La Fantasy à s’y méprendre (d’être manager)

Depuis une dizaine d’années en ligne, la Fantasy League est un phénomène immense qui s’intensifie lorsque tout début de saison sportive commence. Elles pullulent par milliers, et peuvent rapporter des millions… mais aussi de petites satisfactions personnelles à la fin de chaque semaine. Aujourd’hui, aucun sport (sauf peut-être le tchoukball) n’échappe à la rotisserie (comme appelée dans le jargon) qui immerge un fan lambda dans la peau d’un manager à succès. Ou presque.

Pour tous les Jean-Maurice nés en 1936 et qui n’ont aucune idée de ce qu’est une « Fantasy League », en voici un descriptif assez simple : c’est un jeu en ligne qui, comme tout souvent, devient vite une drogue. Si bien décrit par notre partenaire au quotidien Wikipédia, son but est que « les participants endossent le rôle de propriétaires d’équipes sportives, et défient d’autres joueurs sur la base des résultats des joueurs et formations de la vie réelle. En fonction de la pertinence des choix stratégiques effectués, le joueur « fantasy » reçoit un certain nombre de points. Comme un véritable propriétaire d’équipe, le joueur peut vendre, acheter ou rompre le contrat d’un membre de son équipe. »

Pour mieux comprendre le phénomène, en une dizaine d’années, la Fantasy League a réussi à engranger près de 80 millions d’utilisateurs, avec notamment une estimation d’environ 20% des Américains et 15% de la population canadienne qui y participent lorsqu’il s’agit de football US. On compte ainsi une augmentation de 270% de participants entre 2003 et 2015 rien qu’en Amérique du Nord selon une étude de Sports Management Degree Hub. Parmi eux, plus de la moitié sont des jeunes adultes et plus de trois-quarts en pincent pour le sport du touchdown, qui génère à lui seul près de 19 milliards de dollars.

Bref, si j’écris cet article, c’est que moi aussi je ressemble à ces nombreux Nord-américains happés par la folie. Dans les faits, j’ai intégré récemment une ligue et les effets sont aussi jouissifs qu’un bon bol d’Ovomaltine, mais aussi dévastateurs qu’une tranche de pain étalée de Cenovis.

Du football au basket, il n’y a qu’un pas

Il y a quelques années, j’avais testé une Fantasy League nommée « Mon Petit Gazon », spécialisée dans le football. La plateforme, créée par une bande d’amis bourrés dans un bar en 2011, a déjà séduit plus de 1,8 millions de personnes qui sont à 90% des hommes. Surprenant. Son aspect humoristique, plein de dérision (à l’image de Carton-Rouge bien sûr), m’a assez vite séduit avec ses références à la culture foot (certains bonus sont par exemple nommés « La valise à Nanard », « Chapron rouge », « Rotaldo » ou encore « Tonton Pat’ ») . Il faut dire aussi que le slogan du site, c’est : « du foot, des amis, des barres de rires ». Pour le contexte, j’avais aussi face à moi de redoutables amis spécialistes de la Premier League – et fans ultimes d’Arsenal – qui étaient assez convaincants pour me dire de rejoindre leur groupe. Tout du moins plus convaincants que leur équipe de coeur depuis dix ans. À ce moment là, je n’ai pas osé leur dire que je n’en n’avait strictement rien à foutre de cette ligue, à l’exception de West Ham que j’ai vu une fois dans ma vie à Boleyn Ground. D’ailleurs, je crois que j’en étais resté au stade du double transfert improbable de Tevez-Mascherano vers mon équipe favorite anglaise, c’est dire.

Complètement largué, il fallait que je bosse dur pour atteindre le sommet, mais les ligaments croisés tu connais… Bref, c’était une catastrophe. Bon dernier du classement au niveau des points à la fin de la saison notamment en raison de mes connaissances limitées et de ma faible assiduité – il faut modifier ton équipe chaque semaine pour maximiser tes points -, je me suis finalement résigné à payer une tournée de bières avec mes maigres économies de l’époque. « Plus jamais ça », je me suis dit. Jusqu’à ce 17 octobre 2021.

En grand fan de basketball, c’est la délivrance dès que je découvre qu’un groupe d’amis – volleyeurs pour la plupart – s’adonnent à la ESPN Fantasy League depuis quelques années déjà. Un rituel dans lequel il est aussi difficile de s’insérer que dans le club berlinois du Berghain. Par chance, deux recrues (dont moi) rejoignent le groupe. C’est l’occasion de prouver à tous mes concurrents que, cette fois-ci, j’y connais quelque chose dans ce sport. Sauf que les autres, ils s’y connaissent eux aussi… et c’est bien là le problème. Un éternel recommencement. Assez vite, je découvre l’effervescence de la Draft avec l’annonce de sa place une heure avant. Elle détermine finalement une bonne partie de l’issue de ta saison car si le recrutement est astucieusement fait, la saison est supposément réussie. Dans le cas contraire, il faut redoubler d’astuces pour engranger des points.

La Draft, ton univers impitoyable

Pour ne pas répéter l’erreur de « Mon Petit Gazon », je me suis dit que j’allais passer une bonne heure à éplucher les meilleures tendances, voir quels joueurs seront à suivre pour la saison, comprendre les projections données par les professionnels américains de la Fantasy League. J’avais ma liste de joueurs prête et ma petite bière devant mon iPad. Puis tout s’est écroulé : 4ème à sélectionner, je ne sais que faire puisque mes trois premiers choix sont pris. Au revoir Giannis, MVP en puissance, mais aussi le magicien Doncic et la pépite des Nuggets Jokic. Je me retrouve donc à sélectionner un joueur que je n’apprécie pas mais dont j’imagine qu’il me rapportera des points. C’est le choix de la raison plutôt que du coeur avec James Harden. À ce moment-là, je crois avoir vécu le plus gros dilemme de ma vie depuis le choix entre Carapuce, Bulbizarre et Salamèche dans Pokémon Rouge, c’est dire.

La suite? Une heure de stress où je sélectionne finalement peu de joueurs que je voulais à la base et une sacrée désillusion. Adieu mes statistiques, mes feuilles de calcul Excel et mes espoirs. Me voici face à la dure loi de la Fantasy League, avec une équipe qui me correspond à moitié, mais finalement très homogène sur le papier avec le crack Morant, le récent champion Middleton, le polyvalent Sabonis et le mur Gobert. Cette Fantasy League est tout de même aussi frustrante que de patienter 10 minutes à la caisse du supermarché avec une vieille dame qui paie en pièces de 10 centimes.

Le seul point rassurant, c’est qu’au contraire du supermarché où tu dois encore passer à la caisse et perdre une partie de salaire dans des packs de bières et de la lessive, c’est que pour l’instant j’y gagne plutôt que d’y perdre quelque chose : je suis premier de cette Fantasy League.

Voilà enfin l’accomplissement d’une vie.

A propos Vic Perrin 21 Articles
Un peu casse-cou, mais pas trop casse-couilles

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