L’Hakuba de Kabou

Saison hivernale oblige, c’est une petite incursion dans le monde du Cirque Blanc que je vous propose, chers lecteurs de Carton-Rouge en ce mois de février et alors que débutent les tant attendus Championnats du Monde 2019 dans la sympathique bourgade suédoise d’Are.

Et une fois n’est pas coutume, c’est un ressortissant de notre voisin préféré qui va avoir l’infime honneur de figurer en haut de l’affiche. Car non, et je vais vous le prouver, les sportifs français ne sont pas tous d’éternels loosers comme leurs tennismen. Ils ont aussi des athlètes capables de se sublimer le jour J, d’être en état de grâce au bon moment et de bénéficier des circonstances favorables. Et si l’Albertvillois Jean-Luc Crétier n’a gagné qu’une course dans sa vie, c’était lors de la descente des J.O. 1998, à Nagano, sur la piste d’Hakuba. Un véritable coup bas. Un coup de Jarnac au nez et à la barbe, moins tendance à l’époque, des Norvégiens, des Autrichiens et des Suisses.


Né en avril 1966, le Savoyard a déjà 32 ans lorsqu’il débarque sur l’île d’Honshu au Japon pour ces XVIIIèmes Jeux Olympiques d’hiver. Ses quatrièmes à titre personnel après Calgary en 1988, Albertville en 1992 et Lillehammer en 1994. Et surtout avec un palmarès aussi maigre que les cuisses de Djokobite. 5 podiums en 15 ans de Coupe du Monde. Et pas la moindre victoire. Des résultats à faire passer Didier Plaschy pour une superstar du ski. Autant dire qu’il était loin d’être cité parmi les favoris et que sa cote devait être aussi attrayante que celle de l’Arabie Saoudite lors de la dernière coupe du monde de foot en Russie. Et pourtant, rien n’allait se passer comme prévu.

On avait pu remarquer, cinq ans plus tôt lors des championnats du monde disputés non loin de là, du côté de Morioka, que la météo pouvait être capricieuse dans ce coin du globe. Même si, du côté helvétique, on n’avait pas trop eu à s’en plaindre. Cette fois-ci, c’est simple, cela a même été pire. Prévue le dimanche, soit le 2ème jour des compétitions, la descente, épreuve reine des Jeux d’hiver, allait être successivement repoussée au lundi, au mardi, au mercredi puis au jeudi. Avec à chaque fois, le brouillard, la neige ou la pluie qui allaient contraindre les organisateurs à repousser la course alors que les athlètes étaient dans le bus pour rejoindre la station d’Hakuba située à une quarantaine de kilomètres de Nagano, sur les flancs du Mont Karamatsu (et non Kamasutra). A se demander si cette descente allait pouvoir se dérouler un jour, mais surtout de quoi perturber les athlètes et, pourquoi pas, favoriser les naissances 9 mois plus tard.


Comme par miracle, le vendredi 13 (tiens donc) février, le soleil est étincelant au Pays du Soleil Levant. Enfin. Avec le dossard 2, l’Autrichien Fritz Strobl, un des outsiders, établit le premier temps de référence. Jean-Luc, lui, a hérité du numéro 3. Peut-être un signe pour celui qui vient de finir 3ème sur la mythique Streif de Kitzbühel. Surtout, « Kabou » a passé des heures à analyser le tracé et a repéré un terrible piège après une quinzaine de secondes de course. Une courbe vicieuse où toute arrivée trop directe semble fatale. Ainsi, quitte à faire un peu plus de chemin, le tricolore va arrondir sa trajectoire, allant même jusqu’à relâcher sa position de recherche de vitesse en se relevant pratiquement pour ralentir son allure avant de se remettre à fond. Bien vu. Il va passer sans encombre ce passage fatal à quasiment tout le monde. Bien vu certes, mais c’est juste hallucinant que personne d’autre n’y ait pensé, non ? Faudrait quand même pas nous faire croire que les Suisses ou les Autrichiens avec leurs armadas de coaches n’avaient pas vu cette embuscade aussi grosse que le fessier de Serena.

Avec une fin de course ultra rapide, Kabou franchit la ligne d’arrivée avec plus d’une seconde d’avance sur l’homme qui occupait provisoirement la tête. Il sent qu’il a peut-être réalisé un très grand coup et qu’il a, sans doute, également bénéficié d’une piste en parfait état et de conditions de course absolument parfaites. Mais tous les favoris ou presque doivent encore s’élancer. A commencer par le dossard 4, le grandissime favori Hermann Maier. Herminator comme on l’appelle et dont tout le monde se souvient ou presque. Un mec qui n’avait pas l’habitude de laisser plus que des miettes à ses adversaires. Et encore moins à un inconnu ou presque. Mais lui, il devait être soit aveugle, soit con. Il va débouler comme un boulet de canon dans cette fameuse courbe et se retrouver la gueule dans la poudreuse au-delà des filets de sécurité. Plus de peur que de mal finalement mais surtout un de moins comme on dit, et non des moindres. Une dizaine de concurrents l’imiteront au même endroit et perdront toute chance de jouer la gagne. Ghedina, Cuche ou Schifferer, sans se vautrer pour autant dans ce fameux virage, ne parviendront pas à taquiner le temps du Français. Lorsque le Norvégien Lasse Kjus, autre super favori et toujours présent dans les grands rendez-vous, va échouer à 40 centièmes pour glaner l’argent, Kabou va se mettre à y croire et réaliser au fil des concurrents qu’il va devenir champion olympique. Lui qui n’en avait jamais claqué une en Coupe du Monde et qui n’en gagnera d’ailleurs pas plus après ce titre. Pour l’anecdote, c’est l’Autrichien Hannes Trinkl qui se parera du bronze, un misérable petit centième devant le malheureux Grison Jürg Grünenfelder qui manqua là l’occasion de sortir lui aussi de l’anonymat.


Un titre olympique, bien que peut-être moins difficile à obtenir, techniquement parlant, qu’une victoire à Kitzbühel, Wengen ou Val Gardena par exemple, vous offre néanmoins une place pour l’éternité auprès du grand public. Et Kabou a su le faire le jour où il le fallait. Un seul jour pour toujours. Un jour, un destin quoi !

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