La vraie-fausse interview de Vladimir Petkovic

Détesté par les Suisses-allemands, aimé puis toléré par les Romands (qui le préféraient de toutes façons à Hitzfeld), Vladimir Petkovic a divisé tant un pays qu’un vestiaire. Avant de faire l’unanimité, contre lui, à Bordeaux. Mais au final, l’ex-sélectionneur reste une personnalité largement méconnue, ne s’exprimant que dans une langue parlée par seulement 8% de la population du pays de son ancienne équipe. Carton-rouge.ch a donc demandé une interview avec l’ancien grand gourou national, qui a été acceptée à notre grande surprise, pour en découvrir un peu plus. Récit de cette vraie-fausse rencontre qui s’est déroulée dans un discret café de Feusisberg, où le principal intéressé se terre depuis son départ de Gironde.

Vladimir Petkovic bonjour et merci d’avoir accepté cette vraie-fausse interview.

Ciao, ragazzi del cartellino rosso. Grazie per avermi invitato a fare questa intervista.

On n’est pas la RTS, vous n’allez pas nous la faire, à nous. On sait que vous avez joué deux ans en Valais – dont un à Martigny-Sports – et que vous parlez parfaitement français.

Bon d’accord, je vais faire l’effort de vous répondre en français. [il s’exprime désormais avec un fort accent martignerain que ne renierait pas CC].

D’ailleurs, vu les années que vous avez passées en Suisse-allemande, vous devez également vous débrouiller dans cette langue. Pourquoi vous cantonner à l’italien en permanence ?

Tout d’abord pour faire chier les bourbines, on va pas se mentir. Ils ne m’ont jamais accepté parce que je n’étais pas de chez eux ou que je n’avais pas gagné la C1 avec le Bayern. Je leur ai donc donné une bonne raison de m’aimer encore moins. Et pour le français, c’était juste un pari que j’avais fait avec Pierluigi Tami en arrivant, pour voir jusqu’où ces glands de journalistes de la RTS allaient jouer le jeu pour l’italien. Ça aura tenu tout mon mandat.

En parlant de mandat, que faites-vous à Feusisberg depuis votre licenciement de Bordeaux ? La campagne schwytzoise vous manque ?

Hem… Disons que vu les résultats récents de Yakin et vu mon départ tel un prince l’été dernier, je préfère ne pas trop perdre de vue mes repères et rester proche au cas où certaines propositions se profileraient…

C’est vrai que ça ne s’est pas très bien passé récemment pour la Nati… Ni pour vous d’ailleurs.

Déjà il faut prendre une chose en compte. Quand j’étais avec la Suisse, j’étais reconduit de deux ans en deux ans, quasi automatiquement si je remplissais mes objectifs, qui étaient souvent assez dérisoires. Après Hitzfeld, l’ASF n’avait pas des attentes très hautes, vous savez… Donc je faisais le strict minimum, tranquille, et on me foutait la paix. Malheureusement, au dernier Euro, ça s’est mal goupillé…

Comment ça ?! C’est l’un des plus beaux exploits de l’histoire du foot suisse ! Une victoire contre les champions du monde, un parcours qui aurait même pu se prolonger à un ou deux tirs au but près !

Justement. J’allais faire comme d’habitude, on avait fait une phase de groupe parfaite, un peu nulle mais suffisante pour passer en huitièmes. On allait perdre avec les honneurs contre plus forts que nous, c’était l’idéal, je repartais pour 2 ans [ndlr : un et demi en réalité, vu les dates particulières de l’Euro 2020 et du Mondial 2022]. Mais pour une raison que je ne m’explique pas, les joueurs avaient envie de gagner. Xhaka s’est découvert un rôle de meneur d’hommes, c’était vraiment inexplicable. J’ai vécu cela tel un spectateur désabusé, impuissant face à ce retournement de match… Les gars ont même réussi une séance de penalties, c’était invraisemblable.

En même temps, qui aurait pu prévoir un tel discours…

On s’excuse, mais là on ne comprend plus rien…

Ben à cause de cela, les gens ont eu des attentes. Les Suisses ont commencé à croire au miracle à l’Euro, les gens se sont dit que finalement j’étais un fin tacticien, et tout et tout… [il marque une pause, boit son café, puis reprend]. C’est pour ça que j’ai été contraint à démissionner.

Pendant sept ans, j’ai fait mon job. Ni plus, ni moins. C’est-à-dire me qualifier pour une compète internationale, passer le premier tour, puis me vautrer contre une équipe naze en huitièmes. Mais cette victoire face à la France a changé la donne. Les gens ont vu que c’était possible d’aller plus loin. Si j’étais resté, mes objectifs auraient fatalement été revus à la hausse. J’aurais dû travailler plus ou risquer de tout perdre si je ne les remplissais pas. Plutôt que de devoir subir ça, j’ai préféré partir tel un héros au sommet de sa gloire pour rejoindre un club géré n’importe comment. C’était bien plus stratégique.

Comment ça ? Et pourquoi Bordeaux ?

L’offre de Bordeaux était idéale ! Vu que c’est en France, soit dans le pays qui a contemplé mon œuvre [il étouffe un rire] à l’Euro, j’avais une super cote. J’ai pu me négocier un contrat en or. En plus, dans une équipe bonne mais pas trop, donc idéale. Et par-dessus tout, avec une direction désastreuse. Résultat, je me suis fait chier là-bas 6 mois, avec un salaire plus qu’intéressant, et je suis toujours vu comme quelqu’un de suffisamment compétent puisque la faute à Bordeaux vient avant tout de la direction, voyez vous-mêmes l’actualité récente. Tout est bien qui finit bien !

Aucun regret concernant votre passage en Gironde donc ? Même au regard de la situation actuelle du club, relégué administrativement en 3ème division pour des raisons financières ?

Oh, quand ils m’auront enfin réglé mes indemnités de départ, je peux vous assurer qu’ils vont encore chuter d’une ou deux divisions ! [Il se marre et commande un second café, qu’il demande aimablement à la serveuse de mettre sur la note de Carton-Rouge].

Et si l’on revenait à votre passage sur le banc de la Nati. Plusieurs critiques s’étaient élevées contre vous, notamment dues à votre réputation de taiseux, ou encore d’entraîneur manquant d’émotion. Que répondez-vous à cela ?

Que voulez-vous que je dise ? Pour ce qui est du flegme, à force de côtoyer de mecs comme Xhaka, Djourou ou Mehmedi, j’imagine que ça m’a fait passer le goût de discuter… En ce qui concerne les émotions sur le banc, c’est bien normal. J’étais satisfait du spectacle moyen de la Nati ces dernières années. Les courtes victoires, les défaites honorables, je vous ai déjà dit, c’était parfait. J’allais pas me lever de mon banc avec des performances peu spectaculaires mais à la hauteur de mes attentes. Et contre la France, j’étais bien sûr dépité.

Une autre critique, notamment formulée par notre cher Yves Martin, portait aussi sur vos prétendus chouchous en équipe nationale. Des joueurs que vous utilisiez peu importe leurs performances et leur situation en club.

Là aussi, il a fallu être stratégique. J’ai dû me séparer de ceux, comme Behrami, qui étaient un peu trop charismatiques. Ils risquaient de me faire de l’ombre et de tout foutre en l’air. Mais il fallait que je m’assure quelques autres soutiens importants. J’ai donc choisi Sommer, qui est le gendre idéal que tout le monde aime et qui est surtout trop gentil pour oser se plaindre, et Sefe et Shaq, qui ne sont pas assez fûtés pour comprendre mes plans. Ils étaient simplement contents d’avoir avec la Nati le temps de jeu qu’ils n’avaient pas en club. Les titulariser même quand ils étaient mauvais, c’était m’assurer le soutien de joueurs influents et appréciés par les médias.

D’accord, on commence à cerner. On remarque donc que la stratégie est l’un de vos points forts, si l’on peut dire. En se penchant sur votre carrière d’entraîneur, quelque chose interpelle néanmoins. On remarque que vous avez fait surtout vos preuves à Bellinzone, que vous avez mené à la promotion en 2008, puis avec un passage correct à YB, entre 2009 et 2011, où vous avez terminé vice-champion à deux reprises. Comment, après cela, vous expliquez vos deux échecs cuisants à Samsunspor (4 victoires en 22 matches) puis au FC Sion, une petite victoire en quatre parties ?

Je ne qualifie pas ces expériences d’échecs. Pour Samsunspor, le choix était aussi stratégique. Je n’avais entrainé que des clubs suisses avant cela. Pour ne pas avoir l’étiquette de Gabet Chapuisat ou d’Uli Forte de service, je me devais de montrer que les clubs étrangers ne me faisaient pas peur. Après, la meilleure offre est venue d’un club naze de Turquie, c’est comme ça. Mais là encore, je ne prenais pas trop de risques, le club venait d’être promu par les poils. Dans le meilleur des cas, on se maintenait et j’étais un héros. Dans le pire, qui est arrivé, on était relégués et je démissionnais en disant que l’effectif n’était pas fait pour la première division.

Pour Sion, c’était encore différent. Christian m’a appelé pour une mission sauvetage, puisque le club était déjà condamné aux barrages après une saison marquée par le retrait des 36 points par l’ASF et l’imbroglio Courbis juste avant que j’arrive. J’ai donc effectivement gagné un seul match sur quatre, mais c’était celui qui comptait vraiment. Et je suis parti tel un prince, une fois de plus.

Bon, on entend les arguments. Mais de là à rebondir à la Lazio, pourtant une institution du foot italien, juste après ça…

J’avoue que ça, je ne l’avais pas vu venir ! D’autant que la Lazio fonctionnait très fort juste avant mon arrivée. Reja [ndlr. Edoardo Reja, l’entraîneur du club romain avant l’arrivée de Petko] avait fait un super job. Mais un matin je me suis retrouvé avec cette offre sur le bureau. Je n’ai pas hésité longtemps, vous pensez. En plus, j’ai bénéficié du travail de Reja pour gagner la Coupe d’Italie la saison de mon arrivée ! Honnêtement, c’était cool. Mais à nouveau, les objectifs étaient élevés. Alors quand j’ai reçu l’offre de l’ASF, que je n’ai pas non plus vue venir, le choix a été vite fait également. Je n’étais de toutes façons plus en odeur de sainteté avec la Lazio. Je les ai quand même mené à leur pire classement des douze dernières années !

Votre licenciement de la Lazio est effectivement intervenu alors que vous aviez déjà négocié votre contrat avec l’ASF…

C’est juste. Ce qui m’a permis de me faire licencier sans que les résultats ne soient directement en cause. Et de profiter des indemnités.

D’accord. Merci pour vos réponses, Vladimir Petkovic. Une dernière question, de quoi est fait votre futur ?

Je ne veux pas trop m’étendre sur le sujet, j’étudie toutes les possibilités. Mais s’il y a un poste vacant ou où l’entraineur est en danger, dans un boulot pépère, où je serais accueilli comme un pape, avec un bon salaire, des objectifs revus à la baisse et des employeurs prompts à me prolonger de deux ans en deux ans sans trop se poser de question, disons que je suis ouvert à la discussion.

 

Crédits photographiques :

Vladimir Petkovic: Steindy/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Steindy 

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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