Schleck, Andy’capé de la gagne

Dans le sport, il arrive souvent que l’on observe de belles surprises. Mais une belle surprise implique généralement que le favori attendu se soit planté en beauté. Afin de ne pas oublier ceux qui avaient tout pour bien faire mais qui ont quand même réussi à avoir une carrière aussi aboutie qu’un tir de Seferovic (et aussi parce que c’est facile et souvent drôle de se moquer), je vous présente Born to lose ! Une rubrique dédiée à toutes ces équipes ou sportifs malchanceux, trop confiants, à qui il a juste manqué un petit quelque chose, ou simplement friables mentalement, mais qui ont tous pour point commun de nous avoir laissé un sentiment d’inachevé.

Pour inaugurer cette première édition, je vous propose de vous plonger dans un sport rarement évoqué sur ce site, le cyclisme. Et qui dit grand perdant cycliste dit… Poulidor ! Mais comme il y a déjà eu énormément de récits sur la carrière de Poupou, je vais vous narrer l’histoire d’un presque-champion plus proche de nous dont le nom n’est pas une surprise pour vous si vous avez lu le titre, j’ai nommé Andy Schleck ! Pour cette première, voici une démonstration en quatre actes de ce qu’est la tragédie d’un loser magnifique.

Exposition

Si, à première vue, le palmarès du Luxembourgeois – vainqueur du Tour de France 2010 après déclassement de Contador; vainqueur magistral de Liège-Bastogne-Liège 2009; 2ème du Giro 2007 à 21 ans seulement; multiple champion du Luxembourg; recordman de victoires au classement du meilleur jeune du TDF – ferait pâlir Thibaut Pinot et Romain Bardet, une ligne pique les yeux. Bien sûr, dans les livres d’histoire, Andy Schleck a gagné le Tour de France 2010. Mais dans les faits, Alberto Contador a été déchu pour dopage deux ans plus tard de sa victoire et Schleck ne s’est lui-même jamais vraiment considéré comme vainqueur. En faisant abstraction de ce sacre que le principal intéressé ne considère pas en tant que tel, le Luxembourgeois, coureur de classement général par excellence et souvent favori au départ, n’a pas gagné le moindre grand tour (« label » donné au Tour de France, au Giro d’Italie et à la Vuelta en Espagne) à la pédale, terminant second du Giro 2007 et à la même place de la grande boucle 2009 et 2011.

Mais cette absence n’est pas le seul regret sportif d’Andy Schleck. En effet, en 2008, à tout juste 23 ans, il fait tout exploser lors de la course en ligne des Jeux Olympiques de Pékin, sur un parcours pourtant pas vraiment taillé, sur le papier, pour ses qualités. Malheureusement pour lui, il échouera avec la médaille en chocolat (après déclassement de Rebellin, initialement 2ème, pour dopage), deux rangs derrière notre Cancellara national. Comme quoi, même à l’aube de sa carrière, Schleck manquait déjà la gloire d’un rien.

Mais revenons à la course qui était probablement l’obsession d’Andy, le Tour de France. Malgré ses échecs, le natif de Luxembourg-ville avait pourtant tout pour arriver au moins une fois en jaune à Paris. Certes, il était limité en contre la montre. Mais dans un grand jour, il ne craignait personne en montagne, pas même son rival de toujours Alberto Contador. Et il avait souvent une solide équipe pour l’épauler, emmenée par son grand frère Fränk. Alors comment expliquer cette collection d’accessits ?

Acte 1 : une lose familiale

A ce propos, dans la famille Schleck je demande l’aîné, Fränk. En effet, les deux frangins ayant passé la quasi intégralité de leur carrière dans les mêmes équipes et possédant des qualités assez similaires, ils sont aussi liés dans l’inconscient populaire qu’Armstrong et sa seringue. Ou sa trompette. Ou sa fusée. Mais je m’égare.

Si la fratrie n’a jamais eu de problème de cohabitation, assurant au contraire se prendre l’un et l’autre en exemple, Andy, probablement le plus talentueux des deux, a certainement été prétérité par la présence permanente de son frère. A force de trop se respecter et de ne jamais s’attaquer entre eux, il est arrivé plus d’une fois qu’au final les deux se fassent piéger et distancer alors qu’ils étaient pourtant en supériorité numérique.

D’une force sur le papier, la bienveillance mutuelle est rapidement devenue une faiblesse en course. En témoigne l’édition 2010 du TdF, celle où Andy a été le plus proche de la victoire (avant le déclassement de Contador), à seulement 39 secondes du maillot jaune et cela alors que Fränk avait dû abandonner en tout début d’épreuve. Ou l’édition 2011, qui a vu les frangins terminer tous deux sur le podium, mais aux deuxièmes et troisièmes places…

A part les cheveux de Tintin qui a mangé trop de frites, vous voyez du jaune sur cette photo de famille ? C’est normal

Acte 2 : être aussi offensif et solide mentalement qu’un attaquant de la Nati

Andy Schleck savait parfois se montrer offensif, nous offrant en 2011 ce qui reste probablement comme la plus belle étape de ces dernières années sur le Tour de France, lui qui avait attaqué en solitaire à 60 km de l’arrivée, avait retrouvé ses équipiers (partis plus tôt en échappée) pour rouler dans la vallée puis avait déposé tout le monde pour s’imposer avec plus de 2 minutes d’avance au sommet du Galibier. Mais le Luxembourgeois est davantage connu pour son attitude d’attente durant les étapes de montagne, alors que c’était lors de celles-ci qu’il aurait dû tenter le plus afin de combler sa faiblesse du contre-la-montre.

Alors bien sûr, c’est facile de dire d’attaquer quand on est devant sa télé à boire sa bière affalé sur un canapé. Cependant c’est d’autant plus frustrant qu’Andy semblait souvent avoir la force nécessaire pour faire la différence mais n’osait pas, peut-être par peur de tout perdre. En ce sens, on peut dire qu’il était l’un des pionniers du cyclisme actuel, où beaucoup de coureurs préfèrent sauver une 8ème place au général d’un grand tour que de tenter le tout pour le tout pour espérer la gagne, au risque d’avoir une défaillance et de tout perdre. Eh oui, les équipes ont tellement besoin d’argent qu’un top 10 obtenu en n’attaquant jamais offre plus de visibilité auprès du sponsor qui n’y connait rien qu’un coup de poker incroyable d’un grand leader mais qui ne va pas au bout au final. Le foot n’a pas le monopole de l’argent roi. Mais je m’égare encore.

Acte 3 : avoir un point faible bien handicapant

Comme déjà mentionné, Andy Schleck n’était pas du tout, mais alors pas du tout, un coureur de contre-la-montre. Il perdait régulièrement plusieurs minutes face aux autres favoris dans cet exercice. Et si l’on prend en compte le fait que cela fait 10 ans que le Tour ne compte que des vainqueurs qui sont aussi des spécialistes de l’effort solitaire (je parle toujours de cyclisme, vous avez vraiment l’esprit tordu), on se rend bien compte que le talon d’Achille du Luxembourgeois rendait les choses vraiment compliquées pour lui.

Au passage, quand on y réfléchit, c’est con comme nom le contre-la-montre. Déjà ça fait belle lurette que le temps de passage n’est plus chronométré avec une montre, et ensuite tu cours contre la montre ? T’es sûr que tu ne cours pas plutôt contre les autres types mais c’est juste qu’ils ne sont pas partis en même temps que toi ? Tout au plus il faudrait appeler ça le contre-les-temps-établis-par-les-gars-d’avant. Quoique ça ferait un peu long. Enfin bref, je m’égare toujours.

Acte 4 : la cerise sur le gâteau

Et comment finir cette tragi-comédie sans parler de l’élément qui transforme un grand espoir en gigantesque loser, j’ai nommé la poisse ! La malchance est au loser ce que le crâne est à Hamlet ou ce qu’Alain Geiger est au foot romand. Un accessoire pas très agréable et dont on se passerait bien mais malheureusement indissociable pour des raisons qui nous dépassent tous.

Et c’est peu dire que Schleck a eu sa part de poisse. Le meilleur exemple a lieu lors de la 15ème étape du Tour 2010, année de sa pseudo-victoire. Avec le maillot jaune sur le dos, Andy fait pour une fois tout juste et attaque lors de la dernière ascension de la journée. Alors qu’il semble distancer le reste du groupe, le Luxembourgeois est victime d’un saut de chaîne, doit s’arrêter et voit les autres favoris le dépasser. Il terminera finalement à 39 secondes de Contador ce jour-là, puis arrivera au final 2ème du tour de France à… 39 secondes de l’Espagnol !

Le moment où, en voyant ta chaîne s’en aller, tu comprends que tu perds le Tour de France

Dénouement

En parlant de poisse, chacun sait que cette dernière a la particularité d’être tenace. Et comme souvent dans ce genre de situations, Andy aura été miné par les blessures dès le début de la saison 2012. De multiples chutes lui causent, pêle-mêle, une fracture du bassin, des complications à la hanche et une rupture du ligament croisé, sans compter les blessures plus superficielles. Après trois années de galère où il ne pourra plus courir normalement, le cadet des frères Schleck annonce fin 2014 qu’il met un terme à sa carrière, à seulement 29 ans, à cause de son genou qui ne se remet pas. Quelques jours plus tard, comme un clin d’œil entre losers, il recevra son trophée de vainqueur du Tour de France 2010 sur tapis vert des mains de… François Hollande ! Ça ne s’invente pas.

Si cette fin de carrière était attendue, il reste que le goût d’inachevé est grand pour le coureur luxembourgeois. Ayant pu courir en pleine possession de ses moyens seulement jusqu’à 26 ans, âge où de nombreux grands coureurs commencent tout juste à se révéler, il aura tout de même eu le temps de se construire un joli CV et de laisser sa marque dans le monde de la petite reine. Hélas, de nombreuses raisons l’ont empêché d’avoir les résultats auxquels il aurait pu prétendre. Mais honnêtement, comment en vouloir à un type qui s’est fait virer d’un Tour d’Espagne pour être sorti un soir de veille d’étape pour boire un verre ou deux avec un de ses coéquipiers ?

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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