L’instant qui trique: Anelka – l’incompris

Avez-vous remarqué que les documentaires sportifs pullulent en ce moment sur les plateformes de streaming depuis le succès de “The Last Dance” ? Même si le genre est vieux comme Hérode (rappelez-vous de “Pumping Iron” en 1977 sur les années gonflettes de Schwarzie), il est normal qu’avec toutes ces grandes compétitions annulées, le public d’aujourd’hui se soit retrouvé en manque de sport sur petit écran. Mais attention, ces reportages sont souvent validés ou même commandés par les principaux sujets étudiés et l’hagiographie n’est jamais loin. Chez Carton-Rouge, on s’est dit qu’une rubrique de décryptage et d’analyse de ces contenus s’imposait. Bienvenue donc dans “l’instant qui trique” consacré à “Anelka l’incompris”, disponible depuis le mois d’août sur Netflix.

Le documentaire commence en toute sobriété avec Anelka, tel un Lawrence d’Arabie version Lidl, faisant son footing dans le désert. On le voit ensuite réveiller ses enfants au petit matin, ce film s’annonce décidément trépidant. Pour bien montrer que le public est invité à suivre l’histoire d’un mec un peu extraterrestre, le titre apparaît à la manière du film Alien, quelle finesse! Pour habiter volontairement à Dubaï, c’est sûr qu’il faut être un peu bizarre.

Ensuite, c’est le passage en revue des différents intervenants. On y croise des amis (Omar Sy mais sans Jamel qui devait être occupé), des journalistes, des sommités du monde du foot et Arsène Wenger. Même Didier Drogba fait un coucou affublé d’un pull violet miteux qui inquiète sur l’état de sa situation financière. Quand Patrice Evra nous annonce que son pote Anelka est un gars sûr, on se dit qu’avec des amis pareils, on a pas besoin d’ennemi. Sa carrière est retracée club après club, mais pas tous sinon le documentaire aurait duré 15 heures. Son frère essaie vainement de le faire passer pour un second Jean-Marc Bosman lorsqu’il a rapidement quitté le PSG, son club formateur, pour partir à Arsenal. Ce qui ne se faisait pas à l’époque, c’était le bon temps ma bonne dame que voulez-vous.

Arsène vénère

Chez les Gunners, il boude rapidement car il joue peu, alors un jour il décide de faire ses valises et de rentrer en France. Heureusement l’entraîneur, ce bon vieux Arsène Wenger, arrive à le raisonner pour qu’il reste encore un peu. Magie, Nico enchaîne ensuite quelques bons matches mais là c’est le drame! Au lieu de consolider son jeu à Arsenal en restant quelques années, il décide de partir à 19 ans au Real, un club selon lui “d’un calibre supérieur” à Arsenal. Sympa pour Arsène, on dirait qu’il passe directement de l’Étoile Sportive de Trappes à Madrid. C’est le moment pour Karim Nedjari, un journaliste sportif, de nous sortir une phrase mythique: “Anelka est transféré au Real pour 220 millions de francs, c’est le plus grand transfert de tous les temps. C’est Mbappé et Neymar en même temps”. Pardon monsieur mais 220 millions de francs, c’est 45 millions d’euros, inflation comprise, et Neymar + Mbappé c’est 222 + 180 = 402 mio d’euros. Plus c’est gros, plus ça passe.

A Madrid c’est la catastrophe, il est mis de côté par ses coéquipiers et la presse espagnole est impitoyable. Nico boude, il est très triste de son sort, Germinal à côté c’était le club Med et il décide de faire la grève (déjà?). Il rejoue un peu plus tard et par miracle il fait deux ou trois bons matches en Ligue des champions et gagne même la coupe aux grandes oreilles. Il enchaîne sur la victoire à l’Euro 2000 avec l’équipe de France, mais comme il estime avoir mal joué, il n’aime pas ce titre, il préférerait le supprimer de son palmarès. Le football est bien le plus individuel des sports collectifs.

La garde-robe de Didier Drogba inquiète sur l’état de ses finances.

Toi, c’est normal

Vient ensuite l’explication sur le traumatisme des six exclus de l’équipe de France 98 à la veille de jouer la Coupe du monde à la maison. Le sélectionneur, Aimé Jacquet, avait convoqué les pauvres gaillards (Nico faisait partie du lot) dans son bureau pour leur expliquer à chacun la raison de leur éviction tardive. Pour Anelka, “Mémé” lui aurait juste dit “Toi, c’est normal” avant de passer au suivant. Le joueur a peu apprécié la concision de l’exposé, mais pourtant après avoir vu le documentaire, ça me parait être une explication absolument parfaite.

Arrive la séquence la plus malaisante lorsque le gentil Nico essaie de se justifier sur sa quenelle réalisée après un but en 2013. Il jouait à l’époque dans un quelconque club anglais et sa quenelle était soi-disant à l’attention de son entraîneur suite à une énième dispute. Face caméra, il bafouille qu’il ne captait pas les chaînes de TV françaises à l’époque et qu’il avait à peine internet (on est en 2013, pas en 1993), que la quenelle il savait pas trop ce que ça voulait dire et que oui bon ok le geste est antisémite, mais encore fallait-il prouver que lui l’est. L’enquête interne du club n’ayant pas permis de le prouver, il est donc parfaitement innocent ! Bel effort de remise en question. Il avait pourtant dit à Metronews en 2014 que Dieudonné était devenu un frère pour lui et que c’était le meilleur type de France, mais étrangement cela ne figure pas dans le doc. Là où il se sent coupable en revanche, c’est d’avoir raté un pénalty en finale de la Ligue des champions en 2008 avec Chelsea. Il se sent comme un traître pour avoir déçu le milliardaire russe Abramovitch. Chacun sa croix.

Va te faire enc…, avec ton équipe de m…

La dernière partie se concentre évidemment sur le gros morceau que tout le monde attendait: le psychodrame de Knysna en 2010. Après avoir raté la Coupe du monde 98, 2002 et 2006, le brave Nico essaie de nous faire croire que suite à un mauvais pressentiment, il a failli refuser de la jouer. Il a décidément un sens de l’humour particulier. On se croirait ensuite dans Inception quand Domenech apparaît soudainement dans un écran de télévision via un extrait tiré d’un autre documentaire pour avouer que la fameuse phrase ordurière prononcée par Anelka à la mi-temps du match France-Mexique, n’était pas celle en une de l’Équipe que tout le monde connaît.

Le plus drôle c’est que ce n’était même pas une phrase ordurière, c’était une phrase nonsensique et absurde. Après que Domenech lui aurait demandé d’ajuster sa position sur le terrain, Nico se serait senti attaqué au plus profond de lui et il aurait dit: “T’as qu’à la faire toi-même ton équipe de merde”. Je vous laisse réfléchir au sens profond de cette phrase assénée à l’entraîneur d’une équipe de football. C’est comme si lorsque votre femme vous engueule, vous lui répondez “T’as qu’à le choisir toi-même ton mari de merde”. Le documentaire touche à sa fin et essaie pathétiquement de dédouaner Anelka de tout ce qui s’est déroulé ensuite. Quand on apprend dans le générique final que le documentaire a été produit par Doug Pingisi, l’ex-agent du joueur, on se dit que ça, c’est pas normal.

La plus grande honte d’Anelka n’est pas celle que vous croyez.

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