Un jour sur la route du Tour

Toute ma vie j’ai regardé le Tour de France en me demandant ce qui pouvait bien pousser tous ces gens bizarres à picoler toute la journée au bord de la route pour voir passer les coureurs pendant trois secondes. Mais ça c’était avant. Avant que le Tour ne traverse mon propre bled. Car évidemment, on a fêté ça comme il se doit. Et quand on y participe, étrangement, on ne trouve plus ça beauf mais populaire… Voici le carnet de bord d’une journée pas comme les autres au coeur de l’étape entre Dole et Lausanne.

14h00 : Le dispositif est en place, l’écran géant installé, la route fermée ou presque, les fûts de binches branchés. On a plus qu’à patienter quelques heures.

14h05 : Ce n’est que le début de l’après-midi mais la meilleure blague de la journée vient de tomber. « En fait, cette journée c’est juste une immense excuse pour les alcooliques de picoler en regardant passer des mecs qui sont plus drogués qu’eux pour se rassurer ». Chapeau !

14h12 : Arrivée d’un supporteur de la Suisse.

« Je me suis demandé si je devais mettre un marcel ou un maillot de foot pour faire plus beauf », nous glisse-t-il. Visiblement le choix a été fait.

14h22 : « C’est quand qu’ils arrivent ? »

14h34 : Premier abandon sur la route du Tour.

14h45 : « C’est quand qu’ils arrivent ? »

15h00 : Un pote d’un pote nous annonce qu’il a fait le déplacement Zurich-Echandens pour voir passer le Tour. On ose à peine lui demander pourquoi il ne s’est pas plutôt arrêté à Lausanne. C’est un peu comme si je traversais la France pour aller voir l’étape du Mont Ventoux mais que je choisissais finalement de me poster à la sortie du tunnel de la D56 à Montélimar.

15h02 : Ruée vers le premier véhicule de la caravane publicitaire. Sauf que ce n’est pas un véhicule publicitaire. Et que le bob est à 10 euros. Malgré le cours avantageux du franc suisse, la déception est immense.

15h10 : « C’est quand qu’ils arrivent ? »

15h35 : « T’as vu comme il est tombé Thibaut Pinot ? » Non mais franchement il y a vraiment des gens qui croient qu’on peut aller chercher une tournée de bières et suivre la course en même temps ?

15h40 : Chute à l’arrière, deuxième abandon de la journée !

15h52 : Tut-tut-tu-tuuuuuuuuuuuuuut. Arrivée de la caravane. Des centaines et des centaines de personnes se précipitent sur le bord de la route.

15h53 : On se demande très rapidement s’il y a une meilleure vie sur terre que celle d’être un speaker sur une caravane pendant trois semaines de suite, se faire acclamer partout on on passe, jeter des objets gratos à la tronche de gueux qui se les arrachent et se prendre des murges tous les soirs. Le retour à la maison doit être rude et le reste de l’année assez long.

15h54 : « Bonjour la Suiiiiiiiiiiiisse » !

15h55 : Existe-t-il une meilleure entreprise en matière de marketing que Krys, qui vend entre autre autres des appareils auditifs, et qui vient gueuler à tue-tête dans un micro sur le Tour pour rendre sourde la moitié de la population amassée sur le bord de la route ? J’espère que celui ou celle qui a trouvé cette idée lors du brainstorming de la direction a touché le bonus de fin d’année qui s’impose.

16h08 : Fou de rage d’avoir raté le bob Cochonou, un spectateur quitte les lieux sur le champ.

16h15 : Fin de la caravane, retour vers le grand écran. Frissons dans la foule lorsque la descente du Mollendruz se fait à 90 km/h. Les motards de l’équipe sont jaloux.

16h16 : « C’est quand qu’ils arrivent ? »

16h45 : On commence à parfaitement reconnaître les villages traversés, c’est pour bientôt ! On se retient, c’est pas le moment d’aller soulager sa vessie.

17h08 : Arrivée des deux hommes de tête Fred Wright et Mattia Cattaneo qui ne comptent plus qu’une grosse minute d’avance. Ça sent pas bon pour eux.

17h09 : Le peloton déboule, emmené par… un coureur cycliste. Effectivement, ça dure vraiment trois secondes.

17h10 : S’en suit le ballet des voitures suiveuses qui se dépassent parmi à fond la caisse dans les virages. On se demande encore comment il n’y a pas de drame avec des timbrés pareils.

17h11 : Bon ben c’est fini, on retourne vers le grand écran. On va pas rester applaudir les retardataires quand même.

17h26 : Le peloton fond sur les échappés à l’entrée de Lausanne. Les plaisantins sont de sortie. « Elle est pas belle la France ? » « Elles sont pas belles nos routes ? » « Comment ça se fait que tu mettes 30 minutes pour aller à Lausanne toi ? En vélo électrique en plus ? »

17h32 : On apprend l’existence de la Côte du Stade Olympique.

17h40etdespoussières : Rafał Majka tire la langue mais cadenasse la course pour son leader Pogacar. Van Aert règle le sprint. Voilà c’est fini. On lit dans le regard de certains un « Tout ça pour ça? »

18h10 : On change d’événement sportif, la foule est en délire.

21h33 : Le soleil se couche, c’est le moment pour les suiveurs du Tour de faire le bilan. Certains se sont vraiment crus cyclistes pendant une journée.

22h10 : On apprend par la bande qu’une attaque des activistes Renovate aurait été déjouée. Ils envisagaient de se coller au bitume du pont du village d’en-dessous. Imaginez le bordel que ça aurait été.

22h13 : Selon un bilan provisoire, 260 litres de bières ont été vendus sur la place du village. Le Patron du Tour déclare partout que le spectacle est gratuit pour les gens au bord de la route. Visiblement il a oublié le budget boissons !

22h30 : Vive le Tour (même trois secondes) et à la prochaine !

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