marché footballistique français. Pour entrer dans cette dernière catégorie dont l’école française ne cesse de s’enorgueillir, il faut posséder quelques-unes de ces caractéristiques : n’avoir aucun palmarès, ne pas avoir d’expérience du haut niveau, avoir sombré dans l’oubli collectif, avoir été viré de plusieurs clubs ou sélections, être abonné au bas des classements. Par opposition, les « entraîneurs winners » ont obtenu un/des titres, ont eu une carrière reconnue dans la durée, ont entraîné des clubs de haut de tableau, ont effectué des recrutements gagnants.

Le club aquitain n’était pas réputé pour faire des vagues. Dans cette continuité, ils ont souhaité que les Bordelais puissent s’identifier davantage au club et ont eu l’idée pertinente de prendre comme credo le surnom de la ville « La belle endormie ». Les Girondins ont choisi la voie de la stabilité que beaucoup d’autres clubs de L1 ont testée avec succès : décevoir saison après saison. Fidèles à leurs principes, les dirigeants ont donc tout fait ces dernières années pour ne pas tomber dans le piège pervers de l’acquisition de titres et ainsi se retrouver sous la lumière des projecteurs. Si l’on excepte ce regrettable accident qu’ont été les années 2007-2010 qui ont vu à la stupeur générale Bordeaux, sous la direction de Laurent Blanc, gagner un titre, une coupe de la ligue, deux trophées des champions et même se hisser en quart de finale de la ligue des champions, le club au scapulaire a parfaitement suivi le plan de route établi et se voit ainsi régulièrement noyé dans le ventre mou du classement et dans l’anonymat général.

Pour parvenir à leurs fins, les Bordelais ont donc appliqué la recette décrite en amont et, depuis 2010, semblent s’être abonnés à la catégorie de ces fameux  « coachs de la loose ».

Parfois un graphique vaut mieux que des mots

 

Le premier d’entre eux fut Jean Tigana, ancien joueur du club. Le recruter est un pari. Certes il a effectué un début de carrière d’entraîneur plutôt réussi tant avec Lyon que Monaco dans les années 90. Mais enivré par ses réussites hexagonales, l’homme se lance dans l’international et, après avoir essuyé deux échecs en Angleterre et en Turquie, il sent le vent du boulet arriver et prend une retraite bien méritée en 2007. Après le limogeage de Laurent Blanc, Bordeaux est à la recherche d’un successeur capable de les faire rentrer dans le rang et de retrouver un anonymat bien mérité. Tigana semble être l’homme providentiel. Son CV parle pour lui : un parcours international effectué dans l’indifférence la plus totale. Il est exhumé de son domaine viticole en 2010 par Nicolas de Tavernost, le propriétaire du club. Fâché avec tout le monde et en procès avec la moitié de la terre, il n’arrivera à rien durant cette année avec les Girondins avant de démissionner en mai 2011, non sans avoir récolté une dernière récompense au passage : être l’entraîneur ayant fait le moins gagner les Girondins de Bordeaux depuis 37 ans.

Difficile de succéder à une telle pépite. Son successeur doit avoir les reins solides pour porter le poids d’un tel héritage. Mais Bordeaux a du flair et de l’expérience. Son choix se porte tout naturellement sur Francis Gillot qui possède tous les atouts nécessaires pour atteindre les objectifs des dirigeants. Gillot, c’est le grand maniaco-dépressif venu du nord. Sa carrière de coach, c’est Sochaux et Lens. Enfin, pas le grand Lens, plutôt le Lens en perdition des années 2005-2007 qui amènera la première descente en L2. Pourtant, leurrés par une cinquième place conquise par Sochaux, les dirigeants tombent dans le piège et lui font confiance pendant 3 saisons. Trois années pendant lesquelles Gillot flirte avec les places européennes. Le risque de redécouvrir l’Europe étant trop grand, les dirigeants décident de s’en séparer.

Ayant appris de leurs précédentes erreurs, les Girondins vont se tourner vers un entraîneur sans aucune expérience en club mais qui possède un nom. Après tout, faire venir du monde au stade, ça rapporte. Leur attention se porte donc sur Willy Sagnol. Ephémère sélectionneur des jeunes, il n’a aucune expérience en club mais se prévaut de la « rigueur germanique acquise au Bayern ». La première année bordelaise sera en trompe-l’œil avec une qualification en Europa League mais heureusement acquise avec l’aide du PSG auteur du doublé Coupe-Championnat. Déçus par cette qualification, les dirigeants prendront les bonnes décisions et donneront comme consignes de ne pas s’attarder dans cette compétition pour ne pas perdre trop de force  en route et se concentrer sur le vrai objectif du club : viser le ventre mou du classement. Message entendu par le coach et les joueurs puisque ceux-ci ne gagneront aucun match de poule. Nos lecteurs comprendront ainsi plus aisément comment le FC Sion a pu sortir de cette poule qualificative…

Et cette tactique, bien que risquée, va s’avérer payante. Cette année-là, Bordeaux parviendra à terminer le championnat derrière Rennes au classement. Pour mesurer la portée de l’exploit, je vous renvoie à mon article sur le club breton posté quelques mois plus tôt sur ce même site. Malgré un début de saison plutôt solide, Sagnol sera pourtant remercié au printemps 2016. On retiendra surtout de lui son principal fait d’arme : avoir généré la polémique sur le « joueur africain typique ». Une vision bien trop moderne du football et incompatible avec la philosophie du club qui a dû lui coûter son job.

Ces trois entraîneurs peuvent assurément être qualifiés de « coachs de la loose » et rejoindre la cohorte des autres entraîneurs sans envergure recrutés par les Girondins. Outre leur absence de résultats dans l’élite, ils ont en commun d’être de piètres recruteurs. Aucun d’entre eux n’a été en mesure de recruter la moindre pépite. Pire, Gillot s’est séparé de Krychowiak et de Modeste qui ont par la suite brillé sur la scène continentale.

J’aurais plutôt choisi une chèvre pour coller avec l’image du club.

 

Depuis 2016, un nouveau timonier est à la barre du navire : Jocelyn Gourvennec, un Breton. Et dans cette région on s’y connaît en navigation et en remous. Son bon parcours à Guingamp lui a apporté un solide crédit dans le milieu français. Il a fait remonter le club en L1 et a même réussi à gagner une coupe de France. Mais contre Rennes, alors on lui pardonne. Ça ne compte pas vraiment. Il fait régulièrement terminer le club dans le ventre mou du championnat. C’est très encourageant et Bordeaux se laisse donc convaincre par cet homme au palmarès pratiquement vierge aussi bien en tant que joueur qu’en tant qu’entraîneur. Il y a peu de temps, il était encore difficile de le catégoriser. Looser ou winner ? Son passé (DH, Ligue 2 et Guingamp en Ligue 1) le définit plutôt du côté des « coachs de la loose ». Les esprits taquins relèveront que le Guingamp de Gourvennec a terminé 16ème en 2015-2016 alors que le Guingamp de Kombouaré (qui a pris sa suite en Bretagne) caracole fin octobre 2016 à la 4ème place, à 5 longueurs devant Bordeaux. Ajoutons le triste épisode « Prior sera le number One », les recrutements peu convaincants de Ménez et Toulalan, ses déclarations 100% langue de bois et on a du mal à trouver des arguments pour faire pencher la balance du côté des Winners.

Après une première saison plutôt convaincante, le doute s’immisça dans l’esprit des supporters et des dirigeants. Avaient-ils sous la main un homme capable de les faire gagner ? Cette présente saison finira de faire taire les derniers sceptiques. Son mercato estival est loin d’être convaincant. Beaucoup de joueurs arrivent mais ceux-ci sont loin d’être de grands joueurs (De Préville, Lerager, Costil, Cafu, Otavio). Le plus inquiétant fut le départ de nombreux cadres (Carrasso, Rolan et Pallois). Au mois d’août, Gourvennec connait une lourde désillusion lorsque son club est éliminé par la modeste équipe hongroise du FC Videoton dès le premier tour des qualifications pour l’Europa League. C’est à partir du mois de septembre, après une défaite au Parc des Princes contre le PSG (6-2) que l’entraîneur connait une des crises les plus importantes de l’histoire des Girondins de Bordeaux. Entre septembre et novembre 2017, l’équipe effectue sa pire série depuis la saison 1988-1989.

La cellule de recrutement vient enfin de dénicher LA perle.

 

Le point d’orgue de sa saison fut probablement le match perdu en coupe de France contre l’équipe de marins-pêcheurs de l’US Granville qui évolue en division 4. Quitte à être nul, autant l’être avec panache. Alors que les Bordelais se dirigeaient vers une victoire tranquille mais sur le score étriqué de 0-1, ils ont su éviter la catastrophe d’une qualification en concédant l’égalisation à 10 secondes du terme de la partie. La suite sera un conte de fée. Pressé par une équipe qui jouait (mal) sa saison sur ce match et voyant qu’il jouait contre des amateurs, l’US Granville parvint à les faire craquer avec toute la roublardise des joueurs professionnels et termina la rencontre avec 3 joueurs de plus sur le terrain. Tactique payante : USG 2-1 FCGB.

Bordeaux avait engagé Gourvennec avec pour projet de se fondre dans la masse, pas d’être la risée du football. Il est limogé après une énième défaite contre Caen à domicile (0-2). L’arrivée du nouvel entraîneur Gustavo Poyet est trop récente pour le catégoriser. Mais sa propension à changer de club chaque saison semble prometteuse, de même que ses débuts. Depuis son arrivée, Bordeaux n’affiche que des victoires et est revenu à 19 points du podium. Encourageant pour la suite.

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