Évian a pris de la bouteille

«ETG» : le diminutif d’Évian-Thonon-Gaillard sonne un brin artificiel aux oreilles des traditionalistes, mais deviendrait vite reconnu de tous si cette première saison en Ligue 2 était déjà ponctuée d’une promotion dans l’élite…

Le «si» demeure en effet de mise, car alors que les bouteilles (pas d’Evian, mais de champagne) étaient au frigo après la facile victoire face au Mans, l’avance de l’ETG sur le premier non-promu s’est liquéfiée en deux journées de championnat, passant de 6 à 2 points (mais en gardant un excellent goal-average). À trois journées de la fin, le trio de promus virtuels est au même nombre de points, proposant un final haletant pour une saison serrée au possible. 58 points en 35 matchs pour l’ETG, c’est autant que Lugano en Challenge League, qui a pourtant joué neuf fois de moins !Le cas échéant, le grand public sera tiraillé entre l’intérêt de voir un nouveau département accéder à l’élite française (jamais un représentant haut-savoyard, ni savoyard d’ailleurs, n’a atteint la première division !) et l’indifférence face à un club en apparence dépourvu de tradition. Car son image est celle un peu bâtarde d’une équipe première issue d’une ribambelle de fusions ayant en particulier abouti, en 2007, à celle entre les Croix-de-Savoie et l’Olympique Thonon-Chablais (dont les aïeux avaient tout de même goûté à la seconde division au début des années quatre-vingt) ; tout cela en étant racheté en 2005 par Franck Riboud, PDG du groupe Danone, le propriétaire des eaux d’Évian. Ainsi, la ville thermale, qui a sportivement autant à voir avec l’ETG qu’Henniez avec le FC Glaris, trône désormais en tête d’affiche, le logo du club reprenant même la typographie de la marque. Et même si on sent une hésitation dans les chants des supporters, ceux ayant passé du «Allez Croix-de-Savoie» à «Allez Évian» semblent en progression (le «Cé qu’è lainô» demeurant toutefois guère populaire…) ;  joli coup marketing que de faire chanter le nom d’un sponsor, même si cela ne manque pas d’en agacer plus d’un.

Quoi qu’il en soit, ses ambitions grandissantes ont contraint le club à déménager de Gaillard à Thonon (et son vétuste stade Joseph-Moynat au nom pas top point de vue marketing), puis au Parc des sports d’Annecy, ce après la tentative d’évoluer au Stade de Genève, avortée par l’UEFA. Or, Thonon-Annecy, merci viamichelin.fr, c’est 75 km, 1h10 de voiture (ou, alternativement, certainement pas loin de la journée en transports publics) et 4 euros de péage par trajet : autant dire que la bourse (et les bourses) du smicard moyen en souffre, alors que le cadre empressé et à l’aise financièrement (c’est-à-dire bossant en Helvétie…) est incité à délaisser ce loisir chronophage. L’ancrage local en souffre donc et l’affluence s’en ressent, l’ETG figurant à un peu flatteur 15e rang sur 20 avec sa moyenne de 5’008 spectateurs (ce qui doit malgré tout faire pâlir d’envie le FC Annecy, qui végète dans l’anonymat de la division d’honneur régionale et ne doit plus guère se sentir chez lui). Quoi qu’il en soit, Seynod, en banlieue sud-ouest d’Annecy, est l’un des deux endroits retenus pour le futur stade d’environ 15’000 places, même si l’option privilégiée demeure Ville-la-Grand la frontalière, dont la belle zone industrielle grouille chaque samedi de Genevois aux cabas débordant de viandes et biscuits achetés à vil prix.
Vient par conséquent la question tabou (mais rien ne fait peur à un envoyé spécial de Carton Rouge à Annecy…) : les Genevois daigneraient-ils prolonger leur bucolique sortie shopping pour voir évoluer l’ETG en Ligue 1, ou du moins ses contradicteurs davantage renommés ? Au vu des réactions observées à gauche et à droite, les plus hypocrites répondront que la bidoche fraîche ne supporterait pas de passer la soirée dans la voiture. Les autres, pour la plupart, avoueront qu’il vaut mieux continuer à se coltiner quelques années encore les joutes dantesques face à Wohlen, Locarno et consorts que de trahir le club de son coeur pour accompagner les ennemis de 1602 dans leurs pérégrinations footballistiques ; et on ne parle même pas de les encourager… Finalement, cela paraît aussi inconcevable que de soutenir le FC Sion lorsqu’il joue ses (rares) matches de Coupe d’Europe au Stade de G’nève.  C’est un peu malheureux, mais ni la notion d’agglomération genevoise transfrontalière ou de solidarité romande, ni l’intérêt sportif ne semblent justifier une quelconque infidélité. Reste à espérer, pour les supporters grenat, que le fameux club étranger racheté par Majid Pishyar ne soit pas l’ETG !

Sur le plan sportif, la position du néo-promu constitue en tous les cas une belle surprise, car son budget représente moins du double du salaire annuel de Riboud. Bon, il est tout de même vrai que 10 millions d’euros feraient saliver plus d’un président de club de l’autre côté de la frontière et permettent de compter sur une ossature expérimentée, avec des Olivier Sorlin, Guillaume Lacour, Cédric Barbosa, Bertrand Laquait et désormais Claudio Caçapa… Mais comme Évian est «déclarée source de jeunesse», le club mise aussi sur des espoirs tels que Yannick Sagbo (ex-Monaco) et le local Kévin Bérigaud, formé à Servette (qui mène décidément à tout, à condition d’en sortir…). 
 
Ainsi, à ceux qui prédiraient à l’éventuel futur promu de patauger dans le yaourt en Ligue 1, à l’image d’Arles-Avignon, il convient de préciser que même si les parallèles seraient frappants (clubs issus de fusions, réussissant deux promotions successives, jouant à bonne distance de leur ville de coeur et dans un stade de fortune), le potentiel haut-savoyard paraît assez différent. Si «tout le monde se lève pour» l’ETG, que Riboud, Zizou, Lizarazu (aussi actionnaires du club) et consorts allongent et que le nouveau stade se matérialise rapidement à proximité du bassin de supporters naturels d’ETG, la Danette risque de prendre aussi bien qu’elle l’a fait lors de la victoire 3-1 contre l’OM en 32es de finale de la Coupe de France…

A propos Nicolas Huber 48 Articles
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4 Commentaires

  1. « Reste à espérer, pour les supporters grenat, que le fameux club étranger racheté par Majid Pishyar ne soit pas l’ETG !  » mythique!
    Article très sympa!

  2. Pour ma part ça me ferait bien plaisir que l’ETG soit promu, ne serait-ce que pour aller voir l’OM sans me taper des heures et des heures de route.

    (Oui je sais « support your local team » mais l’OM est justement la « local team » de mon enfance, on choisit pas ma bonne dame)

  3. « C’est un peu malheureux, mais ni la notion d’agglomération genevoise transfrontalière ou de solidarité romande, ni l’intérêt sportif ne semblent justifier une quelconque infidélité. »

    Si le club avait un semblait d’histoire, que nous avions grandi avec ce voisin longtemps discret et qui se fait plus bruyant, on pourrait en discuter. Mais le FC Danone a autant d’intérêt que le FC SAP en Allemagne.

    Quant à aller voir Wohlen ou Kriens ces prochaines saisons, c’est loin d’être sûr… 🙂

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