Saga des cartons rouges : l’injustice absolue !

Lorsque l’on évoque la Croatie avec un de nos chers voisins français qui aime un tant soit peu le foot, il est pour ainsi dire impossible de ne pas évoquer une demi-finale de Coupe du Monde qui a amené les Bleus à la distinction suprême. Ce qui revient constamment en discussion, c’est bien entendu les deux buts improbables de Lilian Thuram, mais c’est aussi et surtout l’expulsion totalement injustifiée de Laurent Blanc. Quelle bande de salauds ces Croates, tricher ils ont ça dans le sang…

Lieu : Stade de France à St Denis
Date : 8 juillet 1998
Match : Demi-finale France – Croatie (2-1)
Fautif : Laurent Blanc
Victime : Slaven Bilic
A moins que ce ne soit l’inverse !

Le contexte :

1998, une année bénie des Dieux pour la France sur tous les plans. Adoption des 35 heures et grosses émeutes dans une banlieue de Toulouse, mais surtout et 1 et 2 et 3 zéro. Il est certain que les mangeurs de cuisses de grenouilles ont agacé une grande partie de l’Europe après leur victoire. Inutile de préciser qu’en tant que voisine, la Suisse romande était malheureusement au premier rang de ce gargarisme d’autosatisfaction de footix et consorts. Bon, ça c’est pour la version officielle. En réalité, il faut aller chercher un peu plus loin que cela pour décortiquer le plus beau succès de l’histoire du sport français, après le titre mondial des Barjots en handball en 1995, bien sûr. La victoire française de 1998 a été aussi énervante que surprenante. En effet, les Bleus restaient tout de même sur une décennie de lose complète, manquant coup sur coup deux Coupes du Monde, avec comme point d’orgue la fameuse élimination tragique et mémorable de 1993 face à la Bulgarie. On en rit d’ailleurs toujours encore. L’Euro 96 en Angleterre avait fait renaître une once d’espoir chez les hommes de Mémé Jacquet. Parvenus en demi-finale, ils n’étaient tombés qu’aux tirs au but face à de surprenants Tchèques, révélation du tournoi. Toutefois, les coéquipiers de Stéphane Guivarc’h ne pensaient jamais avoir les capacités de parvenir au titre de champion du monde, et même Dédé le Français moyen ne devait pas beaucoup y croire. Déjà que Dédé râle tout le temps et est rarement positif…


1993 : une équipe de bras cassés.

Côté croate, une participation à une demi-finale relevait d’un exploit encore plus retentissant. Petit pays d’à peine 4 millions d’habitants, la Croatie du football n’existait que depuis 4 ans en 1998. Le pays sortait alors de la guerre et nul n’aurait certainement osé quelques années auparavant miser un kopeck sur une participation à un Mondial. Alors imaginez une demi-finale… Certes, une partie de ses joueurs formait l’ossature de la grande équipe yougoslave du début des années 90, on pense à Robert Prosinecki, Zvonimir Boban, Robert Jarni ou encore Davor Suker. La plupart de ces joueurs possédait une expérience digne des plus grands. Force est de constater que jamais un si petit pays (en terme de population en tout cas) n’a atteint ce stade de la compétition. Ce qui amène à penser que la sélection à damiers est probablement la meilleure nation de foot de l’histoire avec une troisième place en Coupe du Monde mais aussi 4 participations à une phase finale sur 5 possibles (et la même statistique pour les Euro). Une chose est sûre, la Croatie est une sacrée nation de football, souvent peu reconnue à sa juste valeur. La performance croate était si exceptionnelle qu’après la victoire 3-0 sur la Mannschaft en quarts, on se prenait à rêver d’une finale du côté de Zagreb. Les Français auraient eu tort de ne pas s’en méfier.

Les faits :

Une demi-finale ayant donc un goût d’inédit, entre deux équipes que l’on n’attend objectivement pas à ce stade de la compétition. Un match qui sera ma foi assez fermé entre deux outsiders ressentant une certaine pression. L’issue de cette partie, tout le monde la connaît. Une ouverture du score signée de l’incontournable Davor Suker, suivi d’un doublé improbable de Lilian Thuram, le Malcolm X français. Mais le fait marquant de cette partie se déroule à la 74e minute. Suite à l’obtention d’un corner sur le côté gauche, les grands gabarits français montent aux avant-postes afin d’y placer leur caboche et de tuer le match. Laurent Blanc, surnommé le Président, s’installe comme à son habitude dans les 16 mètres croates afin d’éventuellement donner un coup de tête victorieux, une de ses spécialités.


Quelques années avant François Hollande, c’était lui l’homme le plus détesté en France.

Visiblement au courant de la dangerosité du bonhomme sur coups de pied arrêtés, le milieu défensif Slaven Bilic paré de son anneau argenté à l’oreille se charge de surveiller Lolo de près. Comme sur la plupart de ce genre d’action, les deux hommes jouent au chat et à la souris en se retenant mutuellement par le bras et le maillot. Pour se démarquer et se débarrasser de son cerbère, le bleu Blanc tente une petite tape sur le menton de la rock-star croate. Ce dernier s’écroule pathétiquement au sol en se tenant le visage, comme s’il était soudain pris d’une effroyable migraine l’empêchant de coucher avec sa femme. Une de ces migraines dont nombre de footballeurs sont un jour ou l’autre victime, par exemple Rivaldo en 2002 lors d’un Brésil – Turquie ou Capdevila lors d’un Espagne – Portugal en 2010. Monsieur Aranda, arbitre de la rencontre, n’y voit que du feu et expulse l’arrière-central français alors que le méchant Slaven gît de manière nonchalante au sol. Quiconque a déjà été victime d’une migraine le sait, ça fait vachement mal quand même. Sans broncher, l’ancien éphémère sélectionneur des Bleus quitte la pelouse.
En revanche, lorsque le téléspectateur français découvre la supercherie au ralenti, il se scandalise. Le pauvre Laurent Blanc est victime d’une perfide machination, et Bilic est un effroyable simulateur méritant presque que l’on rétablisse la peine de mort. On signalera la classe de Laurent Blanc qui en tant que joueur toujours correct accepte la décision et reconnaît probablement qu’il a été un peu bête, méritant en un sens cette sanction. Après tout, il a frappé son adversaire. Au contraire, moins correcte est la réaction du public et des médias français qui invoquent une immense tricherie qui privera Laurent Blanc d’une finale de Coupe du Monde et de la fête du football. On en a fait des tas sur cet épisode côté français et à chaque fois que le nom de Bilic est prononcé outre-Jura, des termes comme ceux d’escroc, voleur ou sale type reviennent fréquemment. De même, ces qualificatifs reviennent volontiers lorsque l’on y évoque la sélection à damiers en général. Les principaux intéressés, à savoir Blanc et Bilic, sont toujours restés très corrects concernant cette affaire. L’un admettant qu’il a bien frappé son adversaire (bon pas au visage), l’autre admettant qu’il a bien été frappé mais qu’il en a rajouté et c’est parfois ça le football. Les deux footballeurs fumeurs de clopes semblent donc plus ou moins d’accord sur ce fâcheux incident qui restera dans l’histoire.


La deuxième plus grande injustice après la faim dans le monde.

Probablement le joueur le plus correct de cette génération, Laurent Blanc sera donc privé de finale, le plus grand regret de sa carrière. On aurait bien sûr préféré que cela arrive à quelqu’un d’autre comme à Thierry Henry, Bernard Diomède ou Alain Boghossian (au hasard). En même temps, comme l’a si bien dit le suppléant de Blanc en finale, le très beauf Frank Leboeuf : «La déception de Laurent n’a d’égal que ma joie de disputer cette finale.» Comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres. Et franchement voir une future star de la télé-réalité (le capitaine de l’équipe Mentawak !) museler Ronaldo sous anxiolytiques en finale de Coupe du Monde, ça n’a pas de prix et cela demeure à ce jour la seule satisfaction personnelle de ce fameux et 1 et 2 et 3 zéro.

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8 Commentaires

  1. Euh, bien que lecteur passif et frouze, je me permets de répondre ici. Tout le monde en France a oublié cela, et plus personne ne se rappelle du nom de ce croate, à part les historiens du foot. Le vrai souvenir traumatique, c’est l’absence de carton rouge à Schumacher en 1982.

  2. Blazevic aurait du laisser Boban sur le terrain…
    Thuram n’aurait rien fait
    La Croatie passait… et était championne du Monde!

    Sans aucun doute la plus grande erreur de Blazevic…

  3. @Christophe: l’Uruguay l’a surtout gagnée deux fois en fait..

    Ceci dit, j’avais pas ce souvenir du scandale autour de Bilic. L’affliction de tout un peuple pour le Président et le gag Leboeuf avec ses fameuses relances, oui mais pas ça.

  4. Si si, y avait bien eu mini scandale, polémique et tout ça. Mais quand trois jours après tu as le « Et un, et deux et trois chenit » ça compense.

    (PS: comment sont déterminés les captcha? Parce que quand je dois taper ‘promu’ sur un article du LHC et ‘imam’ sur un article de l’équipe de France, ben oui, j’y vois malice)

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