Le dernier déhanché du bel Andycapé ?

Roland-Garros, c’est sympa. Mais au niveau du suspense et des gradins, c’est assez peu intéressant. Bonne nouvelle, le monde du tennis arrive sur gazon, pour retrouver sa classe toute « british », si tant est qu’elle existe. Pour l’un d’entre eux, trahi par une hanche désormais plastifiée, cette parenthèse sur herbe devait faire office de tournée d’adieu. Pourtant, comme Charles Aznavour, il devrait remettre ça plusieurs fois. Son nom : Andy Murray, grognon devant l’éternel et combattant de tous les instants, malgré un corps aussi rouillé qu’un ouvrier à la retraite. Moqué autant qu’adoré, il voulait tirer sa révérence, à bout. Entre temps, de retour sur les courts, il s’est rétracté. Et pourtant, en tant que bon Ecossais, qu’est-ce qu’on aurait aimé être invité à son pot de départ ! Retour sur le parcours d’une tronche qui nous avait manqué. 

Tout le monde le sait, il est parfois difficile de plaire aux Anglais(es). Certes, pas lorsqu’on est en échange linguistique à Brighton. Mais le mode de vie « British », le côté précieux du Royaume et le dictat des tabloïds ferment parfois la porte à ceux qui ne font pas assez d’efforts pour s’adapter. Alors imaginez comment les séduire lorsqu’on est nonchalant, grognon, un brin caractériel et de surcroît écossais ! « A nous les petites Anglaises », c’est véridique mais pas pour Andy Murray. Aujourd’hui adulé, hier raillé, il en a vu de toutes les couleurs. Sa vie ferait en tout cas une belle intrigue de roman.

Survivandy

Nous sommes en mars 1996. Dunblane, petite bourgade paisible du centre de l’Ecosse, s’apprête à devenir le théâtre d’une des plus effroyables fusillades que la Grande-Bretagne ait connues. Un sombre taré nommé Thomas Watt Hamilton, 43 balais (de trop) au compteur, pénètre dans le gymnase de l’école primaire et ouvre le feu, tuant 16 mômes innocents et leur institutrice. Heureusement, d’autres survécurent. C’est le cas d’Andrew, petit garçon de 9 ans. A sa sortie de l’établissement, il racontera avoir attendu, caché sous son bureau en compagnie de son frère Jamie, le temps que le massacre prenne fin. Il était alors un miraculé. Sans l’avoir décidé, ce jour changea son caractère pour toujours. Il devint plus renfermé, méfiant sans réaliser encore pleinement ce à quoi il avait échappé.

Dès lors, au moment où les caméras se braquèrent à nouveau sur lui, à l’orée de ses débuts sur le circuit ATP, on se rappela de lui et de son passé. Sa destinée plus que particulière lui offrit un rang de star dans son pays natal avant même qu’il eut le temps de prouver quoi que ce soit sur le court. Le bonhomme, assurément timide et au moins aussi à l’aise qu’Henri Laaksonen devant les caméras, commença donc à les éviter, un peu par peur mais surtout par recherche de tranquillité.

Mummyfié

Car entre-temps, le petit Andy avait démontré durant son adolescence quelques facultés intéressantes avec une petite balle jaune. Finaliste du célèbre tournoi des Petits As en 2001, il élimine un inconnu serbe nommé Novak Djokovic en quarts avant de s’incliner en finale contre la légende Alexandre Krasnoroutski. Sa progression est contrôlée de A à Z par sa mère Judy. Profitons-en ainsi pour liquider le sujet ! Dans les box réservés aux proches des joueurs, la férocité des encouragements de Judy Mu(m)rray irrite spectateurs et téléspectateurs autant que Serena Williams et Alizé Cornet prises de crampes simultanément. Pas aimable pour un sou (rien à voir avec la prétendue radinerie écossaise), Judy a sans doute participé à faire augmenter la cote de popularité de Mirka Vavrinec-Federer, ce qui relève de l’exploit, et suscité des vocations chez une certaine Véronique Rabiot dans le rôle de la mère couveuse. Ah, ce qu’on aurait aimé que Cantona, entre deux déclarations complètement dépassées, se soit reconverti dans le tennis pour envoyer un petit kick dans les gradins. Ce qui est sûr, c’est que l’ombre de Judy planait sur le dos de son enfant et que cela ne valait pas vraiment de commentaires sympathiques à son protégé.

Judy Mu(m)rray, idole de Véronique Rabiot

Mais l’amorcement du gain de l’opinion publique commença à la fin de l’année 2011. Le choix qui dicta ce nouvel élan fut celui de son entraîneur, le jovial ancien numéro 1 mondial Ivan Lendl. Comme d’un coup de baguette magique, Murray apparut transformé durant l’Open d’Australie. Un jeu résolument plus offensif et un calme apparent qui le menèrent jusqu’à une demi-finale d’un niveau exceptionnel perdue face à un ancien quart de finaliste des Petits As. Cette première étape en appelait d’autres.

Le dayclic

Wimbledon, la même année. Ce tournoi, Andy l’amorça en devant supporter une pression dépassant ce qu’il avait dû vivre auparavant. Ce n’est peut-être que dans sa salle de bains qu’il se sentait libre, hors du cadre de la BBC. Plus les tours avançaient, plus les caméras qui l’encerclaient se multipliaient. Nadal, éliminé prématurément, lui ouvrit le tableau et Murray parvint à réaliser l’objectif ultime de la carrière d’Yves Allegro : atteindre une finale. Sauf que lui c’était en Grand Chelem, la première fois pour un Britannique sur ses terres depuis 74 ans.

En finale, il produit un match mémorable d’intensité, un combat héroïque avec une touche de classe qu’il n’avait jamais montrée au cours de sa carrière. Tout autour de lui avait changé. Sa mère était passée au second plan, sa petite amie Kim Sears attirant maintenant les regards. Son attitude sur le court, d’habitude grognonne, laissait place à quelques semblants de sourires. Murray s’inclina en 4 sets face à un Federer ressorti pour l’occasion une première fois du livre des légendes, et éclata en sanglots au moment du traditionnel discours. Le Daily Mail, tabloïd qui a lui, malheureusement, toujours sa version papier, ne s’y trompa pas en titrant le lendemain : « Don’t cry girls, he did us proud » avec une photo montrant Kate Middleton et sa copine (celle de Murray hein, pas de scoop véreux ici), la larme à l’œil. Un titre qui ne manqua sûrement pas d’interloquer Mirka qui eut envie de répondre « Cry baby, cry » mais Twitter n’existait pas encore, tout comme Stan Wawrinka à peu de choses près. L’Ecossais croyait qu’il venait de tout perdre. Au contraire, il venait de s’offrir un futur radieux. Adulé en Ecosse, il était désormais admiré dans tout le Royaume. Tout un symbole.

La machine était lancée. 2012 le vit remporter son premier Grand Chelem à New York et les Jeux Olympiques à domicile, son deuxième déclic. Puis arriva 2013 et son premier sacre sur le gazon londonien en disposant facilement d’un ex-junior serbe de qualité douteuse. Murray avait alors solidifié depuis longtemps déjà, au contraire d’Arsenal, sa place comme membre du Big Four. Il réalisa sa meilleure saison en 2016 avec neuf titres, dont un deuxième Wimbledon et les Masters, tout en étant couronné numéro 1 mondial grâce à sa régularité, caractérisée par ses finales perdues à Melbourne et Paris. Un an auparavant, il gagnait la coupe Davis à lui tout seul. Au total, 3 titres en Grand Chelem pour 8 finales perdues. Un presque tout grand parmi les tout grands.

Humour et vêtements

Hors des courts, c’est du côté de son humour, largement sous-estimé, qu’il faut aller chercher. Et il suffit d’aller faire un tour sur son compte Twitter pour en être témoin. En guise de description de haut de page campe un laconique « I play tennis ». L’art de la formule. Puis, sa dernière prouesse : après plus d’un an d’inactivité sur le même réseau, il tweete durant le dernier Roland Garros : « Just here to see if this still works… » Absurde et décalé comme on aime, tel que l’est le personnage, derrière ses airs penauds.

Mais Murray, c’est aussi le mauvais goût, vestimentaire surtout. Pourtant parti sur des bons rails avec les tenues de son classieux prédécesseur, Fred Perry, il bifurqua rapidement vers des créations toutes plus infâmes les unes que les autres. Avec en point d’orgue sa collaboration avec Under Armour et le lancement de son logo AM dont le style déclencherait un arrêt cardiaque chez tous les étudiants en première année de design. (Par respect pour celui qui a été anobli par la reine depuis, on n’évoquera pas ici le visuel de ses chevillères, aussi dégueulasse qu’un combo Birkenstocks-chaussettes).

Oh la (double) faute de goût !

Pourtant, lorsqu’on a vu Andy débarquer cette année en conférence de presse à Melbourne, on a eu le cœur serré. Ses larmes, sincères, traduisent le goût de ces champions pour l’effort qu’ils ne peuvent plus atteindre. Souffrant toujours de sa hanche pourtant opérée en 2018, il envisageait à peine faire une dernière fois bonne figure à Wimbledon devant un public désormais unanimement acquis à sa cause. Entre temps, grâce à une rééducation visiblement positive, il a foulé le gazon du Queen’s en double et vise un retour en simple en septembre. Et gageons qu’il saura encore dégainer quelques coups droits courts croisés dont il a le secret, car on a beau eu chercher, on n’a pas trouvé mieux dans le domaine sur le circuit.

Murray, c’est pas ton meilleur pote mais celui qui est présent. Celui qui n’est peut-être pas arrivé au bon moment, trop tôt ou trop tard, on ne saura jamais. Celui qui est un peu sur la défensive, qui ne l’ouvre pas tout le temps, mais qui a l’art de la formule. Pourtant il était là, et faisait grandement partie de la bande. La tête baissée et haute à la fois. Parmi les trois géants du tennis actuels, il fallait être costaud pour se faire une place et Andy l’a fait. Alors, « Cheers Pal’ » comme ils disent chez toi. Welcome back et merci de t’être aussi bien planqué sous ton bureau une matinée de 1996. Tu n’étais pas visiblement pas prêt pour profiter de ta retraite et de tes dim-hanches.

PS : j’ai plus envie de venir boire une binch avec toi qu’avec les trois autres…

A propos Pierre Diserens 75 Articles
Comment est votre blanquette ?

Commentaires Facebook

2 Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.