Si tu vas à Rio…

Ils l’ont fait. Avec l’Italie, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas, la Suisse est l’une des nations européennes qui aura l’honneur de vivre la Coupe du Monde la plus excitante de ce début de 21ème siècle. Avant même la fin des qualifications, la Nati est certaine de partir au Brésil, vu que l’on imagine difficilement la Slovénie ou l’Islande être repêchée à cause d’une guerre civile opposant une union des Argoviens et des Appenzellois contre le reste de la Confédération (en même temps cela serait bon signe pour notre remplaçant vu les résultats de l’Euro 92).

Polémique de bistrot

Quand on n’a pas grand chose à dire concernant les matchs à jouer de ces deux dernières journées où il semblait peu probable de ne pas arracher au moins un point (même si, certes, on a essayé de nous foutre les jetons avec les réminiscences du coup de génie de Kostadinov face aux Coquelets de 1993), on cherche à donner du poids a des problématiques totalement anecdotiques. La polémique en carton concernant les joueurs d’origine kosovare a frisé le mauvais goût au bout d’un moment. Parfois presque teinté d’un esprit de nombrilisme néocolonialiste qui tendait presque à prendre les nations qui ne font pas partie de l’Europe occidentale pour des sauvages. Outre les éternels calembours, entendus ça et là du style «oh oh c’est un derby» ou «oh oh il n’y aura que des autogoals», le traitement médiatique de la question a été proche d’un symptôme de paranoïa avancée. Ou même de schizophrénie quand on observe avec amusement les joueurs de football professionnels se faire traiter à longueur d’année de mercenaires sans honneur, intéressés uniquement par l’appât du gain et de soudain les affubler d’identitarisme plus fort que tout qui les feraient renoncer à exercer correctement leur métier contre une nation dont ils n’ont pas choisi de défendre les couleurs.
Alors on reprend des propos de groupements quasi folkloriques, tant leur impact politique en Albanie est aussi puissant qu’un lobby d’amateurs de jeux de rôle boutonneux qui se déguisent en mage ou en fée le samedi. On appuie encore avec des menaces qu’a mis un blogueur traitant Shaqiri de traître. Et avec tout cela on essaie de créer une ambiance d’angoisse et de polémique (certes ayant un caractère bien vendeur) alors qu’aucun joueur de l’équipe n’a exprimé la moindre position de dilemme par rapport à cela.
Tout cela fut définitivement plombé d’absurdité quand l’on voit le match lui-même joué dans un excellent état d’esprit et des joueurs albanais se distinguant par la classe et la sobriété de leurs propos. Certes, il y eut des contacts rugueux sur le terrain mais rien de fourbe et pas l’ombre d’une simulation par exemple. On me rétorquera qu’une banderole de mauvais goût fut déployée et que certains joueurs furent constamment sifflés par le public, Behrami en tête qui ne l’a, d’ailleurs, pas apprécié. Mais franchement, siffler un hymne fait davantage partie du jeu de supporter, comme siffler l’équipe adverse. Ce n’est bien sûr pas l’acte qui mérite un Prix Nobel de distinction et d’intelligence mais s’en offusquer outre mesure n’est pas plus spirituel dans la confusion entre ce qui est un sport et ce qui tient d’un obscur nationalisme. Cela surtout quand on se rappelle que celle qui fit le plus gros caca nerveux de notre histoire récente fut une certaine presse de boulevard turque, ce qui, au final, donna la désastreuse atmosphère que l’on sait à Istanbul. Bien sûr, siffler un joueur de l’équipe adverse est une honte et une atteinte au fair-play et que les fans albanais auraient tout à apprendre du merveilleux public bâlois qui insufflait sa classe dans le domaine en sifflant les joueurs de sa propre équipe suisse à l’époque d’Alex Frei. En outre, il est certain qu’un Rakitic ou un Kuzmanovic n’ont jamais eu droit à un tel traitement par chez nous.

«La victoire était en eux», comme le chantait Johnny

Nous avons donc assisté à un match correct dans une enceinte chaude qui fait davantage plaisir qu’une ambiance sud-africaine de Coupe du Monde où les stades sont aussi vides que les concerts que Liane Foly a dû annuler dans sa brillante carrière. A noter également le magnifique oiseau de proie présent lors de l’hymne albanais qui pourrait donner des idées pour la Nati. On pourrait envisager de prendre un St-Bernard ou une marmotte ou même Roger Federer qui se rendrait utile du coup (mais sans doute que je donne des idées à Fathi Derder pour faire parler de lui). Dans le jeu, la Suisse a montré une solidité intéressante avec des joueurs qui ont gardé les pieds sur terre. Schär a été un tout autre défenseur que lors des deux matchs précédents et on pouvait penser qu’on lui avait demandé davantage de sobriété. Inler et Behrami furent excellents dans leur rôle de récupérateurs même s’ils amenèrent peu ou prou offensivement. Il y avait prudence mais pas crainte handicapante. Car devant Shaqiri était intenable. Xherdan le joueur qui allait jouer à cinquante pour cent, tétanisé par les abominables pressions de son peuple d’origine mais qui finalement a quand même marqué un but après avoir joué près d’une demi-heure avec une blessure à la cuisse. On eut malgré cela une première mi-temps brouillonne offensivement (les bons esprits diront «peu orthodoxe»). 
Outre les quelques coupures techniques de retransmission (car Mehmedi avait sans doute tenté de saboter les câbles), quelques frayeurs, notamment suite à une grossière erreur de Von Bergen (vous ne le saviez pas mais il est aussi d’origine kosovare), un raté monumental de Stocker (mais lui c’est parce qu’il a peur de tout quand il n’est pas à Saint-Jacques), on eut surtout ce qu’on appelle avec classe «un gros coup de chatte» lorsque Roshi frappa la latte de Benaglio (mais pour le coup le joueur albanais doit avoir des origines suisses).
La deuxième période fut plus animée. Outre le but de Shaqiri, l’arbitre avait décidé d’arbitrer à l’anglaise et de laisser beaucoup jouer. On a échappé à quelques cartons de part et d’autre, mais rien ne fut jamais scandaleux. On eut également de grosses frayeurs, comme d’habitude, sur les étranges choix de coaching de Hitzfeld qui décidément doit détester Dzemaili. On n’a rien contre Gelson et son jeu typé «Suisse année 90» où dès qu’il reçoit le ballon fait une passe en retrait, ni contre Mehmedi qui ne sert jamais à grand chose mais, comme d’habitude, on s’interroge sur la vision du banc qu’a le coach national. Si l’on n’avait pas gagné hier, il y a fort à croire que Derdiyok ou Kasami se seraient demandé pourquoi ils avaient pris l’avion. Sans parler à nouveau de Dzemaili, systématiquement privé de pelouse jusqu’aux dernières minutes avec Ottmar. Heureusement, le toujours immense Benaglio (comment cela peut-il aussi mal se passer à Wolfsburg?) et une attaque qui a pris son temps mais a fait le travail permirent à la Suisse de dominer le débat. En face, les Albanais voulaient absolument marquer sur une bicyclette alors forcément ça aide un peu.
Et puis Lang qui composte le ticket pour le Brésil. Une jolie histoire d’ailleurs pour ce joueur que l’on avait déjà vu faire son enchaînement contrôle de la poitrine et tir avec GC à plusieurs reprises. Il ne sera jamais Lichtsteiner mais au moins il ne sera pas un effrayant remplaçant (imaginez si on devait encore se farcir Degen…). Le penalty généreux pour l’Albanie n’est qu’anecdotique au final même si on a frémi quelque peu sur le moment. Et donc oui. La Suisse ira au Mondial.

Etrange désamour

Malgré tout cela, on peut ressentir un étrange sentiment de manque d’enthousiasme. Il y a 8 ans, au lendemain de la défaite à Istanbul qualifiant néanmoins la Suisse pour la Coupe du Monde en Allemagne, Le Matin avait attribué la note de 10 («Classe mondiale») à chaque joueurs de la Nati. Pourquoi donc n’est-ce plus le cas aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait qu’il est plus honorable de se qualifier en barrage sur une dernière défaite que de confirmer définitivement la première place à une journée de la fin en ne perdant aucun match de la campagne ? Pourquoi au lieu de joie doit-on encore entendre des «Si c’est pour se faire exploser au premier tour ça ne vaut pas la peine d’aller au Brésil» ou autre commentaire digne d’une réplique du film «Le Huitième jour» ? Pourquoi, généralement, a-t-on l’impression d’une absence d’excitation devant une réussite pareille ? Certes, l’engouement de 2006 où la bataille avait été intense et où cela faisait longtemps que l’on avait plus vu la Coupe du Monde, complété de la surévaluation de l’équipe de Kuhn à l’époque, peuvent expliquer ce phénomène. Nous même à CartonRouge.ch avions été de ceux qui mettaient en doute la réussite dans un groupe aussi faible (d’ailleurs on ne pourra pas changer cette opinion surtout en ce qui concerne la grotesque tête de série norvégienne). 
Néanmoins, malgré quelques couacs sans gravité (on pense surtout à Chypre), la Suisse a montré un bien meilleur visage en terme comptable que toutes ses autres phases qualificatives de ces vingt dernières années. Et l’on n’a jamais vu une campagne où la Suisse finissait première et invaincue lors de l’avant dernier match. On avait déjà vu cet extraordinaire phénomène lorsque l’équipe s’était fait huer alors qu’elle venait de se qualifier pour l’Afrique du Sud en faisant match nul face à Israël. Cela en était scandaleusement extraordinaire. Les honnêtes supporters se réjouiront que la Suisse soit de la partie à Rio parce que, même si on se fait atomiser par l’Allemagne ou l’Argentine au premier tour, c’est toujours mieux d’y être et de s’efforcer de rêver à au moins un quart de finale. Mais sans doute ne sommes nous pas une nation de sport. Et encore moins une nation enthousiaste. Vendredi soir, après le match, je suis passé dans un restaurant que tout le monde connaît bien mais que je ne citerai pas (le Bamee Bar évidemment) pour boire un verre à la santé de la qualification. Mais une plainte des voisins valut une amende au tenancier créateur de ce site, car des clients avaient crié un peu fort lors du coup de sifflet final un vendredi soir à 22h30 alors que l’équipe nationale venait de se qualifier pour la Coupe du Monde. Un exemple intéressant. Vu le décalage horaire en Amérique, j’en connais qui vont adorer les klaxons de célébrations à trois heures du matin.
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Albanie – Suisse 1-2 (0-0)

Tirana, 20 000 spectateurs.
Arbitre: Proença (Por). 
Buts: 48e Shaqiri 0-1. 78e Lang 0-2. 89e Salihi (penalty) 1-2. 
Albanie: Berisha; Lila, Mavraj, Cana, Agolli; Gashi (55e Roshi), Abrashi (64e Hyka), Bulku, Rama (85e Mehmeti); Kace, Salihi. 
Suisse: Benaglio; Lang, Schär, Von Bergen, Rodriguez; Behrami, Inler; Shaqiri (53e Mehmedi), Xhaka, Stocker (68e Fernandes); Seferovic (89e Dzemaili). 
Cartons jaunes: 56e Von Bergen, 80e Schär, 88e Benaglio.
Notes: la Suisse sans Lichtsteiner (blessé). 20e tête de Stocker sur le poteau. 76e tir de Roshi sur la transversale.

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4 Commentaires

  1. Excellent commentaire, tout de justesse et d’intelligence, de surcroit bien écrit, c’est-à-dire simplement en français. A envoyer s.v.p. à l’imbuvable et prétentieux Dr Socrates.
    Des papiers comme celui-ci, on en redemande.

  2. Assez agréable à lire cet article en effet.
    Bravo à l’équipe de Suisse pour la qualif
    même si le groupe n’était pas le plus relevé,fallait le faire!Etre parmis les 10-15 meilleures nations FIFA c’est quand même notable vu la taille de notre pays et l’importance de notre championnat…Les belges peuvent en dire de même!

    Sinon c’est vrai,c’est dommage qu’il n y ait eu aucun rassemblement festif ou de joie au coup de sifflet final,je pensais que si,mais non rien….Le dernier à Fribourg pour la Nati
    reste après la victoire contre l’Espagne.
    Dans quelques mois,pas sûr et certains qu’il y ait ambiance de folie à 3 h du mat…mais possible,nous verrons bien:-)

  3. Magnifique équipe de Suisse !

    Oui le groupe était honteusement faible, mais la Nati l’a fait et plutôt avec assurance et brio.

    On peut viser un quart de finale, voire une demi au Brésil. Soyons fous !!!

  4. C’est vrai que le groupe n’était pas le plus relevé, mais ne reprochait-on pas à l’équipe nationale de perdre bêtement des points contre les équipes dites plus faible? Alors il me semble que ce groupe ressemblait bel et bien à un piège et que la Nati s’en est plus que bien tirée. De plus même si la victoire contre le Brésil est l’œuvre de Dani Alves force est de constater que l’équipe suisse a bousculé les Auriverde pendant plus d’une heure!
    Pour ce qui est des chances de notre équipe nationale au Brésil, j’aimerai juste qu’on se souvienne des critiques qui on plut sur l’équipe suisse de hockey avant les derniers championnat du monde de hockey.
    Alors Hoppppp Schwizzzzzzzzz !!!!!

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