Quand on aime on ne Conte pas

Le LHC a recommencé à gagner (un peu) et s’éloigne de la zone rouge ? Même le LS commence à résister au puissant voisin yverdonnois et se prend à rêver de Super League ? Autant dire qu’il était grand temps de changer d’air pour la rédac’ mauvais esprit de Carton-Rouge. Aussitôt dit, aussitôt fait: le temps pour notre plus infâme scribouillard d’enjamber les Alpes, et c’est à San Siro que notre envoyé assez peu spécial a retrouvé une équipe qui fait plaisir: 5 défaites en 9 matches en 2023, 19 buts encaissés et 3 roustes (0-3, 0-4, 2-5) pour les champions d’Italie en titre, sans compter une infirmerie qui n’a pas grand chose à envier à ce qui reste de celles de la zone frontalière turco-syrienne.

Le trajet

Six heures de train entre Lausanne et Milan, dont deux passées à Brig, charmante bourgade que l’on place aisément à 8 (à égalité avec Domodossola, Kerzers et Le Locle) sur l’Echelle Moutier-Viège des villes mortifères ? Force est de constater qu’on a connu mieux. Un ongle de Gail Devers sur un tableau noir ou un concerto en douze actes donné par un violoniste manchot par exemple. Sans parler du fait que la couverture réseau offerte par Salt en plein cœur du Haut-Valais n’a pas facilité le visionnement d’un Milan-Torino télévisé – et surtout insipide – depuis la voie 5 brigoise, histoire de se mouiller la nuque avant mardi (tetcheu, elle est froide !).

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Brig, de sortie avec ses potes Sion et Martigny un vendredi soir de février.

Mais passer deux heures à Brig (on le répète, tant l’expérience est enrichissante) nous aura au moins aidé à relativiser la durée moyenne d’une prestation de Ricardo Rodriguez. Et donné l’occasion d’entendre un contrôleur quadrilingue sortir un « par conséquence notre train est retardé en raison d’une durée indéterminée » digne d’un discours sur l’état de l’Union américaine écrit par Ueli Maurer.

Bref, vous l’aurez compris, la probabilité qu’un « accident de personne » se produise sur le tronçon Brig-Domodossola est à peu près aussi élevée que le Cervin.

Le contexte

A côté de ça, se procurer un sésame pour le quart de finale de Champions League Milan-Tottenham du mardi 14 février (on avait bien fait de prendre quatre jours de marge, finalement c’était tout juste) s’apparentait à un jeu d’enfant, même si notre carte de crédit a immédiatement demandé le divorce pour différends irréconciliables. Le jour de la fête d’un certain Valentino, avouez que c’est ballot.

Et gagner le droit de se délester de 7 € (les 2 € de traitement de dossier valent donc presque la moitié du billet) pour assister à la partie que disputait l’équipe féminine milanaise face à Pomigliano deux jours plus tôt ? Le dépôt le plus ardu depuis celui du sparadrap du Capitaine Haddock. Après avoir décliné nos nom, prénom, lieu et date de naissance, lieu de résidence, nationalité, état civil, adresse e-mail, numéro de téléphone, tour de taille, circonférence des orifices nasaux et nom de jeune fille à au moins cinq reprises, c’est dans la poche. On voudrait nous dissuader d’assister à du football féminin qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Et pourtant habituellement on fait tout pour promouvoir ce sport, surtout au niveau des horaires.

Car oui, le foot féminin existe à Milan, malgré la non-couverture médiatique et la totale négation de son existence jusqu’au musée du club, dont l’histoire s’arrête en 2014, soit 4 ans avant la création de la version actuelle de la section féminine du club. Vous voulez vous acheter le maillot de l’internationale suédoise (comme son nom l’indique) Kosovare Asllani floqué de son numéro 9 ? Il va vous falloir une bonne connexion internet parce que le merchandising ne s’accorde pas non plus au féminin en Lombardie.

Le cadre 1

Il faut le voir pour le croire. Du coup on vous l’explique en image et en couleurs (👋 Jean-François Develey):

Arrivé à l’arrêt de tram indiqué par Google Maps, à 45 minutes au sud du Dôme, la localisation du stade n’est pas immédiatement évidente.

Alors a priori c’est pas par là.

Par là non plus… Pourquoi jouerait-on dans une ferme désaffectée au juste ?

C’est là ! Euh… on escalade la grille ?

Bon, le match commence quand même dans 20 minutes… On fait du stop ?

Attendez, on aperçoit quelque chose à l’horizon !

On y est ! Il y a plus de stadiers que de tifosi et il faut montrer son billet et sa carte d’identité pour passer les portes de ce qui ressemble à s’y méprendre au terrain du Censuy à Renens. Un livre de poche (on vous rappelle qu’on vient de se taper 45 minutes de tram) est à deux doigts de nous recaler à la dernière minute (« – Les livres ça rentre ? » « – … » « Bon, mais le lancez pas, hein… »).

Le Censuy on vous dit. On se demande si le FC Renens féminin n’aurait pas eu une chance d’ailleurs. La phase éliminatoire de l’Euro, la Women’s Champions League et la Barclays Women’s Super League, c’est du haut niveau. Le milieu de classement de Serie A, euh… moins.

Le cadre 2

Tetcheu c’est beau (1).

La semaine en deux mots

Bis repetita.

1-0 dimanche, 1-0 mardi.

La femme du match 1

Ana Lucía Martínez. L’attaquante guatémaltèque* de Pomigliano a tout fait du bas de son mètre 57 pour se frayer un chemin entre les tours islando-danoises de la défense lombarde, mais rien n’y a fait, même en passant par les douves. Deux buts annulés pour hors-jeu (y a-t-il pire règle que l’attente de la fin de l’action pour lever ce p***** de drapeau, même quand ladite action s’achève 45 secondes après le constat de l’infraction ?) et quelques sauvetages improbables, même mis bout à bout, valent toujours zéro point au tableau d’affichage imaginaire de Vismara. Mais comme chacun sait, c’est tellement plus beau quand c’est inutile.

*On a toujours rêvé de placer cet adjectif dans un article. Couvrant principalement le hockey masculin, on pensait vraiment ne jamais y arriver.

Les hommes du match 2

L’AC Milan, depuis 2021, c’est l’histoire de quatre mecs. Mike Maignan dans la cage, Theo Hernandez en rampe de lancement dans son couloir gauche, Rafael Leão à la percussion (et à la magie) et Olivier Giroud à la finition. Le problème en 2023 ? Le portier français est sur le flanc depuis octobre et les trois autres sont revenus du Qatar sur les rotules. Résultat, le Milan est tout au plus une équipe du ventre mou de Serie A. Mardi soir face aux Spurs, le Diavolo a retrouvé tout son côté gauche d’un coup et on a vu la différence. Toutes les accélérations sont parties des pieds de Theo et tous les centres dangereux de ceux de Leão, souvent après des gri-gris à vous faire lever un stade comme un seul homme. Prendre le ballon au Portugais sans faire de faute, c’est comme essayer de traverser la Piazza del Duomo sans être pris en photo. Dommage que Giroud, vain, n’ait pu rendre son public ivre de joie avec un deuxième goal qui n’aurait été que justice. Même constat pour Charles De Ketelaere et Malick Thiaw qui ont raté des montagnes alors que les Milanistes les plus prudents battaient déjà en retraite en direction du métro. Bref, les Spurs s’en tirent à bon Conte avec un seul but encaissé à l’extérieur (Brahim Diaz, 7ème minute).

La photo est floue parce qu’on est mauvais, mais Rafa va aussi très vite.

Les buses de la semaine

Sandro Schärer. Un arbitre suisse qui se fait berner, un comble. Harry Kane en rit encore. Il rit parce qu’il est intouchable. On l’effleure, il s’écroule, l’arbitre siffle. Triptyque implacable. Dommage qu’il ne s’applique pas à Giroud de l’autre côté. D’aucuns diront que les Rossoneri n’ont pas besoin d’une telle K… béquille. D’autres que quand Harry rencontre Sa…ndro, ça fait des étincelles. Sans compter le fait que Cristian « The Bay Harbor Butcher » Romero n’aurait jamais dû finir le match.

Le seul sport où tu as le temps de consulter tes e-mails et remplir ta feuille d’impôts à chaque chute.

Ciprian Tătărușanu. Son jeu au pied est tellement hésitant que parfois il ne sait plus lui-même s’il est gaucher ou droitier. 74’320 poitrines retiennent leur souffle à chaque ballon en retrait. On ne parlera pas de ses sorties parce qu’on n’a pas le cœur à le comparer à Yann Sommer. Mais on aurait juré que les tireurs de corners anglais le haranguaient en lui lançant un « Tataru, c’est nous ! » à chaque coup de coin.

Vous trouvez qu’il a l’air rassuré vous ?

Le tournant de la semaine (on est encore sur le cul)

Le moment où on a appris de la bouche de Davide Calabria dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport que son vestiaire vivait toujours bien, merci pour lui, et ce malgré 4 défaites consécutives: « Notre groupe est un groupe fantastique, sain et composé avant tout d’hommes qui s’apprécient, avec de grandes valeurs morales, de respect et d’estime réciproque. Nous restons concentrés sur notre travail avec la tête sur le terrain et qu’on arrête avec ces rumeurs absurdes. » Si ce n’était pas directement tiré de la première page du Grand Livre des Clichés pour Formations en Crise (publié aux éditions P.-A. Dupuis), on en aurait presque la larme à l’œil.

Rien à voir, mais vous savez ce que Jiří Sekáč, top scorer du Lausanne HC, a déclaré aux réseaux sociaux de son employeur exactement 3 jours après Calabria ? « Même quand on traversait cette période difficile, notre groupe n’a jamais explosé. On a tous travaillé dans la même direction en faisant attention à tous ces petits détails qui font la différence. » Il était un peu pressé, sinon il aurait sûrement eu le temps d’ajouter à quel point ses coéquipiers sont des gens bien.

Imaginez seulement quelle doit être l’ambiance perpétuellement euphorique au sein d’une organisation qui gagne si on se sent si bien au coeur d’un contingent qui doute.

Le geste pourri de la semaine

Celui du préfet de Milan, qui a décidé d’interdire la vente d’alcool au centre-ville ainsi qu’aux abords du stade entre 9h et 20h le 14 février. Pédagogue, le fonctionnaire lombard a tout de même laissé la possibilité aux supporters anglais de s’envoyer une pinte au petit déj’ et de noyer leur chagrin dès la fin du match au milieu de la déchèterie à ciel ouvert qu’était devenu ce pauvre Giuseppe Meazza.

Vous pensez que les Spurs ont eu un léger hiatus dans leur histoire européenne ?

Ceux sur qui on est tombé dans le métro devaient séjourner en banlieue, c’est la seule explication. Humer l’air ambiant suffisait à passer à deux pour mille instantanément. Après 6 longues minutes de chansons paillardes (leur prononciation du mot « c*** » nous a aidé à confirmer leur provenance), à la sortie du M5 pour San Siro, on avait envie d’entonner le seul chant que connaissent tous les artistes de rue qui se produisent devant le Dôme pour fêter notre retour à l’air libre: Hallelujah !

Bon, ils connaissent aussi Chasing Cars de Snow Patrol, mais en voyant la rangée de Robocops munis d’armures, de boucliers et de matraques à la sortie du métro, on s’est dit que le thème aurait pu nous attirer des ennuis.

C’est parce qu’on ne savait pas encore qu’il faudrait passer par le tourniquet de l’enfer au retour à minuit passée.

Quant aux amoureux en vacances romantiques à Milan, on ne sait pas ce qu’ils ont fait de leur début de soirée en toute sobriété, les pauvres. Une bague de fiançailles dans un verre d’eau gazeuse, ça passe ?

Les chiffres à la con

3. Comme le nombre de défenseurs alignés de part et d’autre par Stefano Pioli et Antonio Conte (jusqu’à trois en tout cas), chiffre qui faisait trembler toute la Lombardie et le Nord londonien depuis plusieurs jours. Contre toute attente, les deux arrière-gardes ont plutôt bien tenu (mention spéciale au très jeune Thiaw). N’est pas Murat Yakin qui veut. Les deux coaches se féliciteront peut-être dans quelques semaines dans la presse à scandale de ne pas avoir dû aligner Sommer et Schär.

POV: Kane face à la défense milanaise.

9’133’842. En euros, le pactole amassé par le caissier de San Siro mardi soir (record d’Italie). Et pourtant on croit savoir que, contrairement au Parc des Princes, les billets visiteurs situés dans le troisième anneau ne coûtaient pas 70 €…

L’anecdote

Jan Grarup, vous connaissez ? Nous non plus. Figurez-vous que ce photographe danois – supporter de l’AC Milan à ses heures perdues – a profité d’un voyage au Sud Soudan pour récupérer un maillot floqué Balotelli aussi déchiré que Patrick Fiori aux plus belles heures de la comédie musicale francophone. Le petit garçon qui a fait l’acquisition d’un maillot tout neuf en échange de ses haillons n’y a apparemment pas compris grand chose. En apprenant que ce que Grarup appelle « une oeuvre d’art » (on emploie ce mot de manière de plus en plus libérale, vous avez remarqué ?) est maintenant une NFT, on avoue qu’une de nos deux saillies arquées musculo-cutanées et poilues a également effectué un haussement significatif.

Il paraît que le vrai finit aussi parfois complètement déchiré au Flon. Barth Constantin parviendra-t-il à en faire une NFT ?

Et sinon dans les tribunes ?

Tetcheu c’est beau (2).

Désolé pour les trous dans le tifo causés par les abrutis comme nous qui font des photos et des vidéos au lieu de brandir ce truc dont les 75’000 exemplaires ensuite jetés n’importe où ont annulé en quelques secondes le tri de tous vos déchets domestiques sur les 15 dernières années.

La minute Johan Djourou

Figurez-vous que nous avons eu l’honneur d’être assis devant ce qui aurait pu être l’entier de la rédaction 100% féminine de Cartellino-Rosso.it – si tant est qu’elle existe – lors du Milan-Pomigliano de dimanche après-midi, tant le ton des commentaires des cinq spectatrices en question touchait souvent au sarcasme. Morceaux choisis:

Début de deuxième mi-temps:

– Guagni (ndlr: Alia Guagni, internationale italienne et latérale de l’AC Milan) joue en attaque ?

– Non. C’est la tactique de « Mister » Ganz (ndlr: Maurizio Ganz, ancien attaquant de l’Inter et du Milan TRAÎTRE et coach des Rossonere). A force il ne lui restera plus qu’à jouer au goal…

Quelques minutes plus tard, une joueuse rouge et noire se blesse et, alors que la grande majorité de ses coéquipières la laissent à son triste sort pour se ruer sur une rasade d’eau fraîche (la fameuse chère rasade des contes de Milan et une nuit):

– Cooling break ?

– Oui, parce qu’il fait chaud… (ndlr: il faisait 14 degrés au soleil sur la pelouse et MOINS MILLE à l’ombre dans les tribunes)

Aux alentours de la 70ème minute (ndlr: il n’y avait évidemment pas de tableau d’affichage au Centro Sportivo Visnara, on a fait comme on a pu en comptant sur nos doigts gelés) alors que les Milanaises posent le ballon pour tirer un rare corner:

– Je signerais pour un match nul.

Littéralement 4 secondes plus tard, cafouillage digne d’une intervention de routine de la cellule communication du LHC dans les 16 mètres adverses et les locales ouvrent le score. Il paraît que c’est la bien nommée Martina Piemonte qui a marqué. Pas sûr, on attend confirmation avec un ralenti sur l’écran… euh ah non.

– C’est mérité ! (ndlr: même notre niveau B1 en italien nous a permis de saisir l’autodérision dans cette remarque)

Ganz enerviert.

On aurait aussi pu vous parler du beauf qui a hurlé des « COURS ! » et autres « TIRE ! » pendant 95 minutes, mais on a décidé de préserver les âmes innocentes qui pensent que les gros débiles sont encore cantonnés au sport masculin. Pour nous c’est trop tard, hélas.

On vous narrera également les exploits du marionnettiste de San Siro, sans qui les 22 acteurs et le corps arbitral n’auraient pu effectuer aucun mouvement (« Sors ! » « Siffle ! » « Ne tire pas ! » « Fais faute ! » « Carton ! », etc.) ni se rappeler de leurs noms respectifs et qui résumait ses analyses via des audios sur son portable quand il ne parlait pas tout seul. Mais une autre fois, parce qu’on est fatigué rien que de repenser à ce voisin remuant. Même s’il nous a quand même fait sourire avec sa soudaine tendresse pour PieRRRRe Kalulu, devenu « Pierino » en fin de match. 

La rétrospective du prochain match

Du côté de l’AC Milan Femminile, on se déplacera à Côme le 26 février, après la pause internationale. Et pour leurs collègues masculins, c’est un derby rigolo face au Monza de Silvio Berlusconi et Adriano Galliani qui s’annonce samedi soir. Ça tombe bien, l’homme qui compte plus de liftings que de (fausses) dents n’a en aucun cas fait monter la sauce avant la rencontre.

Post scriptum

La Gazzetta précise le temps de lecture de ses articles en bas de page. Celui-ci vous a probablement pris une demi-journée, raison pour laquelle CR continuera de ne pas effrayer sa poignée de lecteurs restants en ne dévoilant pas ce genre de statistiques.

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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1 Commentaire

  1. …entendre un contrôleur quadrilingue sortir un « par conséquence notre train est retardé en raison d’une durée indéterminée »…
    Wouah ! Plié de rire 😂 ! Grand favori pour le Prix Champignac en fin d’année !

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